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A.Wénin, Genèse 1-11 ou les errances de l’humain,

Feuille de route n°2, 15 février– 15 mars 2023

Chapitre 2 : L’humain et son monde (p. 49 à 86), Genèse 2, 4-25

Chers amis,
Avant de présenter ce chapitre, un petit mot sur les errances de notre forum.
Les améliorations vont arriver. Pour le moment vos questions s’entassent sous le titre « Ajoutez un nouveau sujet de discussion ». Normalement, sous deux ou trois jours, ma réponse suit votre question. Il faut parfois descendre un peu dans les étages et les sous-sols pour retrouver l’ensemble question -réponse ; soyez tenaces, vous trouverez.
Toutefois, si après 4/5 jours, vous n’obtenez pas de réponse, envoyez-moi directement un mail :
roselyne.dupont-roc@orange.fr

 

Nous abordons le chapitre 2 à la fois de la Genèse et du livre d’André Wénin. Et avec lui une zone de turbulence.
Comme le remarque Wénin p. 50, la critique classique (disons historique, on dit aussi historico-critique), considère qu’il y a deux récits de création a priori sans liens qu’on peut attribuer à des auteurs différents ; ils utilisent chacun un genre littéraire particulier, et surtout ils relèvent d’époques et de traditions différentes, Nul ne peut le nier, et les lectures les plus fondamentalistes peinent à « harmoniser » les deux récits :
D’un côté, la grande liturgie de la création en 7 jours fondant à Babylone la pratique du respect du sabbat, et répondant aux grands mythes babyloniens de création.
De l’autre la reprise de traditions mésopotamiennes autour du dieu « potier », et jardinier, qui façonne l’humain et le place dans un jardin. Un récit de sagesse méditant sur la place et le rôle de l’humain dans le monde.

Nier la rupture serait idiot. Mais l’habileté avec lequel le rédacteur réunit les deux textes par un verset qui sert à la fois de conclusion au premier et d’introduction au second (2, 4) invite à s’interroger sur leur articulation et une éventuelle continuité.

A.Wénin propose la succession d’un récit « grand angle » pour mettre les éléments en place au ch. 1, puis d’un « zoom avant » au ch. 2. Dans les deux cas, il s’agit de situer les humains en face du Dieu créateur. J’aurais envie de dire : comment la fragilité et la finitude des humains s’inscrit-elle dans la bénédiction originelle ?

 Je vous propose de lire les pages 49 à 55.
Puis de lire le texte de Genèse 2, 4-25, en notant vos questions
Ensuite de revenir aux pages 55-86 pour reprendre et accompagner pas à pas votre lecture.
De nouvelles questions vont apparaître. Elles pourront être abordées en groupe.


Genèse 2, 4 à 17 : l’humain dans son monde.
Il me semble que la structuration que Wénin propose et son analyse de ce passage s’éclaire encore  quand on compare avec les très anciens récits mésopotamiens de création d’une humanité esclave :

Voici un extrait du mythe d’Atra Hasis (17ème s. av. JC), où les humains formés de boue sont créés (façonnés) pour servir d’esclaves chargés de labourer, semer, récolter, en vue de nourrir les dieux.
 Bref résumé : Les grands dieux veulent faire  « porter le panier » (travailler les champs) aux petits dieux ; ceux-ci, excédés, se plaignent à la déesse mère Enkil, qui, pour les décharger, va créer l'humanité :
Enkil dit aux grands dieux : « Qu'on abatte un dieu ; à sa chair et à son sang, qu'on mêle de l'argile et que naisse l'humanité. »  On abattit un dieu qui avait de l'esprit, à sa chair on mêla l'argile, et Enki dit : « J'ai enlevé votre lourde tâche, j'ai imposé à l'homme votre panier... »
D'un exemplaire du 12ème siècle :
Abattez des dieux Alla ; que leur sang produise l'humanité, que la corvée des dieux deviennent leur corvée, pour mettre la main à la houe, délimiter le champ, faire aller la rigole, entasser les grains....

 

Les rapprochements étymologiques adam/adamah sont précieux.
J’attire votre attention sur celui, moins connu, que propose Wénin. L’haleine de vie que Dieu insuffle à l’homme nishmah ne le différencie pas a priori des animaux, mais en rapprochant ce mot des « noms » (shemôt) que l’homme devra donner aux animaux, Wénin offre un sens beaucoup plus riche (je rappelle qu’en hébreu contemporain ma nishma équivaut à « comment vas-tu ? » ou « quoi de neuf ? »).
Je crois qu’il faut insister aussi, comme le fait Wénin, sur le fait que l’homme est « poussière », et de ce fait voué normalement à la mort.


Notez enfin que les deux verbes par lesquels Dieu confie à l’humain le jardin : « travailler » et « garder » sont en même temps des verbes religieux « servir » et « observer s.e. le sabbat ».
Un intéressant programme écologique !

Evidemment, l’affaire se corse avec « le précepte pour l’humain » (v. 16-17)

N'oubliez pas de revenir au v. 9, qui mettait à part l’arbre de vie et l’arbre du connaître bien et mal.
Deux débats s’ouvrent :

-Un interdit ? ou une limite mise au « tout est permis » précédent (« de tous les arbres ») ?
-Une expression ambivalente « de mort tu mourras » : menace ? mise en garde ? avertissement ?
Il me semble que cette ambivalence (volontaire ?) est liée à la diversité des lectures possibles : comment l’humain comprendra-t-il la parole de Dieu ? Et partant, quelle image se fera-t-il de Dieu ?


De quel arbre s’agit-il ? De quelle mort s’agit-il ?
Wénin propose une traduction inhabituelle, non pas  « l’arbre de la connaissance du bien/mal », bon/mauvais, mais  « l’arbre du connaître bien ou mal ».
Traduction intéressante, qui souligne que ce n’est pas la connaissance qui est interdite à l’humain (par un dieu jaloux !), mais il y a bien une mise en garde sur la façon de s’emparer du connaître, qui peut être délétère et mortelle pour l’humanité.
A dire vrai, je n’arrive pas à comprendre vraiment alors pourquoi c’est l’arbre du connaître bien Et du connaître mal qui est dangereux et délétère ! J’attends vos lectures et propositions !

La suite (ch. 4) montrera qu’en ayant la mis la main sur ce connaître bien et connaître mal, l’humain devient lui-même porteur de mort.

 

Genèse 2, 18-25 : l’humain en relation
La démonstration de Wénin nous emmène de façon remarquable loin des sentiers battus !

La structure proposée met en parallèle la présentation des animaux à l’humain, qui les nomme, mais ne trouve pas de « secours comme son vis-à-vis », et la présentation de la femme, qui forme le couple humain.
Mais il me semble que ce parallèle doit surtout servir à mettre en relief les différences :

D’un côté, Dieu « modèle » et présente les animaux à l’humain indifférencié, et le laisse les « appeler » (pourquoi traduire par « crier », alors que le verbe « appeler » est le même qui était employé pour Dieu créateur au chapitre 1 ? voir p. 59 n. 9). C’est un peu dommage !

De l’autre l’homme est saisi d’une torpeur, et Dieu construit le couple humain.
La torpeur est un mot peu fréquent, que l’on retrouve en Genèse 15, 12, lorsque Dieu fait alliance avec Abraham : elle souligne le caractère insaissable pour nous de l’origine qui est entre les mains de Dieu.
On peut objecter que dans les deux cas « Dieu fit venir les animaux /  la femme vers l’humain ».

 

Il faut le dire et le redire avec Wénin, il est parfaitement vrai qu’il n’y a pas de « côte » dans ce récit, mais bien un côté de l’adam  que Dieu construit en femme, comme Rachi l’avait bien vu (et comme déjà le texte grec l’avait traduit pleura, le côté) !
Ce qui souligne l’incomplétude de chacun et la nécessité de l’autre complémentaire et en relation face à ce « manque ».
Mais, si remarquables que soient nos efforts pour retrouver un sens plus juste au texte, il n’est pas si facile de l’arracher à la puissante tradition patriarcale et machiste qui en a influencé la rédaction !

La démonstration de Wénin sur l’accueil de la femme par l’homme et l’émerveillement très égocentré de ce dernier est fort plaisante. Trop psychologisante ? Discutable évidemment !
En tout cas la question de la domination et de la relation fusionnelle est déjà en place, dès ce moment de « création ».
Et la réaction du narrateur (Dieu ?) bien au courant des coutumes de l’époque, remet ou tente de remettre les choses en place : « l’homme quittera… »
J’ajoute que la nudité dans la Bible n’a pas caractère sexuel, elle marque la fragilité de l’être humain, et souvent l’absence de socialisation.

Tout cela est-il convaincant ? A vous d’en discuter ! En attendant la suite…

Une dernière remarque : dans la traduction grecque de la Septante, le mot qui au début désigne l’homme est anthrôpos  (l’humanité, l’humain générique) jusqu’en 2, 14 ;  c’est l’humanité que Dieu crée, mâle et femelle en 1, 27. C’est l’humanité qu’il façonne du sol en 2, 8.
Ce n’est qu’à partir du moment où Dieu parle à l’homme en 2, 15 qu’il devient Adam.

Et même si Dieu en 2, 18 dit : « il n’est pas bon que l’humain -anthrôpos- soit seul » (même chose en 2, 24), c’est ensuite l’Adam qui est plongé dans une « extase », et Dieu prend un de ses côtés, pour construire la femme qu’il lui amène (2, 21-23 et 25).


Bonne lecture, je vous attends sur le forum !
Très amicalement
Roselyne

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