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Chers amis,

Je suis heureuse de retrouver les habitués des années précédentes, et d’accueillir les nouveaux inscrits : vous êtes tous les bienvenus, pour commencer ensemble la lecture de la Genèse appuyé sur l’un de ses commentateurs, André Wénin.
Nous allons lire cette année l’histoire d’Abraham, Genèse 11, 27 à 25, 15, en suivant le livre d’A. Wénin, Abraham ou l’apprentissage du dépouillement, Cerf, 2016.
Attention, le livre est en réimpression. Demandez à votre libraire s’il en a ou s’il peut s’en procurer. Le livre existe aussi en e-book.
Si vous ne le trouvez pas, prévenez-moi vite !

 

Chapitres 1 et 2, p. 7-56                                                                             15 septembre/20 octobre 2023
Le projet de YHWH, Genèse 11, 17 -12, 9
Abram et Saraï en Egypte, Genèse 12, 10-20

Une introduction et deux chapitres à lire ce mois-ci, mais sur 49 pages, près d’une dizaine sont un  rappel et un résumé fort clair du livre précédent sur Genèse 1-11 !

Selon la méthode narrative, A. Wénin suit l’ordre du texte, comme un chemin que le lecteur fait main dans la main avec Abram/Abraham, mais surtout comme le cheminement -à la fois extérieur et intérieur- d’Abraham.  Abraham en quête de Dieu, Abraham en quête de lui-même ?
Ne faut-il pas dire plutôt :  Dieu en quête d’Abraham, Dieu en quête de l’humanité !  Car c’est Dieu qui a l’initiative, et « tisse patiemment sa relation avec lui », Dieu qui fait d’Abraham un partenaire de l’alliance qu’il lui propose.
On pourrait dire aussi que nous participons au lent affinement de l’image de Dieu que se forge peu à peu Abraham.
La thèse de Wénin, que nous devrons vérifier, est qu’Abraham ne peut avancer dans la découverte de Dieu qu’en apprenant lui-même à se dépouiller. A se laisser déplacer, à se laisser envahir par l’Autre, et d’abord par les autres : ses femmes, ses fils, ses pairs...

Avant de vous lancer dans le chapitre 1, je voudrais proposer deux ajouts qui sont en dehors du cadre méthodologique choisi par Wénin : je vais essayer d’aborder la question de l’historicité du personnage, puis celle de la rédaction de l’ensemble du cycle d’Abraham.

1- La question de l’historicité : il y a quarante ans, on enseignait encore parfois au catéchisme qu’Abraham, représentant de la culture des grands nomades, avait dû vivre au 19ème siècle avant J.C.
Depuis lors, tous les arguments qui pouvaient suggérer une telle ancienneté ont été démontés et détruits.
Aucun élément archéologique n’a permis de retrouver des traces des sanctuaires d’Hébron et de Mambré… Le mode de vie des nomades pasteurs est resté inchangé sur des siècles (peut-être même une dizaine de siècles), les usages dont témoignent les anciens récits autour d’Agar, la servante-porteuse, remontent à l’empire assyrien, et ils ont pu perdurer jusqu’à sa chute (7ème siècle).
Il apparaît aussi que la figure de Jacob comme ancêtre de tribus du Nord était déjà liée au sanctuaire de Béthel au 8ème siècle, tandis que celle d’Abraham ne peut être que reconstruite à partir des témoins de l’exil au 6èmesiècle (Ezéchiel 33, 24 ). Il s’agit probablement d’un ancêtre dont la mémoire était conservée par la culture populaire en dehors de Jérusalem, dans la région d’Hébron, une figure tutélaire à laquelle sont restés attachés ceux qui n’étaient pas partis en exil, les gens du pays, la paysannerie. Cette figure prit une grande importance au retour d’exil.

2- En effet, c’est au retour d’exil (fin du 6ème s. et 5ème s.) que se posa la question d’harmoniser les récits autour de l’Exode et de la figure de Moïse que rapportaient les exilés rentrant à Jérusalem, et les traditions locales anciennes qu’avaient conservées les gens du pays (« le peuple de la terre »).
Les relations entre les deux groupes furent difficiles. Mais un consensus finit par s’établir. Probablement les prêtres (ceux qu’on appelle les rédacteurs sacerdotaux) parvinrent-ils à imposer ce consensus de deux façons :

-en valorisant la figure d’Abraham comme partenaire choisi par Dieu pour une alliance éternelle, inconditionnelle ; c’est le thème de la promesse (promesse d’une descendance, promesse de la terre), où la fidélité et la miséricorde de Dieu passent par-dessus les infidélités récurrentes du peuple.
Un geste fort consista à placer l’histoire des patriarches (et donc de la promesse) avant les traditions de Moïse et de l’Exode : l’alliance inconditionnelle avant l’alliance conditionnelle liée à la Loi !

-en faisant venir Abraham d’Ur en Chaldée, par un long périple passant par Haran pour parvenir jusqu’en terre d’ Israël ; ainsi Abraham devint-il également la figure tutélaire des exilés revenus sur la terre par ce même chemin.
Dès lors, les traditions anciennes sur Abraham furent revisitées, et pour honorer l’ancêtre des tribus du Nord, Jacob, comme celui de l’extrême sud, Isaac, on construisit une généalogie permettant d’articuler les récits : Abraham/Isaac/Jacob.
Mais le fait que des traditions diverses ont été conservées et juxtaposées donne parfois l’impression d’une redite  (récits d’alliance, aux chapitres 12, 15 et 17 ; histoire d’Agar en 16 et 21 ; histoire de la femme-sœur en 12 et 21), ou de deux points de vue différents (ch. 17 et 18).
La méthode de Wénin permet de montrer qu’au-delà de ces incohérences, une dynamique d’ensemble conduit le texte d’un bout à l’autre (et le repérage de traditions différentes enrichit aussi notre lecture).

 

Vous pouvez lire l’introduction assez rapidement (nous y reviendrons en fin d’année).
Puis plonger dans le chapitre 1.


Chapitre 1 : les premières pages offrent un résumé des acquis du livre précédent (Genèse 1-11), A. Wénin y expose sa thèse de façon très claire. Une double fissure s’est instaurée d’emblée dans l’humanité :
-une fissure dans le couple humain dès la première parole de l’homme en face de sa compagne, parole comprise comme une forme de mainmise et de domination, fissure qui ne fera que s’élargir dans les générations successives (Genèse 1-10).
-une fissure dans les groupes humains lorsque la volonté de soumettre l’humanité sous une seule puissance conduit à l’uniformité d’une société qui accepte son esclavage et renonce à l’altérité (Genèse 11).

On peut suivre ou non André Wénin dans ses analyses psychologiques, voire psychanalytiques.
Mais, dans tous les cas, les questions qu’il aborde sont bien les questions fondamentales de la survie possible des humains, lorsqu’ils sont désajustés du projet de bénédiction. L’humain n’existe qu’en relation : comment dès lors va-t-il vivre cette relation, dans le cadre familial et dans le cadre social ?
Dans sa marche vers le Dieu qui l’appelle, Abraham devra avancer et progresser en gérant difficilement ces relations, sur les deux plans indiqués, et en se laissant transformer par elles, en acceptant de se « laisser dépouiller ».

 

Pages 21 – 34 :
Abram fils de Terakh et Saraï sa femme (11, 26-32)

Le paragraphe 11, 26-32 sert de transition entre les généalogies qui achevaient le chapitre 11, et l’histoire d’Abram. A. Wénin souligne l’atmosphère négative qui règne dans cette première présentation d’Abram : une famille marquée par la mort, et, nous dit Wénin, « d’une nature babélique », c’est-à-dire une atmosphère d’emprise et de relations fusionnelles qui ne laissent pas les individus déployer leur propre liberté. Saraï, l’étrangère (est-ce sûr ?) n’y échappe pas, et devient stérile en y entrant.
On peut discuter cette lecture. Mais indéniablement on est dans un monde marqué par le malheur, mort et stérilité, où la vie semble s’étioler dangereusement.

Appel de YHWH et départ (12, 1-4)
Alors Dieu prend l’initiative et appelle Abram en l’invitant à partir, à quitter.
Des lecteurs (école de Marie Balmary par exemple) ont remarqué que, selon une tournure intensive de l’hébreu, l’expression lekh lekha, traduite par « va-t’en », se dit mot à mot : « va (lekh) vers toi-même (lekha) ». En quittant, Abram serait invité à trouver sa véritable identité, sa véritable dimension humaine.
A. Wénin insiste sur l’importance de la bénédiction dans ces 4 versets, écho au projet initial de Dieu en Genèse 1, 28 et 9, 1. La bénédiction doit atteindre toute l’humanité, jusque dans sa dispersion.
Or, cela n’est possible que si un porte la bénédiction à tous !
Mais il faut alors rompre avec la convoitise (le désir de tout maîtriser) et l’envie (le désir de prendre ce que l’autre possède).
Pour Abram, le chemin vers la bénédiction sera rendu possible par la rupture avec ce qu’il possède et le lent apprentissage d’une forme nouvelle de relation avec les autres clans, avec sa femme, avec Dieu et avec lui-même !

Les tout premiers pas (12, 4-9)
A l’appel de Dieu, Abram obéit (attention, le verbe n’est pas dans le texte !), plutôt il écoute et il va ;  Il sort : naissance ? exode = sortie vers la liberté ?
En mettant en parallèle 11, 31 et 12, 5, Wénin montre qu’en fait, Abram reproduit en partie le comportement de son père Tèrakh.
Une remarque attire notre attention : alors que les  humains chassé de l’Eden partaient vers l’est, et que Caïn à son tour s’enfuyait « à l’orient d’Eden »,  ici (et déjà avec Tèrakh), la marche se porte d’est en ouest : Abram inverserait-il le cours de l’humanité ?
Puis il parcourt le pays où il est arrivé, du nord au sud, pour constater (v. 6) que « le Cananéen était dans le pays (la terre) ». Or, les Cananéens sont les descendants de Cham, et de son fils Canaan, les fils et petit-fils maudits de Noé. La terre du maudit serait-elle promise à la descendance du béni ? Mais est-ce cette terre-là que Dieu a promise à Abram ? une terre occupée par d’autres ?
Notons le jeu de mot sur le nom de Moré (de la racine du verbe « voir ») : là Dieu « se fait voir » (« apparaît ») à Abram, qui répond par l’élévation d’un sanctuaire.
Sanctuaires de Sichem, puis de Béthel, sanctuaires anciens qui, longtemps, ont fait concurrence à Jérusalem ! Béthel signifie : la maison de Dieu (El).
Les questions sont posées : promesse d’une descendance (mais Saraï est stérile), d’un don de la terre (mais elle est occupée par d’autres).  Mais une relation forte s’est nouée entre Dieu -qui s’est fait voir- et Abram qui a invoqué son nom (YHWH).

 

Chapitre 2 : Abram et Saraï en Egypte (Genèse 12, 10-20)
Pages 35 -56

Comme en Genèse 3, la relation entre l’homme et la femme se révèle compliquée, entachée de conduites d’emprise et de manipulation. C’est le cas entre Abram et Saraï, tandis qu’un tiers (ici l’Egyptien) vient fragiliser Abram !

Abram face à la menace (12, 10-13)
Wénin s’interroge : pourquoi Abram descend-il en Egypte ? Malgré la famine, ne devait-il pas rester dans le pays promis et compter sur l’aide de Dieu ?
Ma réponse (et celle d’Abram, peut-être) : qui a dit que Dieu voulait que nous soyons stupides et que nous comptions sur des interventions de type magique ? Dieu a confié le monde aux humains ; il n’interviendra pas dans leur gestion. A eux de le garder et de le travailler, d’agir intelligemment en fonction des événements climatiques entre autres !!!

Abram se sent menacé, fragilisé. Le Pharaon lui fait peur. Alors il se tourne vers sa femme, Saraï : requête ou manipulation ? Et finalement chantage ? Au lecteur de décider.
Saraï ne répond pas, elle n’a pas la parole.
Et nous pouvons nous interroger : quelle vision de l’autre (l’Egyptien, sa femme) cela révèle-t-il chez Abram ?  Qu’en est-il de la promesse :  « en toi seront bénis tous les clans du sol » ?

Abram et Saraï comme Adam et Eve ?
Que fait Abram en demandant à Saraï de se présenter comme sa sœur ? Je vous laisse lire et discuter l’interprétation de Wénin pages 42 à 45… Poussé par la peur de l’autre, l’Egyptien, Abram se réfugie-t-il dans « la maison de son père », qu’il devait quitter ? dans le sein de sa mère ?
Reproduit-il la relation abîmée entre l’homme et la femme en Genèse 2 et 3 ?

Et SaraÏ ? elle se tait, ne dénonce pas auprès de Pharaon le mensonge de son mari. Est-elle complice ? Complice pour sauver son mari ? Complice parce que soumise ? Avait-elle le choix ? La question est posée, il me semble qu’elle résonne encore aujourd’hui.

Abram et Pharaon : l’échec de l’élection (v. 14-20)
En tout cas, Abram brise doublement le projet de bénédiction divine sur tous les peuples, en se méfiant à l’extrême des Egyptiens, en livrant sa femme avec laquelle il ne faisait « qu’une seule chair » ! La peur, la méfiance, la « convoitise » comme souci prioritaire de soi, fait obstacle à la bénédiction pour tous.
Wénin s’interroge sur le châtiment de Dieu, qui, évidemment, nous paraît terriblement injuste ! Il y voit le mode d’avertissement propre à la mentalité antique : le malheur rappelle aux devoirs envers la divinité, aux devoirs envers l’autre…
Une leçon ferme pour le lecteur, un premier pas dans la pédagogie divine vis-à-vis d’Abram : si l’élu cède à la convoitise (à la peur de l’autre et au soupçon), il fait obstacle à la bénédiction divine. On a envie de dire : A bon entendeur…. !
J’ajoute qu’il faut saluer le réalisme lucide des auteurs bibliques qui renoncent à idéaliser leur ancêtre… D’ailleurs, ils n’hésiteront pas à réexploiter ce récit par deux fois, en Genèse 21, et 26.

Une « parole » de Saraï ?
Wénin garde pour la fin cette « divine surprise ». Il se peut que Saraï ait parlé…
Il reprend ainsi la lecture ultra littérale de certains rabbins au verset 17 :  la particule « à cause de » en hébreu se dit littéralement « sur la parole de ». Saraï qui s’opposerait à la peur d’Abram, et qui soutiendrait l’intervention divine ! Saraï au secours de son mari, du Seigneur et de la bénédiction pour tous !

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