Genèse 6 à 9 A. Wénin ch. 5 (et 6)
Notes et réflexions n° 5 (15 mai-15 juin)
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Chers amis,
Mes notes seront brèves car je pense que nous pourrons échanger de vive voix par Zoom, à partir de vos questions, le 29 juin.
D’ici là, je vais essayer de dire quelques mots pour mettre en perspective le travail de Wénin, aborder les textes un peu autrement, pour rejoindre d’ailleurs l’essentiel de ses résultats.
Je reviens sur la double descendance d’Adam et Eve, Caïn d’un côté, avec ses descendants (liste à la fin de Genèse 4), Seth de l’autre, avec ses descendants (liste ouverte en 4, 26 puis reprise au début de Genèse 5).
En regardant le texte de près, Wénin constate que le chapitre 5 vient en fait se greffer sur 2, 24.
En fait, on a bien affaire à deux traditions différentes, non seulement de la création, mais aussi de la descendance d’Adam et Eve.
Et si enrichissante que soit la lecture narrative assez unifiée de Wénin, elle ne doit pas nous faire oublier la dimension multiforme du récit, et le caractère de réflexion ouverte que la multiplicité des traditions permet d’introduire.
D’une certaine façon, ce début du chapitre 5 a un caractère plus apaisé que le chapitre 4 ; la descendance de Seth, même lorsque sa liste croise celle de Caïn, paraît moins violente (c’est par exemple le cas de Lamek). La première croissance de l’humanité dans cette tradition était envisagée de façon moins négative.
L’auteur biblique qui a compilé tout cela a fait alors une œuvre de compromis dont l’intérêt me paraît absolument remarquable.
Car il a intégré au premier récit de création et à sa suite au chapitre 5, l’aventure de la transgression et la progression inéluctable du mal dans l’histoire humaine (2, 4 – 4,26).
Mais il montre ainsi que ce n’est qu’un aspect des choses, d’autres possibilités existent et ont peut-être existé.
Réaliste, il a aussi gardé dans la descendance de Seth les noms que l’on trouve dans celle de Caïn (p. 174), montrant ainsi, comme le dit fort bien Wénin, qu’on ne peut opposer des groupes humains mauvais à d’autres qui seraient meilleurs, mais que les choses sont mêlées partout, avec tout de même des dosages différents !
Je trouve très instructive et suggestive cette façon de recueillir les diverses traditions humaines, un patrimoine de mythes et de légendes diverses témoignant de sagesses et de réflexions millénaires, et de les garder comme en dialogue, pour souligner la complexité de l’humanité, la difficulté pour elle de maîtriser une violence sous-jacente, endémique, et qui, malgré tout semblera triompher.
En effet le chapitre 6 nous fait buter sur la tradition des « fils de Dieu », les « Néphilîm » (litt. » les tombés ») : une autre façon encore de dire que les humains veulent se faire eux-mêmes comme des dieux (ce que suggérait le serpent), et qu’ils sombrent ainsi (ils tombent !) dans la violence.
Pourtant au cours du chapitre 5, deux personnages dans la descendance de Seth balisent une possibilité de vie ajustée à la volonté divine : Hénoch (Kanokh, 5, 21-24), si accordé à l’allure de Dieu (« il alla et vint avec Dieu ») qu’il n’est pas mort, car Dieu l’a « pris » avec lui. Noé, homme juste et intègre qui, lui aussi « allait et venait avec Dieu ».
On comprend alors que le double récit du déluge, entrelaçant là encore des traditions différentes, manifeste que Dieu ne permet jamais que l’humanité soit submergée par sa propre violence.
Le mythe du déluge, connu dans les récits environnants (Gilgamesh), devient à la fois la figure de cet engloutissement et le fait que Dieu, d’avance, préserve l’humanité et le monde qu’il a créé de la disparition.
En fait la première alliance de Dieu avec les humains n’est pas l’alliance avec Noé, elle est celle de la création même. En créant le monde et les êtres humains, Dieu s’est définitivement lié à eux, engagé avec eux. Paradoxalement, l’histoire du déluge en est la preuve !
Autrement dit, ces premiers chapitres de la Bible que nous avons lus ensemble, aidés par A. Wénin, posent « en tête » que Dieu s’est pour toujours engagé dans une histoire d’amour et de fidélité avec nous. Il ne nous lâchera pas.
Le chapitre 9 enfin me paraît un jalon essentiel dans le travail de gestion et de maîtrise de la violence engagé par Dieu dès Genèse 1. Du côté des humains apparaît la loi. C’est elle qui va rendre possible l’avenir de l’humanité. Ne l’oublions jamais. Tant que l’humain n’est pas définitivement guéri de sa violence, la loi reste son seul garde-fou (lire la proposition de P. Beauchamp, p. 200).
Elle maintient et sanctionne le lien qui unit l’être humain à Dieu, c’est-à-dire qui empêche le monde et les humains de sombrer dans le chaos, sous toutes ses formes
Le chapitre 9 déploie plusieurs aspects de la loi assurant la relation avec Dieu.
-La tradition sacerdotale la voit manifestée sous la forme cultuelle du sacrifice ( 8, 20-22) : on y retrouve les notions de « pureté vs impureté » caractéristiques de la pensée sacerdotale, omniprésentes en Israël jusqu’à l’époque de Jésus.
La tradition du Deutéronome (9, 1-17) la voit manifestée dans la loi morale (l’interdiction de tuer l’autre humain), et le signe qui en est donnée dans le rite, notamment l’interdit alimentaire :
la concession faite à la violence par la possibilité d’une nourriture carnée est soulignée par l’interdiction de manger le sang -signe de la vie- qui appartient à Dieu. Chaque fois que l’humain mange de la viande, la préparation (vider le sang) lui rappelle qu’il s’agit bien d’un pis-aller, et le renvoie à l’interdit de tuer l’autre.
Je rappelle que la question des interdits alimentaires sera au cœur du débat entre les premiers chrétiens.
Enfin la nature elle-même se porte garant de la fidélité et de la douceur de Dieu : l’arc-en-ciel est l’arc irisé, merveilleux, qui vient remplacer tous les arcs guerriers… Tant que l’arc en ciel brillera sous la pluie, Dieu se souviendra de l’alliance qu’il a établie entre lui et toute chair sur la terre !
Après le déluge, après les déluges, la vie continue…