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Chapitres 3 et 4 p. 57 - 105                                                           
Abraham et Lot, séparation et fraternité, Genèse 13 -14
Promesses solennelles, Genèse 15, 1-21

Chers amis,

Les chapitres de la Genèse que vous avez lus ce mois-ci sont souvent mal connus et peu cités, au moins 13 et 14, lorsqu’on évoque Abram/Abraham. Il est vrai qu’ils sont plutôt arides (surtout le chapitre 14), et étranges (surtout le chapitre 15).
Je vous propose juste quelques réflexions, un peu différemment de Wénin que vous avez lu en détail.

 Nous avons vu que le texte entrelace (et continuera d’entrelacer) les relations d’Abram/Abraham avec ses proches, et ses relations avec les peuples environnants auxquels il doit porter la bénédiction de Dieu.

Il me semble que le chapitre 14 engage d’abord à réfléchir sur la guerre.
Le chapitre 14 assure le lien entre ces deux types de relation, puisqu’il s’agit à la fois des membres du clan d’Abram que sont Loth et sa famille et de l’invasion du pays par les rois du Nord.
Il me paraît évident que, pour les auteurs bibliques, la menace vitale a toujours été celle des grands empires assyro-babyloniens du nord-est, qui ont détruit, l’un le Royaume du Nord disparu en 721, l’autre celui du Sud, asservi en 587. Lisez Jérémie 1, 13-15.
Ici sont évoquées de véritables razzias qui vont jusqu’au bord de la mer Morte (la mer Salée, 14, 3). Loth et les siens font partie des prisonniers.
Abram n’hésite pas : pour sauver son neveu (et repousser l’envahisseur qui vient du nord), il prend les armes. Etrangement, il est présenté comme un suzerain local avec des vassaux (alors même qu’il n’a pas vraiment pris possession du pays que Dieu lui a donné sous forme de promesse (13, 14-17). Ce n’est d’ailleurs pas son propre pays qu’il défend mais bien son clan, son neveu
Le fait qu’au verset 14, 13, il soit qualifié d’« hébreu » montre qu’il s’agit peut-être ici de souvenirs d’une époque ancienne (12ème siècle ), où des groupes nomades plus ou moins pillards se déplaçaient dans le pays, peut-être ceux que les Egyptiens appelaient « Apirou » ou « Shasou ». Peut-être les Israélites qui se sont ensuite fixés ?

En tout cas, son attitude ne fait pas débat pour les rédacteurs du texte : Abram a délivré et ramené les siens chez eux, sans autre considération.
Le récit réserve un sort surprenant aux rois de Sodome et Gomorrhe, chez qui Loth résidait. Ils sont du côté des rois battus pas les envahisseurs du Nord. Mais aux yeux des rédacteurs, ils représentent des gens soumis aux forces du mal (le nom du roi de Sodome est BeRa, soit « dans le mal »). Du coup, on les fait tomber dans un puits de bitume (le pétrole déjà, l’or noir…qui engloutit ces gens-là ! toute ressemblance avec… !). Façon de dire que le mal s’auto détruit ?
On ne sait pas d’ailleurs comment ils en sortent, et, que Wénin le veuille ou non, il faut bien reconnaître que le texte est formé de morceaux de récits plus ou moins anciens, plus ou moins bien tissés ensemble.
En tout cas, lorsque le roi de Sodome s’avance vers Abram vainqueur, pour une sorte de marchandage (pas clair, je l’avoue), Abram refuse d’avoir quelque lien que ce soit avec lui ; il ne se compromet pas avec ceux qu’il a défendus et sauvés, lorsqu’ils persévèrent dans des pratiques malfaisantes.

A l’opposé se détache la figure lumineuse de Melkisédeq, roi de justice, roi de Salem (le lieu de la paix), dont nous avons parlé sur le forum*. Qui concentre l’idéal d’une royauté qui n’a pas participé à la guerre, dont le roi est aussi prêtre, et dont la prêtrise consiste à bénir Dieu et Abram, en offrant les nourritures non violentes et fondamentales que sont le pain et le vin.
Est-ce à Melkisédeq ou à Dieu qu’Abram offre la dîme de ses biens, en signe d’allégeance ?
 Il s’agit bien d’un contrepoint à une guerre certes nécessaire, mais qui reste une violence faite aux hommes, au pays et aux biens.

Le chapitre 15 me conduit à souligner trois points.
D’abord, la réponse d’Abram à la promesse : la foi qui le fait reconnaître comme juste devant Dieu.
Ensuite l’étrangeté et l’archaïsme du récit de l’alliance, avec ses échos sinaïtiques.
Enfin la torpeur et les ténèbres qui l’accompagnent du côté d’Abram.

D’abord la foi.
Comme au chapitre 12, 1, le Seigneur (YHWH) s’adresse directement à Abram, ici en employant quelques termes du vocabulaire guerrier, qui font peut-être écho au chapitre précédent : le seul véritable défenseur (suzerain ?) d’Abram, c’est le Seigneur !
Plus précise qu’en 12, 7, la promesse prend des dimensions inouïes (v. 5). Rien n’est demandé à Abram. Mais comme en 12, 4 et 7-8, Abram fait confiance : « et il eut foi dans le Seigneur ». Le verbe hébreu âman est la racine dont nous tirons « Amen », elle évoque la solidité, la sûreté, parfois traduit par la fidélité. En 12, 1, Abram part vers…. « le pays que je te montrerai »… En 12, 7-8, sur la parole du Seigneur, Abram élève un autel. Abram s’appuie sur le Seigneur, car le Seigneur est sûr, il est fidèle. La foi d’Abram consiste à s’en remettre à la solidité-fidélité de Dieu. Et pour cela il est reconnu comme « juste » (comme l’était Melkisédeq) : en français on peut jouer sur les mots, il est parfaitement « ajusté » au projet de Dieu.
Cela suppose consentement, acceptation de la parole sans autre assurance, sans en voir aucune réalisation. Cela sera dit dans la torpeur et l’obscurité dans lesquelles Abram va être plongé.

 

L’étrange forme que prend le rituel ( ?) d’alliance. On n’en a d’autre attestation qu’une rapide évocation en Jérémie 34, 18-19. Rituel d’exécration ? Les rapaces représentent-ils tout ce qui peut rompre l’alliance ? Chacun l’interprètera à sa guise… Les auteurs l’utilisent comme le cadre d’une première révélation annonçant le Sinaï, puisque Dieu se manifeste par un four fumant, une torche de feu (voir Exode 3, 1 ; 19, 18).
Réinterprétation d’un antique rituel sanglant ? Dieu peut s’y manifester… c’est à méditer.

Mais qu’est-ce qu’Abram a vu ? Il était dans une torpeur, une terreur et une épaisse ténèbre. 
La même torpeur dans laquelle était tombé l’adam lorsque Dieu façonne son côté pour former la femme (2, 21). Une façon de dire que nous ne pouvons pas connaître notre origine, mettre la main sur la « fabrication » de l’être humain ; de même Abram ne peut pas connaître l’origine de la promesse d’avenir qui le précède. Promesse d’avenir qui met en vie, en route, chaque être humain, et que nul ne peut maîtriser.

La façon dont la promesse s’accomplira est remise au déroulement d’une histoire qui n’est pas écrite d’avance. Et ceux qui réécrivent ici l’histoire de la possession de la terre savent bien qu’il y a des zones obscures dans ce passé, et qui le restent. Ainsi il va falloir justifier que les Amorites puissent être chassés du pays pour qu’Israël s’installe. On dit alors qu’il a fallu que leur iniquité arrive à son comble, ils auraient alors perdu devant Dieu leur droit au pays ?
Quant aux peuples dont la liste est plus ou moins traditionnelles que Dieu chassera pour donner le pays à la descendance d’Abram (la liste de 6 ou 7 peuples atteint ici 10 !), on trouve un mélange de peuples ennemis d’Israël dans l’histoire, de peuples inconnus, jusqu’à ces Jébusites, considérés comme les anciens habitants de Jérusalem, avant David !

Ne cherchons pas dans ces textes des réponses univoques à nos questions sur l’histoire, le mal, l’élection. Plutôt, ils sont en recherche, en interrogation comme nous. Ils fouillent les replis de l’histoire humaine (légendes comprises) dans sa complexité pour essayer de comprendre comment Dieu s’y fraie un chemin pour venir à eux, et les accompagner dans leurs propres vicissitudes !

 

*Accès au Forum : https://baptises.fr/forums-ccbf
 

 

 

 

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