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Genèse, A. Wénin ch. 2

Notes et réflexions n° 2 (15 février-15 mars)


Vous avez énormément travaillé et lu Wénin de près ; le plus souvent vous adhérez à sa lecture de la création par Dieu de l’humain, homme et femme, chacun étant à côté de l’autre , voire un côté de l’autre ! Vous avez aussi souvent repris ce qu’il voit comme fêlure ou faille qui se dessine entre l’homme et la femme du fait que l’homme ne s’adresse pas à sa femme comme à un vis-à-vis, mais la désigne par rapport à lui-même !
Certains se sont demandés si une lecture si expressément moderne et féministe du texte ne venait pas lui surimposer un débat trop moderne.  C’est indubitable, mais Wénin montre que ce débat peut être ouvert et, la raison en est, je croix, que le texte n’est pas lisse, et que les traditions qu’ils convoquent ne sont pas homogènes et permettent au moins d’ouvrir le débat !


Je vais simplement revenir sur les relations entre Dieu et les humains, puis sur la  relation entre l’homme et la femme. Et les redire à ma manière, ayant lu toutes vos réactions et questions.

Un humain façonné par Dieu, à la façon des dieux potiers des mythologies mésopotamiennes, dans un monde d’eau et de cultivateurs. Un humain fait de la poussière du sol (‘aphar, adamah) qui sera donc l’adam, auquel Dieu insuffle une haleine de vie pour qu’il soit vivant.
Concluons : privé de cette haleine, l’adam redeviendra « poussière » (3, 19).
Mais au contraire des mythes environnants, ce n’est pas d’abord l’homme qui travaille la terre, irrigue et plante le jardin, c’est Dieu qui le fait germer et en fait don aux humains, pour qu’ils le cultivent et le gardent. Je rappelle que les verbes « servir » et «  garder » en hébreu évoquent immédiatement le « service » de Dieu (le culte), et l’observance de la Loi qu’on « garde ».

Aussitôt une limite : des arbres sont plantés, l’arbre de vie au milieu du jardin, l’arbre du connaître bien et mal ; deux arbres ou un seul ? 
Je pose tout de suite que je comprends ce « connaître bien et connaître mal », comme le pouvoir de décider ce qui est bien et ce qui est mal, de juger bien ou mal (ce qui deviendra entre des mains prédatrices un pouvoir de vie et de mort).
Apparamment un seul est interdit, car sa consommation aurait pour conséquence la mort  (c’est-à-dire la perte de l’arbre de la vie !). Ils sont donc puissamment liés.

Recherche d’une aide pour l’humain dans le monde animal. Un monde animal mis sous la dépendance de l’humain qui nomme les animaux (et donc prend une sorte de pouvoir sur eux), mais pas d’aide qui soit comme son « vis-à-vis ». Pour les auteurs bibliques, l’humain ne saurait être du même ordre que le règne animal…Et la génétique contemporaine n’y peut rien !

C’est que l’humain n’est pas en mesure de dominer le monde créé tant qu’il n’est pas en lui-même en relation, ou plutôt tant qu’il n’est pas lui-même un être de relation.
Si l’on superpose les deux récits (je ne sais pas si j’ai le droit de le faire, mais en lisant le texte, je le prends), il apparaît que pour être à l’image de Dieu, il faut que l’humain devienne un être en relation, …car Dieu en lui-même est relation !


Personne d’entre vous ne semble avoir buté sur la torpeur, le sommeil profond, qui tombe alors sur l’humain. Un mot rare, qui suppose toujours une présence  de Dieu que l’être humain ne peut affronter (voir Genèse 15, 12). Une affirmation forte du fait que nous ne pouvons pas mettre la main sur notre origine…
Et Dieu va prendre un côté de l’humain pour en construite la femme et la conduire vers l’humain.
Au niveau du vocabulaire, cela coince…. Car la femme fait partie de l’humain, et on aurait aimé avoir ici « vers l’homme » ou « vers le mari ». Mais l’hébreu garde le terme adam, quitte à y voir à partir de là un nom propre : Adam !
Jusque là, égalité des deux côtés qui pourront s’entr’aider.

A partir de là, quelles sont les relations entre l’homme et la femme, Dieu s’absentant provisoirement du réctit ? 3 versets (23-25) lourds d’interprétations possibles.
On a longtemps parlé d’un émerveillement de l’homme devant la femme, avec l’exclamation : « cette fois celle-ci est l’os de mes os et la chair de ma chair », qui est indéniablement une reconnaissance de stricte équivalence, dans la charpente osseuse comme dans la fragilité et la vulnérabilité de la chair.
Il ne viendrait pas à l’idée de l’auteur biblique de parler d’égalité de nature et d’égale dignité, mais c’est bien en ces termes que nous pouvons le comprendre.

Seulement, Wénin relève que l’homme ne s’adresse pas à la femme (et c’est vrai, et on trouvera la même absence de dialogue entre Caïn et Abel), il parle d’elle. Et en la nommant, il fait d’elle son pendant féminin avec un jeu de mots ish/ishah.  On peut lire ce jeu de deux façons, soit comme à nouveau une reconnaissance d’égalité, soit comme une dépendance (le fait qu’ishah ne soit pas étymologiquement le féminin de ish  ne change rien à l’affaire).
Wénin y voit la faille que l’homme introduit aussitôt dans la relation qu’il aura avec sa femme. Je suis sensible surtout à l’absence de dialogue.

En tout cas, une voix off intervient au verset 24 : le narrateur, ou un narrateur, sur un ton sapientiel (qui rappelle la coutume ou la loi entérinée par la sagesse traditionnelle), rappelle que l’homme (ish donc l’époux) devra quitter son père et sa mère et s’attacher à sa femme (ishah) :
Ici le couple se construit en se séparant de ses parents, et c’est bien la femme qui opère la séparation si bien que son mari s’attache à elle. La loi de croissance de l’humanité, selon la tradition biblique, refuse le fusionnel, sépare les générations, et lance le couple humain vers l’avenir (la femme tirant l’homme vers celui-ci ? Je deviens pire que Wénin).
Cette voix est inouïe, dans le contexte culturel, patriarcal où le texte est élaboré. Surtout si l’on admet avec Wénin que ce qui précède suppose une mainmise culturellement répandue et acceptée du mari sur sa femme….
Par le biais de la sagesse, un débat s’ouvre…. Que la culture juive et surtout chrétienne, environnée par un monde patriarcal, a beaucoup trop vite refermé.

Pourquoi Dieu ne dit-il rien ? A-t-il parlé par la voix de la sagesse ?
Dans ce silence, le serpent va s’insinuer.

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