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Thèmes / Paul de Tarse / Paul de Tarse, l'enfant terrible du Christianisme Feuille de route n°5

Paul de Tarse Ouvert aux discussions

Paul de Tarse, l'enfant terrible du Christianisme Feuille de route n°5

Feuille de route n°5
Période :
25 février 2025 - 26 mars 2025
Document à télécharger :

Lectures correspondant à la FDR N°5
Chapitre 7 (« En Galatie, L’épître de la colère ») ; Chapitre 8, (« Le testament de Paul aux Romains ») p. 195-253.

Galates 2, 15-21 ; 4, 1-7  et Romains 5, 1-10

 

Chapitre 7 « En Galatie, L’épître de la colère », p.195 – 229

1-Je vous laisse lire la présentation très vivante que D. Marguerat fait de la lettre aux Galates, avec notamment une critique en règle de l’attitude de Paul (p. 195) : « une rage froide » ( !?), une présentation des Galates du nord (ces « Gaulois », celtes venus de l’ouest), une population très récemment romanisée, qui ne connaît presque rien du judaïsme (p.196-197),
et surtout une explication socio-religieuse tout à fait intéressante de la séduction exercée sur les Galates  par la proposition de rites juifs identitaires donnant une visibilité sociale, et la fierté d’une religion ancienne (quand le christianisme était critiqué comme une « invention récente ») (p. 197-198).
Je modère toutefois l’idée d’une « rage froide » de Paul, alors que la lettre est passionnée et bouillante ; au point qu’au chapitre 2 certaines phrases restent inachevées, sous le coup de l’émotion en évoquant un passé encore brûlant !
Certes Paul est capable d’être injurieux envers les Galates, et il le fait en 3, 1 et surtout 5, 12 (encore qu’il ne s’agit pas des Galates mais des prédicateurs chrétiens qui l’ont concurrencé) ; mais il sait aussi dire aux Galates : « mes petits-enfants, que je mets au monde dans la douleur (c’est le verbe de l’accouchement), jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous » (4, 19) !

L’antagonisme de deux missions (p. 199-200) est bien profilé, même s’il me paraît évident que tout cela n’a pu se passer qu’avant la rencontre de Jérusalem que nous avons lue en Galates 2, 1-14, et la main de communion passée avec les colonnes Jacques, Képhas et Jean.
Mais on a bien, sur les talons de Paul, une contre mission qui vient conseiller aux Galates de donner la visibilité des rites juifs à leur foi en Jésus Christ, et de s’assurer ainsi une sorte de « garantie de salut » dans l’observation de la Loi de Moïse, en y ajoutant qu’ils trouvent aussi un père en Abraham, l’élu de Dieu !.
Ces prédicateurs judéo-chrétiens  ont certainement aussi dû mettre en cause l’authenticité de la mission paulinienne, nous avons lu la défense de Paul et la façon dont il évoque sa « vocation prophétique ». Comment Paul réagit-il ? 

L’exégèse paulinienne dans la tourmente (p. 200-203). L’excursus de DM peut vous éclairer sur la façon dont l’exégèse paulinienne a viré de bord dans les 50 dernières années. Il faut encore ajouter le fait que les savants juifs de leur côté ont redécouvert Paul, le juif, resté fidèle jusqu’au bout à la foi au Dieu d’Israël et continuant à l’occasion à pratiquer la loi de Moïse, qu’il ne dénigre jamais ; ainsi le livre de Chorin  Ben Schlomo, Paul, un regard juif sur l’apôtre des Gentils, 1970, mais traduit en français en 1999.
Jusque-là, en gros on considérait que Paul condamnait la Loi juive comme un régime de rétribution (donnant-donnant), où seuls les efforts humains pouvaient être récompensés par Dieu, tandis qu’il avait découvert le pardon premier et sans condition de Dieu, dans le Christ, abolissant désormais la Loi de Moïse, comme un esclavage insupportable..
Depuis le balancier de l’exégèse  a fait passer d’un Paul condamnant le judaïsme à un Paul resté profondément juif… Entre temps, certains auteurs ont accusé Paul d’une totale incohérence vis-à-vis de la Loi…
Comme toujours, le propos de DM a l’avantage de clarifier les questions et les trois points qu’il met en place p. 202 -203 nous aideront à avancer dans un texte, dont il ne faut jamais oublier qu’il est un texte de polémique et de combat.

Le détour paulinien (p.204), identifié dans l’ordre rhétorique par J.N. Aletti, n’est autre que ce retour au centre (le niveau le plus fondamental de la foi) que nous avons lu dans la Parole de la croix en 1 Co 1, 18, comme dans la profession de foi de 1 Co 8, 4-6.
Je passe rapidement sur L’arrachement (p. 205-206), rappel de la vocation de Paul, qui montre que Dieu seul peut dévoiler son Fils au cœur de chacun, sans aucune condition préalable.

La foi non la Loi, Le code de l’honneur (p. 207-210)
Je vous proposerai de travailler d’un peu plus près le texte fondamental de Galates 2, 15-21. Il s’inscrit dans la suite du débat avec Képhas, mais Paul ne s’adresse plus du tout à lui, mais aux Galates à qui il écrit !
L’affaire d’Antioche a dû se terminer sur une défaite, au moins à court terme pour lui, car Paull n’en dit rien. Mais ce qu’il va dire, c’est ce qui fonde toute foi chrétienne.
Pour expliquer ce texte difficile, DM fait appel au code de l’honneur si important en monde gréco-romain. La démonstration est passionnante et elle convient remarquablement à ce que Paul disait aux Corinthiens en 2, 1-5. 
Mais il faut l’accommoder à la vision du Juif Paul, et à tout ce qui a été dit d’un judaïsme qui n’est évidemment pas un légalisme étroit.
En monde juif, et dans le courant pharisien rigoriste auquel appartenait Paul, à la fois l’origine (de la tribu de Benjamin), l’éducation et la performance sont situés devant Dieu, comme des dons premiers qui doivent être valorisés et devenir une synergie avec le salut offert par Dieu.
Et je ne suis pas sûre que « la foi/confiance dans le Christ ruine la définition séculaire de l’excellence dans le judaïsme ancien ». Plutôt elle l’universalise et la transpose. 

Une histoire de malédiction ; la faillite de la Loi (p.210-213)
En 1 Co 1, 18ss, Paul a fait de la Parole de la croix le centre de sa compréhension du pardon de Dieu en Jésus crucifié, de Dieu qui vient rejoindre les exclus, les honteux, les maudits. 
Il reprend ici ce « scandale » pour les Juifs, en le retournant contre la « Loi » qui a condamné Jésus, selon ce qu’on peut lire dans le verset de Deutéronome 21, 23 « maudit quiconque est pendu au bois ».
C’est alors la Loi qui se condamne elle-même. Dès lors, comment continuer à vivre « de la Loi » ?
Je ne crois pas que Paul accuse les Juifs de « vivre » de la Loi, car on retombe alors dans la vision d’un judaïsme des mérites et de la rétribution. Or, tous savent qu’on ne peut observer « toute la Loi ».  Et je crois très juste l’analyse de J.M.G. Barclay que Marguerat cite en bas de la page 214 : 
- il est rare d’identifier un courant juif pour lequel le salut dépend de l’obéissance humaine.
-jamais dans le judaïsme, la grâce n’est octroyée inconditionnellement et sans imposer de réciprocité. »

Je souligne deux éléments : Paul règle probablement ses comptes avec le courant juif trop arrogant et élitiste auquel il appartenait ; mais il y a plus que cela, il découvre que dans le Christ crucifié, Dieu a rejoint ceux que la Loi maudit.
Je trouve beaucoup plus juste ce que DM développe p. 212 sur la faillite de la Loi, et sur le « fiasco » de son propre idéal de Pharisien. A ce titre, il y a dans sa vie désormais ce phare éblouissant : la grâce de Dieu accordée dans le Christ Jésus sans mérite préalable, et rien ne sera jamais à la hauteur de cette grâce.
Oui, DM a raison de rappeler ici le Ce n’est pas moi qui vis  (p.213), car ce qui a tout changé pour Paul, ce n’est pas la faillite de la Loi, mais la rencontre de Jésus Christ. Et, j’y reviendrai, sur ce point, car DM se prive du plus fondamental : c’est que Paul a découvert que le don de Dieu est définitivement accueilli et accepté dans notre humanité par la foi de Jésus Christ. 

Le contre sens traditionnel sur l’expression pistis Christou, maintenu dans la traduction du verset 16a et 16c p. 207, affaiblit considérablement sa démonstration.
D’où vient sa traduction d’ailleurs ? Elle n’est ni dans la TOB ni dans la NBS, ni dans la NFC, mais seulement dans la BJ (actuellement en révision d’ailleurs), et la traduction liturgique catholique (c’est un comble !).
Car ce que Paul a découvert, c’est que Jésus, le Fils, prenant en charge notre humanité l’a réajustée au Père, par sa propre foi, confiance et fidélité, tout au long de sa vie et jusqu’à la croix. Et c’est à cause du Christ (voir Philippiens 3, 7-10 que nous lirons) que nous somme réconciliés avec Dieu. On pourrait dire : parce que Jésus a fait le travail d’incarner dans notre pâte humaine l’être nouveau annoncé par les prophètes, complice avec la volonté et la loi de Dieu (Jérémie 31, 31).
Dès lors, oui, il nous est proposé d’avoir confiance, d’avoir foi en ce que Dieu a fait en Jésus Christ, d’entrer dans cette « foi du Christ », qu’il a façonnée et traçée pour nous ».
Si bien que Paul peut dire : « parce que l’être humain est réajusté à Dieu non par les œuvres de la Loi mais seulement par la foi de Jésus Christ, nous avons cru, nous aussi en Jésus Christ ». Et on comprend mieux la « mystique » de Paul : « ce n’et pas moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi » ou « pour moi vivre c’est le Christ » (Phl 1, 21).

A partir de là aussi, je suis totalement DM lorsqu’il analyse l’opposition plus anthropologique entre « vivre selon la chair » et « vivre selon l’esprit » (p.215).  Il aurait peut-être fallu citer avant « la charte paulinienne de la liberté » et de l’universalité d’une humanité une en Jésus Christ ( p.222) : « tous vous n’êtes qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3, 28).
 

Notre père Abraham (p. 217-218) et La Loi pédagogue (p.219)
Paul revisite effectivement la figure d’Abraham, qui devient le modèle de la foi comme don de Dieu inconditionnel, et il la revisite selon une excellente méthode rabbinique, déjà bien utilisée à son époque. 
Il s’oppose surtout à ce qui était devenu une figure majeure du judaïsme en ce premier siècle, qui s’appuyait sur la paternité d’Abraham (voir Jn 8, 33-42), et notamment sur les mérites d’Abraham (ainsi le targum Néfofiti à Gn 12, 3 ; Philon d’Alexandrie dans le De Abrahamo  etc.). Paul répond : la foi seule ! Mais il va surtout montrer que l’unique descendant d’Abraham, c’est le Christ (Ga 3, 16) qui permet à la foi d’Abraham de prendre dimension universelle.

Que dire alors de la Loi ? Deux bémols : le pédagogue est bien en monde grec l’esclave qui conduit les enfants à l’école, mais il est aussi et surtout celui qui enseigne les premiers éléments de lecture, et joue le rôle de répétiteur (sinon, le mot n’aurait pas eu la postérité que nous connaissons). A ce titre la Loi a joué un rôle essentiel, elle a préparé et fait attendre « la venue du Seigneur »
Et surtout, la Loi a été « ajoutée » pour manifester les transgressions ! Paul le redira en Romains 7, la Loi a fait prendre conscience de l’infidélité et du péché. Elle a ouvert la brèche, elle a creusé la conscience insatisfaite d’une incapacité humaine à être fidèle à Dieu. Ce faisant, elle a ouvert le chemin à la grâce !

Un oubli majeur ! Avant de passer à l’allégorie difficile (toujours mal comprise) de Sara et d’Hagar, je ne peux m’empêcher de souligner un manque ou un oubli majeur.
Même en lisant la suite, je ne trouve nulle part mention de ce qui pour moi est le sommet et le centre de la lettre aux Galates, sa clé de lecture aussi, le chapitre 4, 4-7
« Quand vint la plénitude du temps, Dieu a envoyé son fils, né d’une femme, né sous la Loi  afin qu’il rachète (libère) ceux qui sont sous la loi, afin que nous recevions la filiation.
Voici que vous êtes fils : Dieu a envoyé l’esprit de son fils dans nos cœur, qui crie ; « abba, père ! ».

Une expression incroyablement forte de l’incarnation du fils. On a souvent dit que Paul avait une christologie d’en bas (élévation dans la gloire par la résurrection de l’homme Jésus).
Non ! Pour Paul, l’homme juif Jésus, né d’une femme, né sous la Loi, vient de Dieu comme envoyé et fils pour « être le premier né d’une multitude de frères ». (Rm 8, 29). Ce qui éclaire autrement et de façon décisive la parole de la Croix.
Et c’est «  à cause de lui » et « en lui », en tout cas c’est la foi de Paul, et je crois des chrétiens, que tous peuvent entrer dans « cette identité ouverte si bien définie en p. 222-223 ! C’est par l’espace de salut que Jésus Christ a ouvert dans notre humanité, que nous ne pouvons plus désespérer pour personne, ni pour l’humanité. 
 

Sara et Agar (p. 220-222) Ni Juif ni Grec (p.222-224)
Ce passage a toujours donné lieu à une stigmatisation de la méthode très rabbinique de Paul. A le lire de près, on s’aperçoit que Sara n’est nulle part nommée, et que l’opposition entre la Jérusalem terrestre réduite en servitude et la Jérusalem recréée par Dieu pour sa joie est déjà présente chez les prophètes. Bien plus, le couple « femme libre vs esclave » est applicable à n’importe quelle tradition religieuse, christianisme paulinien compris, qui peut se retrouver enfermé dans la servitude de son propre égocentrisme, de son propre péché..

Car il s’agit bien d’opposer une identité fermée à une identité ouverte, selon la belle formule de DM, et la tentation de se refermer sur son identité est omniprésente dans l’histoire et dans l’Eglise jusques et y compris aujourd’hui !
Ce qui me paraît plus important encore, c’est bien d’affirmer, au contraire de ce que diront les premiers adversaires de Paul (Kerygmata Petrou, vers 120/130 ap. JC, cité vers 200 par Clément d’Alexandrie), que les chrétiens ne sont pas « un troisième genre » ou « une troisième race » (tous les mots sont piégés aujourd’hui !), mais au contraire qu’aucune identité sociale ou religieuse ne leur est étrangère ! Nous n’avons pas fini de réaliser cette affirmation paulinienne massive ! La seule condition étant d’entrer dans « la foi du Christ », et du Christ crucifié.

Quand croire c’est faire. Réussir le meilleur  (p. 224-227)
Car, il y a justement « une condition », simplement elle vient après !
En travaillant les Galates, le rabbin RIvon Krygier m’a dit un jour : « les pauliniens ont beau jeu de contester nos « œuvres », notre « synergie assumée » avec Dieu dans l’aventure du salut ; en réalité, Paul retrouve tout cela (et avec quelle intransigeance !), mais après coup ! »
Et nous sommes tombés d’accord que notre responsabilité dans l’agir éthique était la même, que nous soyons juif ou chrétien, mais que le chrétien s’appuyait sur le « déjà réalisé dans le Christ Jésus » et le juif sur la pérennité de l’Alliance !

DM conclut d’ailleurs : « à sa conception inclusive de l’Eglise, correspond une éthique inclusive (l’apogée de la morale juive et de la morale hellénistique). » (p. 226).
C’est à la fois vrai, la morale chrétienne n’a rien d’exceptionnel, mais c’est aussi discutable ; car une vertu comme l’humilité est pour les stoïciens une humiliation honteuse….Et même si le décentrement de soi et l’ouverture aux autres n’est pas l’apanage des chrétiens, loin de là, il y a eu chez ces premiers chrétiens un oubli de soi pour l’autre qui a frappé et inquiété plus d’un auteur gréco-romain !
Simplement, me semble-t-il, le chrétien, toujours infidèle, toujours incapable, peut s’appuyer sur le Christ qui donne son Esprit, et sur l’Evangile, qui n’a rien d’un manuel de morale, mais qui est un appel permanent à ce que Paul décrit comme « la liberté pour servir » ! Et qui est pour lui l’accomplissement parfait de la Loi (Galates 5, 13-18). 
Mais cela suppose une relecture sans cesse de l’Ecriture dans un dialogue permanent…

Enfin cette focalisation sur le Fils envoyé, né d’une femme et sous la Loi, confirme fortement la thèse de DM : la « justification par la foi » (celle de Jésus d’abord, la nôtre ensuite) ne fait que prolonger la Parole de la croix, en la dotant d’un nouveau langage et en l’ouvrant à un universalisme inouï : tous réajustés à Dieu par pure grâce ! (p. 228).
 

Pour achever cette première partie du parcours, je vous propose maintenant de relire ensemble 
Galates 2, 15-21 :

15Nous sommes, nous, des Juifs de naissance et non pas des païens, ces pécheurs. 16Nous savons cependant que l'homme n'est pas justifié par les œuvres de la loi, mais seulement par la foi de Jésus Christ ; nous avons cru, nous aussi, en Jésus Christ, afin d'être justifiés par la foi du Christ et non par les œuvres de la loi, parce que, par les œuvres de la loi, personne ne sera justifié. 17Mais si, en cherchant à être justifiés en Christ, nous avons été trouvés pécheurs nous aussi, Christ serait-il ministre du péché ? Certes non. 18En effet, si je rebâtis ce que j'ai détruit, c'est moi qui me constitue transgresseur. 19Car moi, c'est par la loi que je suis mort à la loi afin de vivre pour Dieu. Avec le Christ, je suis un crucifié ; 20je vis, mais ce n'est plus moi, c'est Christ qui vit en moi. Car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi du Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi. 21Je ne rends pas inutile la grâce de Dieu ; car si, par la loi, on atteint la justice, c'est donc pour rien que Christ est mort.

Je vous propose de relire ce texte, en remplaçant le verbe « justifier », création paulinienne trop chargée d’histoire et de conflits depuis la Réforme, par ce que je crois être une bonne traduction « a-juster » ou « ré-ajuster » au projet créateur (la bénédiction en Gn 1), ou plus directement à la justice de Dieu, dont nous verrons avec la lettre aux Romains qu’elle est identique à sa bonté et à sa miséricorde (Ps 143, 2LXX cité ici dans la fin du verset 16 et en Rm 3, 20).

Je vous conseille de ne pas attraper de mal de tête sur les versets 17-19, mais de considérer, comment à la fin du verset 19, Paul abandonne un raisonnement douteux, pour livrer le cœur de son expérience du Christ : la révélation déjà évoquée en 1, 16 : « Dieu a révélé son Fils en moi » :  désormais « je vis dans la foi du Fils de Dieu » !

4, 3-7
Et nous, de même, quand nous étions des enfants soumis aux éléments du monde, nous étions esclaves. 4Mais, quand est venu l'accomplissement du temps, Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme et assujetti à la loi, 5pour payer la libération de ceux qui sont assujettis à la loi, pour qu'il nous soit donné d'être fils (adoptifs). 6Fils, vous l'êtes bien : Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils, qui crie : Abba – Père ! 7Tu n'es donc plus esclave, mais fils ; et, comme fils, tu es aussi héritier : c'est l'œuvre de Dieu.

Notez l’impressionnant parallélisme des « envois » aux versets 4-5 et 6 ; on retrouvera cela en Romains 15, 7. Dieu a envoyé son Fils né d’une femme né sous la Loi pour Israël ;
Dieu a envoyé l’Esprit du Fils à tous, païens  compris ! 
En 6, après le »vous », le « nous » est inclusif.

J’ai mis « adoptifs » entre guillemets. Car il s’agit d’un mot grec, recouvrant la coutume gréco-romaine de l’adoption par le paterfamilias de l’enfant naturel, qu’il élève pour le reconnaître comme son fils. L’enfant (naturel) qui n’est pas « élevé » et donc pas « adopté » est rejeté et « exposé » au dehors pour mourir.

 

Chapitre 8,« Le testament de Paul aux Romains », p. 231-253.
Courage, pour une vingtaine de pages encore, une entrée dans la lettre aux Romains, que le parcours Galates vous aura peut-être facilitée….

Nous lirons le prologue, et le premier round !
DM en conviendrait aisément, ce n’est pas sérieux de traiter des Romains en 42 pages ! Mais il faudrait y passer 6 mois ! Je fais donc le choix avec lui de rester dans les grandes lignes et les crêtes majeures de ce « massif » ; ceux qui veulent passer 8 semaines sur Romains peuvent le faire dès ce mois de mars au CETAD cours en ligne accompagnés (prévenez moi vite), ou encore l’an prochain.
 

Paul reprend, Paul recadre. L’exception romaine. Une carte de visite  (p. 231-237).
Même s’il faut écarter davantage dans le temps la rédaction des lettres aux Galates et celle de la lettre aux Romains, il est clair que Romains surprend par son ampleur, son équilibre magistral, et sa profondeur christologique. 
On peut montrer, je crois, contre Räisänen que Paul ne se contredit pas sur le fond, et que son adaptation au contexte n’est pas celle que lui reprochera Porphyre (le traitant de « polype accroché au rocher dont la couleur change avec la mer  et le ciel », autrement dit de caméleon). La ligne de fond est bien la même, elle s’amplifie de façon spectaculaire.

Certes Romains est une exception puisque Paul y affirme avoir toujours annoncé l’Evangile « là où le nom de Christ n’a pas été prononcé » (Rm 15, 20). Or, il y a des chrétiens à Rome depuis les années 40, et il ne faut pas sous-estimer l’importance pour Paul d’une vraie réconciliation entre chrétiens venus du judaïsme et chrétiens venus du paganisme (la thèse de U. Wilckens p. 233-234). Car il y a bien un sommet de la lettre aux Romains en 15, 7 : « accueillez vous les uns les autres, comme le Christ vous a accueillis » ! Et depuis la thèse en 1, 16-17, toute l’organisation de la lettre vise à réajuster à Dieu en les réconciliant en Christ le Juif et le Grec ! Je reprendrai ici volontiers la thèse de Paul Beauchamp : Paul veut à Rome désamorcer un antijudaïsme latent qui divise la communauté ! Le climat romain y était propice. Et Paul va, tout au long de la lettre, dénoncer le risque d’un mépris d’une partie de la communauté par l’autre.  
Il est clair aussi que Paul cherche aussi à préparer un futur voyage en Espagne en trouvant à Rome un camp de base sûr (p. 235)… Il ne sait pas encore qu’il ira à Rome comme prisonnier des Romains (p. 237-238).

Le découpage de la lettre en 4 moments, dont trois d’argumentation (1-4 ; 5-8 ; 9, 11) et un d’exhortation (12-15) est clair. La présence d’une thèse principale en 1, 16-17, puis de thèses secondaires a été depuis longtemps vulgarisée par Michel Quesnel.


Le programme de l’épître : lire de près p.240 les versets de Rm 1, 16-17.

L’Evangile, la Bonne nouvelle, c’est la révélation (processus continu) de la justice de Dieu pour tous ! Et nous savons depuis 1 Corinthiens 1, 30 et Galates 2, 21, que cette « justice » c’est Jésus le Christ lui-même qui a réajusté l’humanité à Dieu. Par sa foi/fidélité et pour que nous puissions croire, c’est-à-dire entrer à notre tour dans sa foi à lui.


Sur la citation d’Habaquq, il faut savoir que le texte hébreu dit : « le juste par SA foi vivra », mais la traduction grecque : « le juste par MA fidélité vivra », Dieu parlant de sa propre fidélité, du crédit qu’il fait au juste. Paul gomme tous les adjectifs possessifs. La justice est un ajustement à Dieu qui ne peut se faire que dans le crédit que Dieu fait aux hommes, la foi du Christ qui lui a répondu, et la possibilité pour chacun d’entrer dans cet échange de foi/confiance/fidélité.

NB Le mot pistis en grec est terriblement chargé, et difficile à traduire en français. 
Chez Aristote ce sont les preuves (rhétoriques) apportées par l’orateur.
Plus largement le grec classique en fait la confiance, le crédit que l’on fait à quelqu’un (le sens de « crédit » bancaire est encore présent aujourd’hui), et finalement le garant d’un crédit : ce qui permet de faire confiance.

 

Paul développe sa thèse en deux temps :
Partie négative de 1, 19 à 3, 20 ; Partie positive de 3, 21 à 4, 25.
Et comme toujours chez Paul, ces deux temps sont moins successifs que superposés !


Partie négative : La colère de Dieu

J’adhère absolument à l’affirmation de DM : Paul ne commence pas par la colère de Dieu pour plonger son lecteur dans la culpabilité, mais pour, à la lumière de la grâce offerte, mesurer à quel point tous ont à la recevoir et à en devenir bénéficiaires !
Tous bénéficiaires de la grâce parce que tous enfermés dans le même péché !

 

NB Ce péché n’a rien d’originel, et nous y reviendrons, mais je sais gré à Paul de ne pas avoir cédé à la facilité : tous portés par nature à la perfection et au bonheur ! Non ! Il y a dans l’être humain des forces de refus, de jalousie et d’égoïsme qu’il faut regarder en face, à la lumière de la grâce qui les engloutit !

Confusion totale

En trois vagues, Paul dénonce l’idolâtrie que les Juifs stigmatisaient chez les goyim, les païens (p. 244) ; on retrouve les thèmes présents en Sagesse 13 contre tous les idolâtres.
Mais il faut préciser : une idolâtrie dont les Juifs pouvaient se rendre coupables aussi (car le veau d’or est à l’arrière-plan).
Ce qu’il faut surtout noter, c’est que les trois dénonciations de l’idolâtrie (du narcissisme notamment et de la fermeture sur soi) sont suivies d’un « c’est pourquoi Dieu les a livrés /laissés aller ». Que l’on a compris comme un châtiment de Dieu. Alors qu’il s’agit bien d’un abandon par Dieu qui laisse les hommes s’enfermer dans une pseudo-liberté qui les esclavagise ! (p. 245). Dieu les abandonne à leur propre enfermement…
Pour ma part, je crois que Le propos de Paul sur l’homosexualité  (très décriée en monde juif, plutôt valorisée en monde romain) est une figure privilégiée de ce que saint Bernard a appelé « homo recurvatus in se », et la mythologie latine le mythe de Narcisse. A se refermer sur lui-même, à s’adorer lui-même, l’être humain finit par se détruire, et par détruire l’autre qu’il veut s’accaparer. Et cela peut se vivre dans n’importe quelle forme de sexualité !

Qui es-tu toi qui juges ? (p. 245). Le chapitre 2 est le plus difficile de la lettre. Avec un début inouï : « Tu es inexcusable, toi qui juges, car en jugeant autrui tu te condamnes toi-même, car tu en fais autant, toi qui juges » (Rm 2, 1).
Qui aurait dû interdire aux Eglises chrétiennes toute forme d’exclusion quelle qu’elle soit !
La diatribe contre les comportements hypocrites de certains Juifs (et Paul règle peut-être ses comptes avec son passé) que nous lisons en 2  17-23 (p. 246) peut se retourner contre n’importe quel groupe religieux d’hier et d’aujourd’hui !

Car Paul ne s’y trompe pas « tous sans exception ni privilège » sont coupables devant Dieu.
Il n’y a pas de juste, pas un seul !
Vous allez me dire qu’il exagère… A ouvrir le journal, certains jours, on en doute…
Mais surtout, il prépare le retournement. Lisez la façon dont DM le présente en p .247-248.
Pour lui, Paul dissocie la justice de la Loi !
Je dirais les choses autrement : comme en Galates 2, 16b, Paul cite le Psaume 142 LXX :
 « car du fait des œuvres de la Loi, personne ne sera justifié (rendu juste) » (Rm 3, 20).
Mais il faut lire ce début du psaume qui oppose la justice de Dieu à son jugement ; le psalmiste demande à Dieu : « dans ta vérité écoute ma prière et dans ta justice exauce-moi. N’entre pas en jugement avec ton serviteur, car personne ne sera justifié devant toi ».
Le Psaume n’évoque pas la loi, mais le jugement de Dieu devant lequel nul ne peut tenir.
Alors il en appelle à la justice de Dieu, qui elle est miséricordieuse ; la justice, c’est la vérité de Dieu, sa fidélité, sa bonté, son amour qui pardonne sans fin !
Paul ne le dit pas encore, mais il avance ses pions, pour pouvoir retourner la situation en 3, 21ss.

L’heure de la gratuité (p.249-250)
DM a raison : un coup de théâtre, ou une sonnerie de trompette ! En tout cas le renversement longtemps attendu de tout ce qui a été dit sur la colère de Dieu. 
Avec la reprise de la thèse du v. 17 : « mais maintenant la justice de Dieu s’est manifestée »…seulement le verbe est au parfait, à l’état acquis : cette manifestation a déjà eu lieu, elle est acquise dans Jésus le Christ, et cela submerge et engloutit toute la colère qui précède.
Et il n’y a pas de différence : c’est pour tous ; d’ailleurs tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu, on le voit au moment même où elle vient éclairer leur passé trouble et le faire disparaître !
Paul utilise alors non pas une (le Kippour), mais deux figures des attentes juives qui déjà étaient utilisés pour comprendre la mort et la résurrection de Jésus : la délivrance, qui est le terme utilisé pour l’Exode, la sortie de la servitude, et le Kippour, le pardon des péchés.
Avec une grande majorité des commentateurs aujourd’hui, je ne crois pas que ce soit le point de vue de Paul, il le reprend, l’endosse s’il le faut. Mais lui a dit autrement les choses, il les a dites d’avance au v. 22 « C’est la justice de Dieu par la foi DE Jésus Christ ».
Je vous renvoie à ce que vous avez lu en Galates 2, 15-16 et 4, 4-7.

Dès lors, la réconciliation de l’humanité avec Dieu, le réajustement à Dieu de tous les humains ne touche pas seulement le présent mais aussi le passé, le temps de la patience de Dieu, lui-même assumé dans la foi de Jésus Christ.
Le meilleur exemple, paradoxal à l’excès, est que le modèle de la foi (et déjà un reflet et une façon de manifester la foi du Christ), c’est la foi d’Abraham, l’ancêtre universel.
 

Paul reprend et déploie plus largement tout ce qui avait été dit d’Abraham en Galates 3 : grâce à la lecture de Genèse 15, Paul peut montrer qu’Abraham fut ajusté à Dieu par sa foi, bien avant de recevoir la circoncision. Ce qui permet de voir en Abraham le Père de tous, circoncis et non-circoncis, qui sont embarqués dans cette foi au Dieu « qui a ressuscité des morts notre Seigneur Jésus Christ ». Autrement dit, Abraham, père de tous les croyants, est déjà pris dans la foi de Jésus Christ, la foi au Dieu qui donne et redonne sans cesse la vie !

 

Et pour finir, lisez ce texte Romains 4, 16-25, Abraham, père de tous les croyants, à travers « son unique descendance, le Christ ».

Aussi est-ce par la foi qu'on devient héritier, afin que ce soit par grâce et que la promesse demeure valable pour toute la descendance d'Abraham, non seulement pour ceux qui se réclament de la loi, mais aussi pour ceux qui se réclament de la foi d'Abraham, notre père à tous. 17En effet, il est écrit : J'ai fait de toi le père d'un grand nombre de peuples. Il est notre père devant celui en qui il a cru, le Dieu qui fait vivre les morts et appelle à l'existence ce qui n'existe pas. 18Espérant contre toute espérance, il crut et devint ainsi le père d'un grand nombre de peuples, selon la parole : Telle sera ta descendance. 19Il ne faiblit pas dans la foi en considérant son corps – il était presque centenaire – et le sein maternel de Sara, l'un et l'autre atteints par la mort. 20Devant la promesse divine, il ne succomba pas au doute, mais il fut fortifié par la foi et rendit gloire à Dieu, 21pleinement convaincu que, ce qu'il a promis, Dieu a aussi la puissance de l'accomplir. 22Voilà pourquoi cela lui fut compté comme justice. 23Or, ce n'est pas pour lui seul qu'il est écrit : Cela lui fut compté, 24mais pour nous aussi, nous à qui la foi sera comptée, puisque nous croyons en celui qui a ressuscité d'entre les morts Jésus notre Seigneur, 25livré à cause de nos fautes et ressuscité pour notre justification.