FORUM Genèse – Feuille de route n°4, 15 avril-15 mai 2023
A.Wénin, Genèse 1-11 ou les errances de l’humain,
Chapitre 4 : Caïn et sa descendance (p. 131 à 165), Genèse 4, 1-26
Chers amis, dûment ressuscités, nous continuons la route en plongeant dans l’aventure humaine !
Les auteurs bibliques sont d’une lucidité impitoyable : que se passe-t-il dès qu’il y a deux frères sur la terre ? L’un tue l’autre…
Le chapitre 4 de la Genèse en fait la démonstration avec une sobriété remarquable… mais c’est pour affirmer que cela n’empêche pas le dessein de Dieu de se déployer et l’humanité de croître et de dominer la terre.
Commencez par lire le chapitre 4 de la Genèse dans la traduction de Wénin (p. 132-134).
Essayez d’oublier ce que vous en connaissiez, essayez aussi de regarder les choses du point de vue de Caïn (l’auteur nous y invite largement), et réagissez librement au texte.
Puis reprenez le texte en lisant le chapitre 4 de Wénin.
Wénin commence par situer le chapitre par rapport au précédent, en rappelant la situation de l’homme et de la femme à la fin du chapitre 3, et un peu avant la parole de Dieu au sujet des fils de la femme (3, 16). Le tableau de 3, 16 est évidemment assez sombre, reflet évident de ce que pouvaient représenter majoritairement les grossesses et les naissances au cours des siècles. Mais j’ajoute qu’il serait dommage d’oublier la promesse qui précédait au verset 3, 15 !
Organisation du texte
Wénin le découpe en deux parties, bien balisées par la mention d’un enfantement et d’une naissance : 4, 1-16 ; 4, 17- 25. Une ou deux naissances d’ailleurs car l’expression de l’hébreu laisse supposer qu’il s’agit de jumeaux.
-L’organisation de la première partie en anneau met au centre le verset 8, meurtre d’Abel (p. 134).
Un autre tableau (p. 135) met en parallèle Genèse 3, 1-24 et 4, 1-16, suggérant que la même situation se répète à chaque génération humaine, et cela depuis le commencement !
-La seconde partie, qui ébauche des généalogies, forme aussi inclusion autour du personnage de Lamek et de ses deux femmes (19-24). Ce centre articule comme deux volets de l’existence humaine les naissances encadrent les morts violentes (p. 136).
Présentation de Caïn (p. 136-143)
La longue explication de Wénin sur la naissance de Caïn, qu’il inscrit dans l’orbite de domination et donc de violence qui a déjà minée les relations de l’homme et de la femme au chapitre 3 peut convaincre (p. 139-140). L’analyse de la réaction émerveillée d’Eve (parallèle à celle d’Adam en 2, 23) comme une mainmise possessive et incestueuse sur son fils, effaçant la présence d’Adam, me convainc moins… Chacun jugera.
L’intérêt certain est de montrer que, comme le serpent précédait les humains dans le jardin, de la même façon le mal (la violence qui tente de combler un manque ou une frustration) précède Caïn, comme il précède chaque génération humaine. Nous naissons dans un monde marqué par le mal.
Ce qui est une lecture intéressante et intelligente de ce qu’on a appelé (à tort) depuis Augustin « péché originel » !
Les noms des deux frères portent-ils déjà en germe leur avenir ? je recule un peu devant cette idée d’un « destin » écrit d’avance dans le nom.
Mais la remarque de Wénin sur l’absence totale de relation entre les frères va être vérifiée.
Reste à bien noter que les offrandes sont parallèles, pourraient être complémentaires, mais que le texte ne souligne aucune différence, et que le narrateur ne porte aucun jugement.
L’injustice d’ Adonaï (p. 143-146)
Aucune explication, aucun justification de la différence de traitement des offrandes des deux frères.
La tradition juive (et la chrétienne ensuite) s’est ingéniée à « justifier » Dieu, en chargeant Caïn de fautes dont le texte ne dit rien. Voir la lettre aux Hébreux 11, 4 : « par sa foi, Abel offrit à Dieu un sacrifice meilleur que Caïn »…
On peut aussi songer qu’on a un écho lointain du conflit immémorial entre agriculteurs et éleveurs.
Plutôt, tout est fait pour que le lecteur épouse le point de vue de Caïn : le choix de Dieu est parfaitement injuste. Wénin a raison, le texte nous renvoie à nous-même, et la situation est vraiment exemplaire de ce que nous vivons chaque jour : pourquoi l’autre (le frère) est-il plus intelligent, plus beau, en meilleure santé, plus riche et plus heureux que moi ? Alors même que j’ai bien agi, au moins autant que lui, souvent plus…
Faut-il l’expliquer par la possessivité d’une mère ? En tout cas la jalousie est vécue comme un malheur, une souffrance qu’on m’inflige. La diversité des dons, la diversité des situations humains est (et parfois devrait être) sujet de scandale ! Le croyant accuse Dieu, pour l’incroyant, l’injustice prouve son inexistence.
Le meurtre (p. 147-153)
Dans le récit de Genèse 4, Dieu prend alors l’initiative : « il ne laisse pas Caïn seul dans sa souffrance ». Mais au lieu de s’expliquer, il l’interroge, et ouvre des possibilités, des voies de sortie.
Voilà un premier point qu’il faut méditer : aider celui qui glisse vers la violence à s’arrêter et à s’interroger. Où en est-il ? où va-t-il ? Pourquoi et pour quoi va-t-il agir ?
En français, comme en hébreu, les paroles de Dieu ont quelque chose d’énigmatique. Normal ? Ou bien ce qui se passe en Caïn reste-t-il un peu obscur ?
Wénin fait des remarques lexicales et grammaticales essentielles :
-L’expression : « les faces tombent » désigne quelque chose comme la colère et la honte, en tout cas le refus ou l’impossibilité de garder la tête haute et de regarder l’autre en face.
- « Faire bien, ne pas faire bien », Wénin renvoie à 2, 18 : « Ce n’est pas bien (bon) que l’humain soit seul ! »
-Le verbe traduit par « lever » est polyvalent : porter, soulever, supporter, voire pardonner…
-Le mot « péché » employé ici en hébreu comme en grec signifie d’abord « manquer la cible, dévier ». On sort de la juste relation à l’autre, à Dieu.
-Et il est vrai que le mot « péché » féminin en hébreu est suivi d’un participe « tapi » au masculin…
« A l’ouverture » donne l’impression qu’il pourrait ne pas entrer…
-Enfin le même vocabulaire « avidité », « dominer » est bien utilisé en 4, 7b et en 3, 16 (p. 150)
Je vous laisse méditer sur ce qui est proposé à Caïn.
Il est aisé de remarquer que l’ouverture de la phrase : « Et Caïn dit vers Abel son frère : … » n’est pas suivie de parole, …mais d’un meurtre ! A tel point que la traduction grecque des Septante a ajouté une parole « Allons aux champs », et que les traducteurs modernes, TOB comprise, hélas, traduisent : « Caïn parla à son frère Abel ». Mais on ne parle pas avec celui qu’on tue.
Et merci à Wénin de nous envoyer vers la lettre de Jude, que personne n’ouvre jamais, où déjà l’agissement de Caïn et des meurtriers est comparé à celui « des bêtes sans paroles » ! (Jude 10).
Conséquences de la violence (p. 153-158)
Dieu n’abandonne pas le meurtrier (c’est aussi à méditer), et il revient à la charge : « Où est ton frère ? », écho au « Où es-tu ? » de 3, 9.
Pour ensuite engager un procès contre Caïn, à mettre évidemment en parallèle avec 3, 14-21.
Le meurtre humain entraîne la stérilité de la terre (on sait trop les ravages des guerres !), et la perte des relations et des attaches. Caïn s’engage-t-il dans une voie de repentir ?
La violence est une spirale infernale, on l’a appelée « vendetta ». Est-ce à cette spirale que Dieu tente de mettre fin en épargnant Caïn ?
Pas sûr, mais il permet au moins à Caïn de sortir de son enfermement. Une humanité en marche, violente, mais que Dieu n’a pas lâchée !
De Caïn à Lamek et à Seth (p 158-164)
Wénin souligne la sobriété et le caractère elliptique sinon très flou de la généalogie des v. 17-23.
Il est intéressant toutefois de noter que les fils de Caïn ont tous un nom bâti sur la racine du verbe « apporter, produire » ; on entre dans les diverses productions humaines au cours des siècles, techniques et arts… la liberté d’invention est à l’œuvre. On entre dans le déploiement de la civilisation avec ses réussites, ses ambiguïtés et ses échecs.
Car la violence, loin de s’éteindre, se multiplie. Le terrifiant chant de Lamek souligne l’engrenage de la violence et son expansion incontrôlable. La loi du talion viendra tenter de la limiter frontalement !
De l’autre côté de la vendetta (p. 163), la reprise des généalogies à partir d’Adam et Eve relance une espérance de vie moins défigurée.
Le dernier verset souligne-t-il cette espérance avec le nom (générique) du fils de Seth, Enosh qui signifie aussi « humain », et le début d’un culte rendu à Dieu.
Mais non pas comme on pourrait s’y attendre à la divinité (elohîm), il s’agit ici du nom du Dieu d’Israël : Adonaï est la façon dont on lit le texte qui porte le nom imprononçable de Dieu YHWH.
Dans la suite de la Torah, ce nom ne sera révélé à Moïse qu’en Exode 3, 14, et 6, 2.
Mais l’auteur biblique ne prétend pas écrire une histoire générale de l’humanité. Le récit mythique met en place les forces en présence dans l’organisation et le fonctionnement du monde tel qu’il le connaît.
La reconnaissance du nom de Dieu n’accompagne-t-elle pas la lutte immémoriale des humains contre le serpent ? Il faudra lire la suite….
Bonne lecture, et à bientôt sur le forum,
https://baptises.fr/forum-ccbf/lire-la-genese-avec-roselyne-dupont-roc
Roselyne