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Chapitres 3 et 4 p. 507 - 105                                                         
Abraham et Lot, séparation et fraternité, Genèse 13 -14
Promesses solennelles, Genèse 15, 1-21


Abraham et Lot, séparation et fraternité (Genèse 13 -14)

Deux thèmes différents s’entrelacent de façon savante dans l’histoire d’Abram, la relation avec sa (ses) femme (s) et ses fils, la relation avec la terre ; le lien est évident puisque la terre est d’emblée promise à sa descendance.
Mais la relation avec la terre passe d’abord par la relation avec son proche, son neveu Lot qui va être exclu comme « descendant » possible, ensuite avec de plus lointains, les occupants de la terre et leurs rois.

Genèse 13  
Les tableaux de Wénin p. 57 et 59 sont très clairs sur l’imbrication habile des deux chapitres, et sur le retour d’Abram, au-delà de la parenthèse égyptienne, sur le lieu où il avait invoqué le nom de YHWH.
D’emblée la difficulté d’habiter ensemble la terre est posée en termes de possessions et de richesse ; on se souvient que la richesse d’Abram a été acquise de façon parfaitement injuste en Egypte.
La possession de la terre engendre aussitôt un conflit, avec la question lourde d’avenir :  peut-on « habiter la terre ensemble ? ». Et une réflexion intéressante de Wénin sur la sage décision de « se séparer » pour préserver une certaine fraternité.
Il faut comparer l’attitude d’Abram vis-à-vis de Lot avec celle qu’il a eue en Egypte vis-à-vis de Sara. Un premier pas vers le renoncement ?
Le choix de Lot est le district du Jourdain, c’est-à-dire toute la région irriguée par le Jourdain à partir de la mer Morte, et vers le nord-est. Est-il empreint de convoitise ? Je vous laisse juger.
 Il est certain que la mention de Sodome et Gommorhe le colore de facon plutôt sinistre… au moins pour le lecteur.
Abram s’installe dans le pays de Canaan à l’ouest et nord de la mer Morte, autour notamment Hébron. Le récit a toutefois noté que le pays (la terre) était habité par les Cananéens et les Périzzites – ce second peuple nous reste inconnu.
Notez la finesse de la remarque de Wénin sur la reprise en opposition : « Lot leva les yeux et il vit »,
mais « YHWH dit à Abram : lève les yeux et vois ».  Il développe ensuite longuement (un peu caricaturalement ?) l’opposition entre les deux « choix », la suite (ch. 19) lui donnera raison.
La promesse de Dieu est reprise de 12, 1-3, mais développée spatialement et numériquement !
Abram y répond par un sanctuaire élevé aux chênes de Mamré, à Hébron.
Mais comment Mamré réagira-t-il ?

Genèse 14
Malgré la généreuse proposition d’Abram, la possession de la terre reste un objet de discorde ; d’ailleurs lorsqu’il arrive, la guerre qui est déjà là.
Retour en arrière sur la situation locale : un monde en guerre !  D’un côté 4 rois mésopotamiens, de l’autre 5 rois cananéens (dont les rois aux noms négatifs de Sodome et Gommorhe), selon un schéma connu : les mésopotamiens mènent une expédition punitive contre les rois cananéens qui secouent le joug et refusent de leur payer plus longtemps tribut. Les rois de Sodome et Gommorhe tombent dans des puits de bitume (déjà du pétrole !), et Lot est fait prisonnier…
Abram l’apprend, il s’est allié avec les rois cananéens autour de Mamré : première mention d’une alliance de type politique. Et il va délivrer Lot « son frère », -on note l’importance d’un lien du sang, poursuivant les rois mésopotamiens jusqu’au-delà de Damas !
Si Wénin me semble déborder un peu par l’imagination la sobriété extrême du texte biblique (p.80), il a raison de souligner que la couardise d’Abram en Egypte s’est envolée… Que s’est-il passé ?

Deux rois cananéens viennent à la rencontre d’Abram, le roi de Sodome (sorti du puits de bitume ?), mais aussitôt, sorti de nulle part, l’énigmatique Melkisédeq.
A son sujet, quelque lignes sidérantes par leur densité, d’abord le nom, roi de justice, roi de Shalem (la paix, que l’on retrouvera dans le nom de Jéru -salem (Yerou-shalaîm), roi prêtre d’un dieu qui est El ‘elyôn, le Dieu très Haut, Dieu créateur, un nom que l’on retrouve en Deutéronome 32, 8. Peut-être un dieu anciennement vénéré à Jérusalem, mais pour l’auteur, confondu avec le Dieu d’Israël YHWH.
Mettez en parallèle la bénédiction de Melkisédeq  (14, 19-20) et celle de Dieu au chapitre 12, 1-3. Clairement il y a assimilation du Dieu d’Israël YHWH avec le Dieu créateur du ciel et de la terre,  cananéen ou mésopotamien, El ‘Elyôn. Littéralement, un Dieu qui « enfante » le ciel et la terre (voir aussi Psaume 90, 2). Abram effectue cette assimilation au verset 22.
Que signifient ce geste d’offrande végétale (voir Genèse 1), et la dîme donnée par Abram ?

Ces gestes s’éclairent peut-être par opposition avec la demande du roi de Sodome, qui est de l’ordre du marchandage et de la mainmise (« donne et prends »).
Pourquoi les personnes ? Wénin s’y attarde peu, je me suis demandée si la perspective n’était pas celle d’abus sexuels, comme le confirmera Genèse 19.
Abram manifeste le même désintérêt des richesses qu’il avait montré envers Lot, on est loin de l’Egypte. Ce qu’Abram n’a pas su vivre par rapport à sa femme, il a su le mettre en œuvre envers son neveu et surtout dans les relations sociales et politiques plus larges avec les rois voisins.
La haute et mystérieuse figure de Melkisédeq domine la scène. Le Psaume 110 en fait un prêtre modèle du roi Messie, les chrétiens y verront une figure christique (Hébreux 7, 1-19).

Or, c’est un chapitre où pour la première fois le terme d’alliance apparaît, au verset  13 : les trois rois sont les « maîtres de l’alliance d’Abram » (voir p.78). Une alliance toute humaine, que Melkisédeq a peut-être portée devant Dieu… En tout cas, c’est alors seulement que Dieu va s’engager dans une alliance avec Abram au chapitre 15.

 

Promesses solennelles (Genèse 15, 1-21).
Retour sur la relation entre Abram et le Seigneur, avec une (double ?) vision d’Abram.
Voyez la structure du texte en deux parties, que Wénin analyse p. 91- 94.
Une atmosphère nocturne, une ambiance très inquiétante ; certainement l’utilisation d’une vieille tradition d’alliance remaniée et insérée dans une nouvelle affirmation de la promesse.

Wénin étudie successivement les deux parties du texte. On peut voir aussi un encadrement par la promesse de la scène centrale d’alliance.
- Notez que c’est la plainte d’Abram qui déclenche une promesse plus détaillée et précise de la part de Dieu. Et que celle-ci a lieu « dans une vision », dont il faudra préciser le statut.
Ce qui est certain, c’est que YHWH met les choses au point : l’héritier sera de la descendance d’Abram par le sang. On voit pointer l’importance de la généalogie dans la définition de l’identité d’un peuple. En même temps, la situation ne sera pas si simple, puisqu’Abram aura deux fils !


La conclusion de la première partie est impressionnante : « Et il (Abram) eut foi en YHWH, et il compta cela pour lui comme justice ». Paul bâtira sur ce verset un pan de sa théologie de la « justification ».
La foi (en hébreu emet, en grec pistis) d’Abram : il faut préciser le mot, c’est d’abord la confiance, mais aussi la fidélité, car le mot s’applique aussi bien à Dieu (Psaume 143, 1 par exemple).
Le sujet et le complément d’objet de la seconde partie de la phrase sont discutés. Il semble plus plausible que ce soit Dieu qui compte la foi d’Abraham comme « justice » (le changement de sujet en cours de phrase est constant dans le récit biblique).
Wénin n’a pas tort de dire que, dans la Genèse notamment et dans toute la Tora, la qualité de « justice » s’applique surtout aux hommes. Pour autant, elle s’applique aussi largement à Dieu. Et Abram en se fiant à Dieu reçoit de lui cette qualité de « justice », qui est déjà, comme le développera Paul, un « ajustement » à la volonté bienveillante et bienfaisante de Dieu.

-La promesse de la terre s’appuie sur une relecture de l’action passée de Dieu (ce sera le cas dans l’Exode et dans toute la suite) : « je t’ai fait sortir d’Our » est une sorte de modèle appliqué à Abram de ce que les Israélites ont vécu en sortant d’Egypte, et surtout de ce que Juifs vivront à la fin de l’exil.

« Comment saurai-je ? » Abram veut une explication, Isaïe reprochera au roi Akhaz de ne pas vouloir de signes (Is 7, 10-14). Marie demandera de la même façon : « Comment se fera-t-il ? » (Luc 1, 34). S’agit-il d’exiger des signes, ce que Jésus refusera, ou plutôt de demander à comprendre. ?
Dit autrement, devant Dieu, l’intelligence critique garde ses droits, elle est invitée à s’exercer… même si Dieu répond toujours en déplaçant ailleurs…

C’est bien le cas ici. Dieu propose à Abram un rite étrange, le partage d’animaux, dont on trouve une seule trace ailleurs en Jérémie 34, 18-19, et dans quelques textes anciens des pays environnants.
Je crois que Wénin a raison de ne pas y voir un culte sacrificiel, mais bien un rituel d’imprécation avec visualisation de ce qui arriverait à ceux qui ne respecteraient pas l’alliance. Une alliance toujours menacée, comme semblent le montrer la présence d’oiseaux de proie, qu’Abram doit chasser !

La suite se passe dans une atmosphère de nuit et de terreur bien décrite par Wénin et surtout durant un sommeil profond d’Abram. Cette torpeur, tardemah, est la même que celle dans laquelle avait été plongé l’Adam pour que Dieu fasse surgir de lui l’homme et la femme côte à côte (Gn 2, 21). On le retrouve aussi chez Job 4, 12-16, lors d’une manifestation divine nocturne.
N’est-ce pas dire que lorsque Dieu agit et intervient pour créer, faire alliance, voire juger, l’humain n’a aucune connaissance, plus encore aucune maîtrise ? Il doit admettre qu’il n’a pas la main et doit renoncer à « savoir » son origine et l’action de Dieu.
Dieu nous précède toujours, que nous le sachions ou non, que nous le voulions ou non.

La promesse est alors renouvelée (v. 12-16) ; le lecteur la lit, mais qu’est-ce qu’Abram en a entendu ?
Pourtant Dieu répond à sa demande de savoir : « en quoi saurai-je ?... Tu dois savoir » (v. 8 et 13). C’est toute la suite du récit biblique de l’Exode et des Nombres qui est annoncée et résumée ici en deux temps : la servitude en Egypte, le retour sur la terre, et l’extension maximale du pays offert. La justification de l’occupation au v. 15 sera reprise en Lévitique 18, 26-29.
Lisez ce dernier texte, il vaut la peine d’être médité, sur les conditions d’une occupation juste d’une terre !

Le passage de Dieu annonce clairement la scène du don de la Loi au Sinaï en Exode 19, 18ss.
Enfin il faut s’arrêter sur l’expression : « YHWH conclut une alliance avec Abram »
« Conclure une alliance » se dit le plus souvent « kârat berît » littéralement « couper une alliance », et je me demande s’il n’y a pas un lien avec le partage des animaux (le verbe n’est pas le même).
Cette alliance fait écho, bien sûr, à celle que Dieu avait établi avec Noé en Genèse 9, 9 et 15 (le verbe est différent), mais peut-être aussi plus obscurément à celle passée entre Abram et les rois du voisinage (14, 13)
L’important, me semble-t-il, est de souligner deux choses :
Cette alliance est à la fois bilatérale et dissymétrique : Dieu a l’initiative et c’est lui qui s’engage, tandis qu’Abram est encore plongé dans une torpeur-terreur qui le rend très peu réactif. Mais il avait donné sa foi à YHWH au verset 6.
Il s’agit donc d’une alliance-promesse dans laquelle Dieu s’engage d’abord.
Et ce que nous avons lu au chapitre 12 et 13 montre que la promesse, l’engagement de Dieu, précède l’alliance, ou en tout cas la fonde et la rend possible. L’hébreu n’a pas de mot pour dire la promesse, il a un verbe « jurer, s’engager par serment », souvent appliqué à Dieu. Si bien que le mot berît que nous traduisons par « alliance » pourrait parfois être traduit par « promesse ».
Paul insistera : Dieu s’engage sans condition envers celui qui a mis sa foi en Lui (et avant même !).

Je vous laisse conclure avec Wénin, qui fait entrevoir la suite des événements, mais surtout entre vous !
Bonne lecture !
Roselyne