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Genèse – Feuille de route n°5, 15 mai– 15 juin 2023

A.Wénin, Genèse 1-11 ou les errances de l’humain,

Chapitre 5 : D’Adam à Noé (p. 166 à 207 (Genèse chapitres 5 à 9)

Chers amis,

L’année avance, notre travail de lecture aussi. Nous touchons au but !
En fait il reste deux chapitres et non un seul pour cette dernière étape, mais je vous propose la démarche suivante :

Une lecture attentive du chapitre 5 « D’Adam à Noé. Le déluge et ses suites », jusqu’au 15 juin
Du 15 au 25 juin,
un envoi que vous me ferez des questions qui restent sur tout ce que nous avons lu jusqu’ici.
Une rencontre par Zoom le jeudi 29 juin de 19h à 20h15 pour débattre ensemble de ces questions.
Ensuite pour l’été, une lecture tranquille du dernier chapitre « De Noé à Abram », avec quelques indications ci-dessous ;  de plus, ce dernier chapitre s’achève sur la mise en route de l’histoire d’Abram, à la fin de Genèse 11.
Je répondrai à vos questions durant l’été.
Ainsi nous serons à pied d’œuvre le 15 septembre pour lire la suite de la Genèse avec l’histoire d’Abraham (Genèse 12 à 25), et ouvrir le deuxième livre d’André Wénin, au titre alléchant :  Abraham ou l’apprentissage du dépouillement.

 Commençons par le chapitre 5 qui porte sur Genèse 5 à 9

Le chapitre 5 s’ouvre de façon solennelle comme le « livre des engendrements d’Adam » et renoue avec le chapitre 1 à 2, 4, les éléments principaux de la création-bénédiction étant repris (voir tableau p. 167 en bas)
Non que ce qui précède (2 à 4) ait été oublié, mais il s’agit maintenant du déploiement de l’humanité à travers les générations[1] .

A. Wénin offre alors un tableau d’ensemble des généalogies successives qui vont ponctuer les chapitres de 5 à 10. Il faudra les faire précéder d’une brève relecture de la généalogie de Caïn en 4, 17-24, et d’une première ébauche de celle d’Adam par Seth en 4, 25-26.
Le tableau de la page 169 structure en trois parties ces chapitres, selon la thématique récurrente : généalogie, mal commis ou malheurs, intervention de Dieu.
Le chapitre 5 ne traite que de la première partie, la plus longue, l’histoire de Noé, de 5,1 à 9, 29.

Généalogie de l’humain (Genèse 5)
Cette généalogie reprend d’abord celle de 4, 25-26 (voir p. 172 le tableau), où Seth est nommé non plus par Eve, mais par Adam. Seth qui est engendré à la ressemblance et image de son père humain, lui-même créé à la ressemblance de Dieu ! Dit autrement tout enfant d’humain est à la ressemblance et image de Dieu !
Il faut insister sur le fait que dans les deux cas, Seth a pour fils Enosh, un mot qui signifie aussi « être humain », comme si l’humanité (re-)commençait là, au-delà du meurtre d’ Abel par Caïn.
De plus, en 4, 26, il était dit que pour la première fois l’humanité invoquait le nom d’Adonaï, équivalent du tétragramme YHWH, ce qui est bien sûr un anachronisme massif, mais qui veut être surtout une affirmation primordiale de l’unicité du Dieu créateur de toute l’humanité, le Dieu d’Israël, le Dieu UN !

La généalogie de Seth doit alors être mise en parallèle avec celle de Caïn (voir tableau p. 174), où l’on constate, outre quelques différences (traditions diverses ?), bon nombre de recoupements, notamment Hénoch et Lamek.
Que Lamek soit présent dans la descendance de Seth, sa violence étant plutôt minimisée, montre bien que  la violence n’est absente d’aucune lignée humaine, et qu’elle reste présente dans tout être humain, comme d’ailleurs la fidélité à Dieu qu’incarnent Hénoch et Noé.
Car Hénoch est cet homme qui « alla et vint avec Dieu » et que Dieu « prit » . Dans la tradition ultérieure, Hénoch, comme Elie, passe pour ne pas être mort, et il doit revenir à la fin des temps pour rétablir le monde qui se défait. Durant deux siècles avant J.C (et un peu plus tard), une énorme littérature « hénochienne » se développera, influençant certains textes du Nouveau Testament.
Wénin fait enfin remarquer qu’en hébreu Hénoch et Noé (Noach) forment une sorte d’anagramme, rapprochant les deux patriarches.
NB -le fait que Wénin donne dans sa traduction des noms translittérés de l’hébreu, et les reprenne avec des noms francisés peut être gênant, car il faut repérer que Kahnôk est bien Hénoch par exemple !

J’ajoute une remarque : la durée de vie décroissante des patriarches fait songer aux généalogies grecques d’Hésiode (avec la dégénérescence des âges, or, argent, bronze et fer), mais ici rien de divin, à aucune époque, et une longévité qui renvoie plutôt à une possibilité d’humanité (le plus vieux restant Mathusalem, c’est bien connu).
 

Le déluge
NB
 Wénin n’aborde pas le fait que le(s) récit(s) du déluge dans la Bible sont largement influencés et démarqués de récits dans les grandes cultures environnantes (un déluge dans le mythe de Gilgamesh, dans Atrahasis), liées à des conditions géographiques en Mésopotamie notamment où les inondations gigantesques habitaient la mémoire du passé.


Un mot d’abord sur les difficiles versets 6, 1-7, avec cette histoire étrange (traces d’influences des mythologies environnantes) des Nephilîm, qui sont au choix des guerriers héros du passé ou des êtres déchus (étymologiquement « tombés ») ! Wénin avoue sa perplexité (p. 182-187), l’intérêt de son étude étant le parallélisme avec Genèse 3, 6 (p. 183), et le renversement dans le constat que fait Dieu en 1, 31 et 6, 12 (p. 187). Mais c’est bien la violence humaine qui va provoquer l’engloutissement de l’humanité : « car toute chair détruit son chemin sur la terre » (6, 12b, p. 187).

Au début de ce paragraphe, Wénin avait proposé de lire d’abord l’ensemble des chapitres 6 à 9 (p. 176-180). Vous le ferez, et vous remarquerez un certain nombre de doublets et d’incohérences : les animaux rentrent-ils deux par deux dans l’arche (6, 19 et 7, 9), ou par sept couples (7, 3) ? le déluge dure-t-il 40 jours (7, 12 et 17) ou 150 jours (8, 3) ? Noé envoie-t-il un corbeau ou une colombe ? Elohîm ou Adonaï ? etc… Preuve que deux traditions différentes du déluge ont été combinées savamment en un tout à peu près cohérent (on a la même chose en Exode 14).
Vous pouvez, à l’aide de crayons de couleur, tenter de repérer les deux récits différents, mais l’important est plutôt dans le principe de composition littéraire lui-même : la décision de rassembler et d’unifier plus ou moins des récits venus de sources diverses pour honorer cette diversité ! (voir p. 182 en haut).
Si bien que Wénin peut offrir un plan d’ensemble de l’histoire du déluge (p. 181), justement centré sur 8, 1 : « Et Elohîm se souvint… » (on retrouvera l’expression en Exode 2, 24).

Au-delà des causes du déluge (p.182-187) dont j’ai parlé un peu plus haut, vous pouvez reprendre avec Wénin la lecture du long récit de Genèse 6, 14 à 8, 22.
Le déluge est une inversion de la création du chapitre 1, puisque les barrières élevées par Dieu pour séparer les eaux d’en haut et les eaux d’en bas ont crevé (7, 11). Au fond, la violence du cosmos, que Dieu maintenait jusque-là, se déchaîne à l’égal de la violence humaine, ou à cause de la violence humaine !
Vous y retrouverez bon nombre d’éléments de la création du chapitre 1, et même la récurrence des nombres !
Et puis retour de la création au chapitre 8, 15-19 ! Avec un ordre semblable : « fructifiez et remplissez la terre » en 9, 1-3.  Pas tout à fait cependant…

En 8, 20-22, une première finale du récit du déluge était la reconnaissance exprimée par Noé dans un sacrifice (qui évoque les sacrifices du Temple), et l’apaisement du Seigneur qui s’engageait par promesse à ne plus détruire la terre (tout en restant bien conscient de la présence du mal en l’homme) : une théologie sacerdotale très caractéristique.
Wénin explique l’attitude mitigée du Seigneur en mettant en cause la pratique sacrificielle de Noé (que les prophètes dénonceront, mais que la théologie sacerdotale mettra fortement à l’honneur).
Je vous laisse juge de cette interprétation intéressante, mais à mon avis peu convaincante (p195) !

A partir de 9, une seconde version de la finale du déluge va consister en une gestion par Dieu de la violence humaine, par l’édiction de la Loi et d’un rite alimentaire qui la rappelle au quotidien.

L’alliance avec Noé
Le parallélisme de Genèse 1, 28-29 et 9, 1-3 montre bien la nouveauté : on est passé d’une nourriture purement végétale (douceur) à une nourriture carnée (donc violente).
Cette concession que Dieu fait à la violence humaine révèle le rôle de la Loi étudié de façon passionnante par Beauchamp que Wénin reprend ici : la Loi ne saurait supprimer la violence (elle ne peut l’extirper du cœur humain), mais elle tente de la contenir. C’est le rôle, d’ailleurs, de toute loi.
Au fond, la nourriture carnée (la chasse !) est une concession à la violence humaine, tandis que l’interdit reste ferme de tuer l’autre humain. La loi du talion devient ainsi le premier rempart (minimal mais réel) contre la violence humaine, puisqu’elle impose une certaine justice.
Ajoutons que le fait que la nourriture carnée est une concession qui se rappelle à chaque repas pris par une interdiction alimentaire : celle de manger le sang !
Le rite sert à rappeler la loi morale, c’est à méditer !
En espérant que la loi qui rappelle que l’humain est à l’image de Dieu aura une vertu éducatrice ! 

Noé et ses fils
L’histoire de l’ivresse de Noé et de ses trois fils permet de montrer que le mal est loin d’être éradiqué du cœur humain, et que Dieu aura fort à faire pour contenir au mieux la violence de l’humanité.
La lecture que fait Wénin de l’attitude de Cham (une conduite incestueuse qui est volonté de prendre la place du père, qui trouve plusieurs équivalents dans la suite des récits bibliques) est plutôt très convaincante.
Il néglige cependant de souligner que cette stigmatisation de Cham va avec celle de son fils  Canaan, et on sait que la terre d’Israël est antérieurement terre de Canaan, les Cananéens étant dépossédés par Dieu qui donne leur terre aux Israélites. Canaan est donc le peuple ennemi et honni par excellence. Ce qui explique le sort qui lui est réservé dans la généalogie des descendants de Noé.
Or, cette malédiction qui pèse sur Canaan et sur son père Cham a été, dans la suite de l’histoire humaine, lourde d’interprétations racistes désastreuses. Plusieurs peuples africains ont été considérés comme descendants de Cham, ce qui justifiait leur réduction en esclavage.
 Nous verrons au chapitre suivant que le texte biblique ne permet pas une telle caractérisation des descendants de Cham qui recouvrent plutôt en grande partie des peuplades à l’est d’Israël, notamment Assyriens et Babyloniens, plus que tous, ennemis d’Israël dans la suite de l’histoire.

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Quelques mots sur le chapitre 6, De Noé à Abraham, Genèse 10, 1 à 12, 4
 

Trois parties dans ce chapitre :

Une nouvelle généalogie des peuples, les descendants des trois fils de Noé, Japhet, Sem et Cham (10) (p. 209-214).
La ville et la tour de Babylone (Babel) et la dispersion des peuples sur la terre (11, 1-4) (p.215-228)
Une nouvelle généalogie de Sem jusqu’à Terakh et Abram (p. 228 à 250).
Cette dernière partie est en fait un premier jet du livre suivant, Abraham ou l’apprentissage du dépouillement. Nous le reprendrons en septembre.

Mais il est intéressant de lire les parties précédentes, qui élargissent l’histoire des clans humains au développement des grands empires (p. 209 à 228).
C’est un des descendants de Cham, Nemrod, caractérisé comme un héros (comme les Nephilîm) violent et puissant qui partira vers l’est, vers Shinear… Là où vont se rassembler les humains qui veulent construire une ville et une tour, Babel ou plus exactement Babylone. Figure parfaite de l’oppresseur babylonien qui a écrasé le Royaume de Juda.

Si l’histoire du déluge est la prototype de la façon dont Dieu cherche à contenir la violence humaine, le chapitre 11 pose la même question à propos des grands empires, puissants facteurs de civilisation.
La tentative des humains à Babylone est décrite comme une double volonté d’une part de bâtir une tour qui atteigne les cieux (ce que le serpent appelait « se faire comme des dieux » !), de l’autre une uniformisation de la parole et de la pensée.
Wénin l’analyse de façon remarquable comme l’acceptation de l’esclavage et de la servitude au service d’un projet totalitaire et paranoïaque de grandeur et de puissance.
Je rappelle que les expressions employées en hébreu : « se faire un nom », « parler d’une seule langue » se trouvent dans les discours des rois Assyriens dans leurs projets impériaux. Imposer au nom de la gloire et de la grandeur d’un peuple, une pensée unique et une parole unique, c’est, nous ne le vérifions que trop, l’expression même du pouvoir totalitaire.
Auquel il est facile de convaincre les sujets de coopérer en les associant à des tâches répétitives et abrutissantes :  « briquetons briques, et cuisons en cuisson ! ».
 L’Apocalypse s’en souviendra (voir Apocalypse ch. 13 : les deux bêtes, dont l’une est la propagande ; et ch. 18 la chute de Babylone).

Ce que la confusion des langues et la dispersion opérée par Dieu interdit.
Dieu veut une humanité diverse, formée d’êtres et de groupes différents, car seule l’altérité acceptée permet la liberté, la reconnaissance mutuelle et l’alliance.

Au jeudi 29 juin, 19h, et bonnes vacances ! 
Roselyne

 

[1] Je signale ici pour élargir le regard que le grec donne « Livre de la genèse (l’engendrement) des humains », expression qui sera reprise par Matthieu au début de son évangile :  « Livre de la genèse de Jésus Christ » (Mt 1, 1)