Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Vous les voyez couchés parmi les nations.
Que Dieu ménage un peu ces êtres débattus,
Ces cœurs pleins de tristesse et d’hésitations.
Et voici le gibier traqué dans les battues,
Les aigles abattus et les lièvres levés.
Que Dieu ménage un peu ces cœurs tant éprouvés,
Ces torses déviés, ces nuques rebattues.
Que Dieu ménage un peu ces êtres combattus,
Qu’il rappelle sa grâce et sa miséricorde.
Qu’il considère un peu ce sac et cette corde
Et ces poignets liés et ces reins courbatus.
Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Qu’ils ne soient pas pesés comme Dieu pèse un ange.
Que Dieu mette avec eux un peu de cette fange
Qu’ils étaient en principe et sont redevenus.
Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Qu’ils ne soient pas pesés comme on pèse un démon.
Que Dieu mette avec eux un peu de ce limon
Qu’ils étaient en principe et sont redevenus.
Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Qu’ils ne soient pas pesés comme on pèse un esprit.
Qu’ils soient plutôt jugés comme on juge un proscrit
Qui rentre en se cachant par des chemins perdus.
Mère voici vos fils et leur immense armée.
Qu’ils ne soient pas jugés sur leur seule misère.
Que Dieu mette avec eux un peu de cette terre
Qui les a tant perdus et qu’ils ont tant aimée.
Mère voici vos fils qui se sont tant battus
Charles Péguy