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Chapitre 5 (« Corinthe, une communauté à construire »), p. 113 – 157
1 Corinthiens 1, 10 à 2, 10 et 1 Corinthiens 11, 17 -33

 

Daniel Marguerat nous emmène à Corinthe ! Paul y est resté plus de dix-huit mois, nous allons y rester jusqu’à la fin février (en deux étapes). Cela vous donnera l’occasion de lire de grandes parties des deux lettres que nous avons conservées de la correspondance de Paul aux Corinthiens.
Commençons par le chapitre 5 du livre de D.Marguerat.


I- « Corinthe la mégapole ». Une description passionnante de la ville, détruite en 146 av. J.C., refondée par Jules César en 44 :  un siècle plus tard, Paul arrive dans une Corinthe en plein boom !
Pour conforter ce que D. Marguerat dit d’« un marché religieux ouvert et diversifié » (p.115), j’ajouterai une remarque de psycho-sociologie. Ville nouvelle, fondée probablement sur un décret d’amnistie, peuplée d’esclaves et d’hommes nouveaux, Corinthe manquait d’un passé glorieux et de lettres de noblesse. Toujours dans la comparaison avec la prestigieuse Athènes (beaucoup moins riche et peuplée, mais attirant les jeunes Romains dans ses écoles philosophiques ), les Corinthiens développaient une frustration, sur laquelle Paul n’hésitera pas à insister (« il n’y a pas beaucoup de sages, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens de bonne famille parmi vous » 1 Co 1, 28).
On comprend mieux l’accueil « enthousiaste »fait aux différentes propositions religieuses venues d’Egypte et d’Asie : isis, Sérapis, Cybèle, les cultes à mystère,… et finalement la foi chrétienne annoncée par Paul.
Très vite, Paul passe du groupe juif (où il est solidement ancré, - ses collègues fabricants de tente, Aquila et Priscille, et la synagogue) à une prédication aux Grecs. Luc le note avec finesse dans les Actes des Apôtres en disant que, chassé de la synagogue, Paul était allé parler chez le craignant-Dieu Titius Justus, « dont la maison jouxtait la synagogue » (Ac 18, 1-7) : Paul est passé de l’autre côté du mur !

D. Marguerat insiste sur la démarche difficile, « la nécessaire rupture », que le passage à l’Evangile représentait pour ces Grecs (p.118). La question va se poser vite : comment se situer dans le syncrétisme dominant de la société gréco-latine ? Pourtant, de façon frappante, on ne sent pas à Corinthe le poids des tracasseries venues de l’extérieur. Les nombreuses questions que les Corinthiens posent à Paul témoignent plutôt de conflits internes et de positions divergentes, même par rapport à la participation aux repas des sacrifices païens (1 Co 8 et 10, 23). Les chrétiens de Corinthe n’ont pas besoin d’être discriminés par leurs contemporains pour inventer très vite des discriminations multiples entre eux, et pour se diviser !

 

Peut-on parler d’un « dialogue sur le vif » ? 
En tout cas, Paul fait état des rapports qui lui ont été faits par « les gens de chez Chloé », une femme d’un milieu aisé qui devait réunir l’Eglise dans sa maison, et était en relation avec lui (1, 11), par Stéphanas, Fortunatos, Achaïkos (16, 17), il répond à des questions posées, si bien que plusieurs passages commencent par un caractéristique « Au sujet de » (7, 1 et 25 ; 8, 1 ; 12, 1 ; 15, 35 ).
De fait la lettre obéit peu au plan habituel des lettres de Paul : salutation, action de grâce, contenu doctrinal et exhortation, car les questions se pressent très vite, les unes à la suite des autres.
Il est clair aussi que les deux lettres aux Corinthiens ont été recomposées à partir de plusieurs billets cousus ensemble soit par Paul lui-même soit par ses successeurs « éditeurs » (p. 120).
Je ne renoncerai pas pour autant à trouver un fil conducteur entre ces diverses questions, et je vous propose d’être attentifs quand vous lirez la lettre d’un seul coup à la promotion progressive du mot « corps » (corps de gloire du Seigneur crucifié, corps de chaque être humain temple de l’Esprit, corps rassemblé en Eglise corps du Christ, corps ressuscité spirituel de chacun). 

II- « Une Eglise déchirée » (p. 121), la question de l’unité entre chrétiens mise à mal est bien la question centrale de l’Eglise de Dieu qui est à Corinthe. Querelles, divisions, questions de prestige et de préséance partout. Avec pour moi un constat qui s’impose : nous sommes toujours à Corinthe !
Je m’oppose toutefois à l’idée qu’il y ait eu une « chapelle intégriste » qui se réclame du Christ, je crois que c’est une erreur de traduction, je vous le montrerai sur pièce plus loin.

Je suis entièrement d’accord avec l’analyse de D. Marguerat sur les raisons de ces différends. 
Les causes sont internes : la diversité d’origine sociale de la communauté, des esclaves et des gens aisés qui pouvaient recevoir le groupe chez eux, la découverte par beaucoup (notamment les femmes et les esclaves) d’une liberté et d’une dignité nouvelles, le goût spécifiquement grec pour le débat, la parole, le goût de la performance, la fascination pour les fortes personnalités, etc…
A ces gens-là, Paul annonçait qu’ils étaient enfants de Dieu, libres et aimés, promus à un incroyable statut spirituel, promis à la vie éternelle avec Dieu ! Il faut y insister, tout cela était fascinant, pour une population avide d’avenir et de dignité.
Les Corinthiens ont bien compris Paul, ils l’ont trop bien compris : en enthousiastes, ils se sont considérés comme des purs esprits, délivrés des lourdeurs de la matière (le platonisme vulgarisé guette toujours), se sont jetés dans des concours de performances spirituelles (le parler en langue, la prophétie), quelques femmes se sont libérées, enfin, en envoyant promener les contraintes vestimentaires, le repas du Seigneur est devenu un banquet entre amis, au mépris des pauvres etc…
A deux reprises, on voit Paul corriger le tir : « Tout est permis, mais tout ne convient pas, tout est permis, mais tout n’édifie pas » (6, 12 et 10, 23). Il avait dû lancer le slogan (« en Christ, tout est permis ! ») et doit faire machine arrière toute, car il a été trop bien entendu…

Je trouve un excellent résumé de ce que DM évoque trop rapidement dans les pages 124 à 130 sous le beau titre augustinien « Soyez ce que vous êtes », dans la phrase de P. Brown (Le renoncement à la chair, Seuil, Paris1994) qui écrit avec un humour très britannique : « Au fond Paul ressemble à un homme qui se hâte de disposer des sacs de sable le long de la rive d’un torrent qui menace de tout dévaster et dont le courant, il ne le savait que trop bien, devait tout à son exemple et à son message antérieur ». Ultra paulinisme ? Paul réagit fermement.

Je regrette tout de même un peu que D. Marguerat aille tout de suite et si vite à quelques exemples marquants de divisions dans l’Eglise de Corinthe (p. 124 à 130 « Une pratique clivante de la Cène » (1 Co 11, 17-33), « Tout croyant est charismatique », « Vous êtes le corps du Christ » (1 Co 12 à 14). 
Il y montre avec clarté et fermeté quel est le geste de Paul : revenir à l’essentiel, rappeler aux Corinthiens, ce qu’implique leur nouvelle identité de disciple du Christ, ayant tout reçu par pure grâce : « le cercle des baptisés est la demeure de Dieu, son temple, ni plus ni moins » (p. 125).
Et non seulement le cercle des baptisés, mais chacun l’est aussi et doit considérer l’autre, tout autre, comme le temple du Dieu saint.
Il faut noter ici que dans tous les cas envisagés par D. Marguerat, et plus encore, Paul répond à ces Corinthiens qui se croyaient trop vite devenus des purs esprits (fascination grecque pour le monde des idées), en termes de « corporéité ». Le corps, sôma, est toujours plus ou moins décrié chez les Grecs, selon le vieil adage pythagoricien sôma sèma : « le corps est un tombeau ». Au contraire, au chapitre 6, 20, Paul souligne l’infini dignité du corps de chaque chrétien (« Glorifiez Dieu par votre corps »), au chapitre 10, 16-17 et 11, 17-33, il invite à accueillir le corps du Seigneur eucharistique et ecclésial tout à la fois, au chapitre 12, 27, l’assemblée devient corps du Christ ! Car pour Paul, le chrétien vit en régime d’incarnation : « Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme, né sous la Loi » (Ga 4, 4) !

Mais surtout, il faut avoir en tête que l’unité mise à mal par les Corinthiens contredit ce qui fonde leur foi : le dessein de Dieu annoncé dans le Christ crucifié et glorifié, ce que Paul appelle « la parole de la croix ».
 
III - Et ces chapitres 1-2-3 de la lettre, que D. Marguerat met en lumière superbement (p.130 à 141),sont le véritable porche de la lettre, et donnent la clé de lecture de tout ce qui suit.
Je vous proposerai d’en travailler de près une partie ; commençons par suivre l’analyse de ce que DM appelle « le manifeste le plus sublime de la première génération chrétienne » ; j’y souscris très volontiers.
Après une présentation structurée du texte, la question est posée : « comment trouver Dieu ? »
Je le dirais un peu autrement : les Corinthiens se fient à la parole publique, le fameux logos grec, instrument de la sagesse philosophique comme du pouvoir politique dans la cité démocratique.
Paul répond que l’Evangile n’est pas de l’ordre de cette sagesse-là, mais qu’elle est « parole (logos) de la croix » : qu’est-ce donc que la parole de la croix, principe de salut ?


« « La croix, répugnance :  nous avons tous en tête les Jésus tourmentés de Grünewald, le crucifié et ses plaies partout représenté dans les églises. Or, DM nous rappelle à quel point la croix était objet de répugnance, horreur, mépris et dérision dans la société gréco-romaine ; ajoutons que pour les Juifs le « pendu au bois » était « maudit de Dieu » (Dt 21, 23 cité en Galates 3, 10) : « la forme la plus criante du déshonneur et de l’infamie », une radicale déshumanisation (p. 132).
Rappelons-nous qu’il a fallu trois siècles pour que les chrétiens commencent à représenter des croix d’abord stylisées, puis glorieuses ! 

Les pages 133-136 (« L’échec de la quête religieuse » « Penser l’impensable ») analysent le scandale ou l’absurdité pour tous les contemporains d’une telle représentation de Dieu, en citant la formule frappante d’Elian Cuvillier : « Paul fait descendre Dieu du ciel pour le suspendre au bois d’une croix ».
Un Dieu faible, méprisé ? Un maudit de Dieu ? Scandale. Comment les Juifs auraient-ils pu croire en un tel « Messie » ?
Un crucifié, supplicié avec les esclaves et les criminels. Non-sens. Comment les Grecs en quête d’une haute sagesse philosophique auraient-ils pu se laisser convaincre par une telle absurdité ?
Paul énonce ici « la parole la plus déroutante sur le divin qui ait été donnée à l’humanité d’entendre. » Nous sommes loin de l’avoir vraiment entendue !
Mais ce n’est pas si simple… Les théologies contemporaines de la croix sont parfois difficiles à suivre jusqu’au bout. DM rappelle que cette « ligne de crête » dessinée par Paul sera très vite abandonnée. On en retrouvera quelques éclats chez des mystiques comme Maître Eckart (et je crois François d’Assise). C’est le 20ème siècle qui, après la Shoah s’en saisira, DM en donne un exemple frappant en évoquant la théologie faible de John Caputa. 
Mais une des plus belles méditations sur le Dieu faible est pour moi celle d’Etty Hillesum.

Paul en tire des conséquences inouïes : « Une Eglise inclusive », une prédication sans éclat (« Une rhétorique adaptée »)
J’ajouterai volontiers à ce qu’en dit DM que nous sommes une Eglise de gens peu fréquentable, moches… et pécheurs, mais c’est aussi là que Dieu vient nous chercher et que le Christ nous rend une incroyable fierté. Quant à la rhétorique de l’annonce, la mise en garde est salutaire, tant il est facile de se cacher sous des belles paroles. Une seule parole compte, « la Parole de la croix », celle qu’est le Christ Jésus.

 

IV- La suite du chapitre (p. 142 -157) se penche sur passages célèbres de la lettre pour en dire plus sur la nouvelle identité des disciples, dont DM affirme qu’il n’y a qu’ « une seule et même identité pour tous ». Ce qui anéantit deux des clivages principaux de la société corinthienne : le clivage social, le clivage homme/femme. Nous n’en sommes pas si loin.
Une belle démonstration résumée sous la célèbre invitation du chapitre 7.17 : « que chacun demeure… » ! 
Mais il ne faut pas oublier que cette phrase doit être traduite jusqu’au bout, non par « en l’état où », ni « dans la condition selon laquelle », mais « dans l’appel par lequel il a été appelé », ce qui est tout autre chose. Il ne s’agit pas de demeurer célibataire ou marié, esclave ou homme libre, mais de rester fidèle à l’appel qui a retourné et transformé nos vies ! 
Et cela peut se vivre dans des conditions diverses qui, bien sûr, évoluent au cours d’une existence humaine…
Je reviens aussi sur ce que DM appelle « la liberté du « comme si…pas » ( p. 144).
Ces quelques versets de Paul ont été tellement sollicités en tout sens qu’il me semble qu’il faut d’abord préciser la traduction, et je trouve que sur ce point, la référence à la distinction de D. Bonhoeffer n’est pas satisfaisante  si on ne précise pas cette traduction.
Il ne s’agit pas d’un « comme si » (faire semblant), mais d’un « en tant que » : « ceux qui ont des femmes, que ce soit en tant qu’ils ne les ont pas » ! Car nous ne devons pas considérer notre relation à l’autre (la femme ou le mari) comme une possession sur laquelle nous pouvons mettre la main, mais comme un don à recevoir, « en tant que » nous n’en sommes pas propriétaire et que nous ne pouvons pas nous l’approprier ; pas plus que nous ne devons mettre la main sur le monde qui nous est donné gratuitement et gracieusement !
Pleurer, se réjouir, utiliser, « en tant que » cela n’est pas le tout de notre existence, une possession sur laquelle nous pourrions nous refermer jalousement et que nous pourrions exploiter abusivement.


Et puis « Les femmes à Corinthe » …et ailleurs
Je suis reconnaissante à D. Marguerat d’avoir pris le temps et la peine de déminer ce sujet qui est sans cesse et sans raison reproché à Paul. Paul misogyne ou antiféministe ? Il faut ne pas l’avoir lu pour parler ainsi !
DM s’en explique longuement : « Paul s’avançait sur une ligne de crête. Il s’exposait à ne pas être compris – ce qui n’a pas manqué. » 
Je n’ai pas tout à fait la même analyse que lui du chapitre 11, 1-16, mais je laisse le débat à votre discrétion. Pour lire Paul en long, en large et en travers depuis des décennies, je témoigne que, dans l’histoire de l’Eglise, peu d’hommes ont été aussi ouverts à une collaboration pleine et entière avec les femmes. Il suffit de penser à Phoibè, patronne et diacre de l’Eglise de Cenchrées (port de Corinthe), à qui Paul confie de porter à Rome la lettre aux Romains (Rm 16, 1-2), ce qui suppose aussi de la lire et de l’expliquer aux communautés romaines ! Mesdames, mettons nous au travail !

Ceci dit, la conclusion de D.Marguerat est claire et incontournable. L’attitude de Paul (après-celle de Jésus) a été sans suite. Dès les générations suivantes, le poids de la société gréco-romaine (comme de la juive) retombe, et le couvercle se referme. Dans le Nouveau Testament déjà, les lettres à Timothée et Tite en témoignent, puis dès la fin du IIème s. Tertullien qui interdit aux femmes « de baptiser, de prêcher et de présenter les offrandes (= célébrer le repas du Seigneur) » (Du voile des vierges § 9) ! 

 

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Je vous propose maintenant de vous plonger dans quelques textes de Paul que vous venez de traverser avec D. Marguerat

1 Corinthiens 1, 10-2,10

110Mais je vous exhorte, frères, au nom de notre Seigneur Jésus Christ : soyez tous d'accord, et qu'il n'y ait pas de divisions parmi vous ; soyez bien unis dans un même esprit et dans une même pensée. 11En effet, mes frères, les gens de Chloé m'ont appris qu'il y a des discordes parmi vous. 12Je m'explique ; chacun de vous parle ainsi : « Moi j'appartiens à Paul. – Moi à Apollos. – Moi à Céphas » !  
Et bien moi, j’appartiens à Christ. 13Le Christ est-il divisé ? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? 14Dieu merci, je n'ai baptisé aucun de vous, excepté Crispus et Gaïus ; 15ainsi nul ne peut dire que vous avez été baptisés en mon nom. 16Ah si ! J'ai encore baptisé la famille de Stéphanas. Pour le reste, je n'ai baptisé personne d'autre, que je sache. 17Car Christ ne m'a pas envoyé baptiser, mais annoncer l'Evangile, et sans recourir à la sagesse de la parole, pour ne pas réduire à néant la croix du Christ.

18La parole de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d'être sauvés, pour nous, elle est puissance de Dieu. 19Car il est écrit : Je détruirai la sagesse des sages et j'anéantirai l'intelligence des intelligents. 20Où est le sage ? Où est le docteur de la loi ? Où est le raisonneur de ce siècle ? Dieu n'a-t-il pas rendue folle la sagesse du monde ? 21En effet, puisque le monde, par le moyen de la sagesse, n'a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c'est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient. 22Les Juifs demandent des signes, et les Grecs recherchent la sagesse ; 23mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, 24mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. 25Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.
26Considérez, frères, qui vous êtes, vous qui avez reçu l'appel de Dieu : il n'y a parmi vous ni beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens de bonne famille. 27Mais ce qui est folie dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre les sages ; ce qui est faible dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre ce qui est fort ; 28ce qui dans le monde est vil et méprisé, ce qui n'est pas, Dieu l'a choisi pour réduire à rien ce qui est, 29afin qu'aucune créature ne puisse tirer quelque fierté devant Dieu. 30C'est par Lui que vous êtes dans le Christ Jésus, qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification et délivrance, 31afin, comme dit l'Ecriture, que celui qui fait le fier, fasse le fier dans le Seigneur.

2 1Moi-même, quand je suis venu chez vous, frères, ce n'est pas avec le prestige de la parole ou de la sagesse que je suis venu vous annoncer le mystère de Dieu. 2Car j'ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. 3Aussi ai-je été devant vous faible, craintif et tout tremblant : 4ma parole et ma prédication n'avaient rien des discours persuasifs de la sagesse, mais elles étaient une démonstration faite par la puissance de l'Esprit, 5afin que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu.

 

6Pourtant, c'est bien une sagesse que nous enseignons aux chrétiens adultes, sagesse qui n'est pas de ce monde ni des Princes de ce monde, voués à la destruction. 7Nous enseignons la sagesse de Dieu, mystérieuse et demeurée cachée, que Dieu, avant les siècles, avait d'avance destinée à notre gloire. 8Aucun des Princes de ce monde ne l'a connue, car s'ils l'avaient connue, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de gloire. 9Mais, comme il est écrit, c'est ce que l'œil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, et ce qui n'est pas monté au cœur de l'homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment. 10En effet, c'est à nous que Dieu l'a révélé par l'Esprit. Car l'Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu. 

 

1, 12 J’ai traduit différemment de DM (et de la TOB), car le grec permet de considérer qu’il n’y a pas de 4ème groupe, mais que Paul reprend la main (« Mais, moi, j’appartiens au Christ »), pour affirmer qu’il n’y a plus qu’une seule appartenance de tous les chrétiens : ils appartiennent au Christ « au nom duquel ils ont été baptisés » (une formule d’appartenance des esclaves) et « qui a été crucifié pour eux. »

1, 17-18 Soyez attentifs au jeu sur les mots : « la sagesse de la parole » (le discours grec), « la croix du Christ », « la parole de la croix ».

Notez le geste de Paul : au lieu de répondre sur les questions d’organisation et de préséance, il emmène ailleurs les chrétiens de Corinthe, il les reconduit devant l’essentiel : Jésus Christ crucifié.

1, 21 Le verset est difficile, il s’éclaire par le développement qu’on lit en Romains 1, 19s. Dieu, dit Paul, a donné aux hommes une intelligence (une sagesse) capable de le découvrir (l’homme a découvert la divinité), mais les hommes,  connaissant Dieu, n’ont pas accepté de reconnaître en lui la source de toute vie, l’origine et la fin de leur existence. La raison humaine s’est repliée sur elle-même pour sombrer dans l’idolâtrie, la quête de divinités manipulables, ou l’auto satisfaction et la volonté de tout maîtriser.

1, 22 L’aspiration à des garanties de salut dans les deux parties de l’humanité : les actes sauveurs de Dieu pour son peuple, la sagesse des philosophes pour les gréco-romains, sont renvoyés dos à dos.
La croix est folie (non-sens) pour les uns, scandale (malédiction) pour les autres, renversement de toutes les représentations de la divinité et du salut possible pour les êtres humains.

1, 26 Le premier exemple de la folle sagesse de Dieu : vous, les sans prestige de l’Eglise de Corinthe
2, 1 Le second exemple : l’apôtre et sa prédication « craintive et tremblante » ( ?) Que s’est-il donc passé à Corinthe ?

2, 1 et 7 Le « mystère » de Dieu : Paul utilise le vocabulaire des « mystères » grecs et égyptiens, propositions de salut qui offraient un chemin d’initiation ésotérique à quelques-uns pour parvenir à la vision de la divinité ou à l’union avec elle. Il en fait le chemin de révélation par lequel Dieu conduit les hommes dans l’histoire pour les amener à rejoindre sa propre vie dans la gloire. Le sommet en est la révélation de Dieu dans le Christ crucifié…. Et ressuscité !

2, 6 Paul affirme une pré-destination : le projet de Dieu de conduire tout être humain vers sa propre vie et gloire !

2, 8 Goûtez la densité de l’expression qui allie les contraires : « ils ont crucifié le Seigneur de gloire »
(voir de même dans l’évangile de Jean, la crucifixion de Jésus qui est une élévation dans la gloire).
Mais qui peut contempler sur la face du Crucifié, la gloire même de Dieu ?
2, 9 Il y faut le don de l’Esprit saint…

 

1 Corinthiens 11, 17-33

NB Au chapitre précédent, en 10, 16-17, Paul a évoqué en deux phrases le repas du Seigneur : 
« La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas une communion au sang du Christ ?
Le pain que nous rompons, n’est-il pas une communion au corps du Christ ? Puisqu’il n’y a qu’un seul pain, nous sommes tous un seul corps, nous qui participons tous à cet unique pain ».

Où sont inséparablement et définitivement liés le pain-corps et la communauté-corps : un seul pain-un seul corps. L’Eglise ne s’en est pas toujours souvenu !

17Ceci réglé, je n'ai pas à vous féliciter : vos réunions, loin de vous faire progresser, vous font du mal. 18Tout d'abord, lorsque vous vous réunissez en assemblée, il y a parmi vous des divisions, me dit-on, et je crois que c'est en partie vrai : 19il faut même qu'il y ait des scissions parmi vous afin qu'on voie ceux d'entre vous qui résistent à cette épreuve. 20Mais quand vous vous réunissez en commun, ce n'est pas le repas du Seigneur que vous prenez. 21Car, au moment de manger, chacun se hâte de prendre son propre repas, en sorte que l'un a faim, tandis que l'autre est ivre. 22N'avez-vous donc pas de maisons pour manger et pour boire ? Ou bien méprisez-vous l'Eglise de Dieu et voulez-vous faire affront à ceux qui n'ont rien ? Que vous dire ? Faut-il vous louer ? Non, sur ce point je ne vous loue pas.

23En effet, voici ce que moi j'ai reçu du Seigneur, et ce que je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain, 24et après avoir rendu grâce, il le rompit et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi. » 25Il fit de même pour la coupe, après le repas, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang ; faites cela, toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi. » 26Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne. 

27C'est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement se rendra coupable envers le corps et le sang du Seigneur. 28Que chacun s'éprouve soi-même avant de manger ce pain et de boire cette coupe ; 29car celui qui mange et boit sans discerner le corps mange et boit sa propre condamnation. 30Voilà pourquoi il y a parmi vous tant de malades et d'infirmes, et qu'un certain nombre sont morts. 31Si nous nous examinions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés ; 32mais le Seigneur nous juge pour nous corriger, pour que nous ne soyons pas condamnés avec le monde. 33Ainsi donc, mes frères, quand vous vous réunissez pour manger, attendez-vous les uns les autres. 
34Si l'on a faim, qu'on mange chez soi, afin que vous ne vous réunissiez pas pour votre condamnation. Pour le reste, je le réglerai quand je viendrai.

 

11, 20 Notez le jugement tranché : « ce n’est pas le repas du Seigneur que vous prenez ». 
Ceux qui en excluent d’autres ne peuvent donc prétendre prendre le repas du Seigneur… 
On peut frémir : cela ne condamne-t-il pas nos eucharisties, dès lors qu’elles excluent ?
Et la leçon un peu rude que D. Marguerat fait, en haut de la p. 127, aux Eglises qui refusent l’hospitalité eucharistique me semble, hélas, méritée.

11, 23 A nouveau, Paul ne donne pas de conseil pratique, mais reconduit les chrétiens divisés à l’essentiel : ce qu’ils vivent lorsqu’ils prennent le repas du Seigneur, la proclamation de la mort du Seigneur à laquelle ils participent ensemble, en devenant son corps,  dans l’attente de son retour !

11, 29 « sans discerner le corps » : de quel corps s’agit-il ? (voir 10, 16-17)

11, 33 « attendez-vous les uns les autres », on peut traduire aussi « recevez-vous les uns les autres » !

11, 34 Un pis-aller ? 

 

Et si vous avez encore du temps et du courage, n’hésitez pas à lire le chapitre 12 de la lettre (et bien sûr 13), avec les commentaires de D. Marguerat, p. 127 à 130.
Je réagirai à vos réflexions et questions !