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Introduction

Lorsqu’elle est bornée à des lectures bibliques traduites en français, la pastorale pose certains problèmes de compréhension à une assemblée contemporaine. Non seulement la traduction de l’hébreu ou du grec altère le sens ou perd la qualité littéraire du texte original, mais le contexte de la société a changé. Beaucoup d’homélies ne parviennent pas à replacer les textes dans leur sens original ou à leur donner une perception compréhensible. Dans certains cas, des passages deviennent obscurs, provocants ou scandaleux comme le sacrifice d’Isaac par Abraham, les dix plaies d’Egypte ou le livre de Josué.

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Il existe une tendance des chrétiens, pratiquants ou guère, à choisir d’autres lectures, en particulier lors des célébrations importantes, de mariage ou de funérailles. Parmi la littérature moderne, cela se limite souvent à Khalil Gibran, Antoine de Saint Exupéry ou Christian Bobin, alors qu’il existe une foule d’autres auteurs, passés ou présents. L’objectif de ce chapitre du lectionnaire est de collationner des textes puisés dans la littérature française de Villon à Brassens en passant par Pascal, Teilhard de Chardin et Péguy. Un texte de qualité dans la langue de l’auditeur transmet plus que la simple sémantique des mots et des phrases, car il ouvre une dimension poétique, lyrique, imagée, seule capable de transmettre la transcendance. Au fil des siècles et jusque dans l’époque présente, les peuples de langue française ont compris le christianisme d’une certaine façon, propre à leur génie culturel.

En 363, les chrétiens de l’époque ont délimité le Nouveau Testament L’évolution rapide de la société invite à une démarche contemporaine. La révélation n’est pas un phénomène clos et le divin continue d’advenir.

  • Maurice Zundel

    L’œcuménisme, c’est-à-dire le souci de l’unité

    L’œcuménisme, c’est-à-dire le souci de l’unité qui est la vocation particulière de cette semaine, dérive de la structure personnelle de Jésus-Christ. C’est parce que Jésus-Christ est ce qu’il est, parce qu’il est le second Adam, parce qu’il embrasse toute l’humanité, parce qu’il est intérieur à chacun de nous, que nous avons la charge ou que nous sommes appelés en tout cas à porter la charge de l’unité. La meilleure preuve d’ailleurs que l’œcuménisme dérive de la structure personnelle de Jésus-Christ, c’est qu’en fait Jésus-Christ est entré dans l’Histoire en forme d’Église. Au soir du Vendredi Saint, tout est consommé sur le plan de l’Histoire visible ou, si l’on peut dire, sur le plan de l’Histoire officielle. Jésus revit sous forme d’une communauté qui embrasse tous les hommes Tout est arrêté, l’affaire est close. Ils se sont débarrassés définitivement de cet ennemi, de ce gêneur qui repose dans son tombeau. On n’entendra plus parler de lui. Et pourtant il va resurgir plus vivant que jamais, non pas dans une apparition sensationnelle, non pas en confondant les autorités avec sa survie, en leur montrant qu’il est bien là vivant, qu’ils ont manqué leur coup. Nullement ! Jésus va revivre, resurgir, prendre possession de l’Histoire en forme d’Église, c’est-à-dire dans une communauté universelle, dans une communauté œcuménique, dans une communauté dont, en droit, font partie tous les hommes. Ce n’est pas un « geste » que l’avènement du Christ dans l’Histoire. Il revit sous forme d’une communauté qui embrasse tous les hommes. C’est dire précisément qu’il est impossible d’adhérer à Jésus-Christ sans prendre en charge toute l’humanité et tout l’univers. Et cette présence du Christ à l’Histoire en forme de communauté universelle nous est d’autant plus sensible qu’elle a été exprimée par le plus juif des Juifs : Saul, devenu saint Paul, le plus hostile, le plus opposé, le plus passionnément ennemi de la communauté de l’Église naissante. C’est lui qui précisément sera retourné de fond en comble, qui sera entièrement transformé en membre du Christ en forme d’Église : « Je suis Jésus que tu persécutes » (Ac 9, 5). Et précisément cet homme qui voulait détruire la communauté naissante comme l’image de la Synagogue, deviendra le plus grand apôtre des nations, l’homme le plus passionnément adonné à une mission qui concerne tous les hommes sans exception, l’homme qui s’acharnera avec un amour inépuisable à faire tomber tous les murs de séparation.

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  • Maurice Zundel

    Les catastrophes naturelles

    Les catastrophes naturelles sont encore exploitées comme des châtiments de Dieu qui s’abattent sur l’homme pécheur ; et le pécheur est si corrompu qu’au regard de Dieu, il mérite la destruction, sauf le tout petit noyau des justes, qui assurera la survivance du genre humain, et tous les animaux qui sont nécessaires à la subsistance de l’homme. Au contraire, le récit de l’Évangile nous introduit dans le mystère de Jésus-Christ, dans le mystère de cette tentation qui préfigure déjà la passion de notre Seigneur. Dieu est engagé dans notre destinée Dans le développement des tentations, telles qu’elles sont présentées dans l’Évangile de saint Matthieu et de saint Luc, nous y voyons que notre Seigneur est mis en face d’une voie facile, la voie du miracle qui écartera toute embûche de son chemin, qui le préservera de toute souffrance et qui fera éclater comme une manifestation de la puissance de Dieu, sa qualité de Fils de Dieu. Notre Seigneur repousse ces tentations et il s’engage par-là même dans la voie de la passion. Car il y a dans la tentation comme une bifurcation pour notre Seigneur: il est au début de sa vie publique et il doit s’engager selon sa vocation et selon sa mission qui est de choisir la vie difficile qui aboutira à l’agonie, à la mort, en un mot, à un échec. Et il n’y a aucun doute que ces tentations représentent dans l’âme de notre Seigneur, dans sa sensibilité, une prédication, une préméditation de son agonie, cet effroyable combat corps à corps avec la mort, cette obscurité des ténèbres, cet horizon sans espérance, ce cri final: «Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?» Tout cela est déjà contenu en germe dans la tentation. Notre Seigneur, en choisissant cette voie, sait à quoi il s’expose. Il sait les conséquences de ce choix terrifiant. Il sait qu’il va revêtir toute la culpabilité humaine, qu’il doit faire contre-poids, par le prix de sa vie, à tous les refus d’amour à travers toute l’histoire. Et c’est là, justement, qu’éclate le contraste entre le récit du déluge et la vocation de notre Seigneur. L’auteur de la Genèse envisage Dieu, évidemment, comme étant hors-jeu. Dieu est dans son bonheur immuable, et l’humanité lui est soumise d’une manière inconditionnelle : elle ne peut que s’assujettir à ses lois, sous peine des jugements les plus terrifiants. Et, de fait, quand l’humanité transgresse, elle est punie, et sa transgression ayant atteint son sommet et son comble, le déluge va éclater et ravager toute la terre, selon les perspectives, tout au moins, des auteurs de la Genèse et au seuil de la vie publique de notre Seigneur, nous voyons, au contraire, que Dieu est engagé dans notre destinée, engagé dans notre vie, engagé dans l’histoire du monde jusqu’à la mort de la croix, car le bien n’est plus d’accomplir un commandement et de se soumettre à une loi, le bien c’est d’aimer Quelqu’un qui est l’amour, Quelqu’un qui ne cesse de s’offrir sans s’imposer jamais, Quelqu’un qui, intérieur à nous même, ne cesse de nous attendre. Et le seul mal, symétriquement, ce n’est pas seulement la désobéissance à un commandement, extérieur à nous-même, le mal c’est une blessure faite à Quelqu’un, c’est une blessure d’amour faite à l’Amour et une blessure qui aboutira finalement à la mort de Dieu. 

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  • Maurice Zundel

    Jésus, à genoux devant les apôtres

    Jésus, à genoux devant les apôtres, au lavement des pieds, nous révèle la grandeur de Dieu et de l’homme.
    On a logé Dieu dehors et on ne l’a pas encore trouvé au-dedans de nous, il est naturel qu’on refuse un Dieu extérieur qui apparaît comme une menace.
    Le passage de quelque chose à quelqu’un,
    c’est justement tout le problème de l’homme.
    La prière communautaire ne suffit pas :
    à chacun de trouver ce qui fait battre son cœur,
    ce qui l’émerveille, ce qui l’enthousiasme.
    La liberté, c’est le pouvoir de se donner.
    Si l’homme est don, il est libéré.
    Ce à quoi nous sommes invités, aujourd’hui et à tous les instants
    de notre vie, c’est d’exprimer Dieu, c’est de laisser fuser de notre cœur ce cantique de l’Éternel Amour.
    Dieu est toujours une générosité qui attend et qui attendra
    éternellement la nôtre.
    Désormais, il y a au cœur de l’histoire un « Oui » parfait qui est
    le « Oui » de Jésus-Christ, le « Oui » prononcé au nom de toute créature,
    au nom de l’univers.
    Je crois à la vie d’un Autre ! Car la vie éternelle, c’est la vie d’un Autre en moi.
    Et cette Vie en moi, cette vie d’un Autre est confiée à ma vie!
    On existe en allant vers l’autre. On n’existe que dans l’intimité de l’être aimé.
    On n’existe qu’en se donnant.
    Dieu ne veut pas la mort. Dieu la souffre plus que nous, avant nous.
    Dieu ne veut pas la douleur. Il en est la victime première.
    On ne peut vivre la messe sans emporter avec soi le désir
    de transfigurer la vie, de la rendre plus belle et les autres plus heureux.

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  • François Villon

    Dame du ciel, régente terrienne

    Dame du ciel, régente terrienne,
    Emperière des infernaux palus,
    Recevez-moi, votre humble chrétienne,
    Que comprise soie entre vos élus,
    Ce nonobstant qu’oncques rien ne valus.
    Les biens de vous, ma Dame et ma Maîtresse
    Sont bien plus grands que ne suis pécheresse,
    Sans lesquels biens âme ne peut mérir
    N’avoir les cieux. Je n’en suis jangleresse :
    En cette foi je veuil vivre et mourir.
    A votre Fils dites que je suis sienne ;
    De lui soient mes péchés abolus ;
    Pardonne moi comme à l’Egyptienne,
    Ou comme il fit au clerc Theophilus,
    Lequel par vous fut quitte et absolus,
    Combien qu’il eût au diable fait promesse
    Préservez-moi de faire jamais ce,
    Vierge portant, sans rompure encourir,
    Le sacrement qu’on célèbre à la messe :
    En cette foi je veuil vivre et mourir.
    Femme je suis pauvrette et ancienne,
    Qui riens ne sais ; oncques lettres ne lus.
    Au moutier vois, dont suis paroissienne,
    Paradis peint, où sont harpes et luths,
    Et un enfer où damnés sont boullus :
    L’un me fait peur, l’autre joie et liesse.
    La joie avoir me fais, haute Déesse,
    A qui pécheurs doivent tous recourir,
    Comblés de foi, sans feinte ne paresse :
    En cette foi je veuil vivre et mourir.
    Vous portâtes, digne Vierge, princesse,
    Iésus régnant qui n’a ni fin ni cesse.
    Le Tout-Puissant, prenant notre faiblesse,
    Laissa les cieux et nous vint secourir,
    Offrit à mort sa très chère jeunesse ;
    Notre Seigneur tel est, tel le confesse :
    En cette foi je veuil vivre et mourir.

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  • Paul Verlaine

    L’agneau cherche l’amère bruyère

    L’agneau cherche l’amère bruyère,
    C’est le sel et non le sucre qu’il préfère,
    Son pas fait le bruit d’une averse sur la poussière.
    Quand il veut un but, rien ne l’arrête,
    Brusque, il fonce avec de grands coups de sa tête,
    Puis il bêle vers sa mère accourue inquiète…
    Agneau de Dieu, qui sauves les hommes,
    Agneau de Dieu, qui nous comptes et nous nommes,
    Agneau de Dieu, vois, prends pitié de ce que nous sommes.
    Donne-nous la paix et non la guerre,
    Ô l’agneau terrible en ta juste colère.
    Ô toi, seul Agneau, Dieu le seul fils de Dieu le Père.

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  • Pierre Teilhard de Chardin

    Puisque, une fois encore Seigneu

    Puisque, une fois encore Seigneur, non plus dans les forêts de l'Aisne, mais dans les steppes d'Asie, je n'ai ni pain, ni vin, ni autel, je m'élèverai par-dessus les symboles jusqu'à la pure majesté du Réel, et je vous offrirai, moi votre prêtre, sur l'autel de la Terre entière, le travail et la peine du Monde.
    Le soleil vient d'illuminer, là-bas, la frange extrême du premier Orient.
    Une fois de plus, sous la nappe mouvante de ses feux, la surface vivante de la Terre s'éveille, frémit, et recommence son effrayant labeur.
    Je placerai sur ma patène, ô mon Dieu, la moisson attendue de ce nouvel effort.
    Je verserai dans mon calice la sève de tous les fruits qui seront aujourd'hui broyés.
    Mon calice et ma patène, ce sont les profondeurs d'une âme largement ouverte à toutes les forces qui, dans un instant, vont s'élever de tous les points du Globe et converger vers l'Esprit.
    Qu'ils viennent donc à moi, le souvenir et la mystique présence de ceux que la lumière éveille pour une nouvelle journée !
    Un à un. Seigneur, je les vois et les aime, ceux que vous m'avez donnés comme soutien et comme charme naturel de mon existence. Un à un, aussi, je les compte, les membres de cette autre et si chère famille qu'ont rassemblée peu à peu, autour de moi, à partir des éléments les plus disparates, les affinités du cœur, de la recherche scientifique et de la pensée.
    Plus confusément, mais tous sans exception, je les évoque, ceux dont la troupe anonyme forme la masse innombrable des vivants : ceux qui m'entourent et me supportent sans que je les connaisse ; ceux qui viennent et ceux qui s'en vont ; ceux-là surtout qui, dans la vérité ou à travers l'erreur, à leur bureau, à leur laboratoire ou à l'usine, croient au progrès des Choses, et poursuivront passionnément aujourd'hui la lumière.
    Cette multitude agitée, trouble ou distincte, dont l'immensité nous épouvante, — cet Océan humain, dont les lentes et monotones oscillations jettent le trouble dans les cœurs les plus croyants, je veux qu'en ce moment mon être résonne à son murmure profond. Tout ce qui va augmenter dans le Monde, au cours de cette journée, tout ce qui va diminuer, — tout ce qui va mourir, aussi, — voilà. Seigneur, ce que je m'efforce de ramasser en moi pour vous le tendre ; voilà la matière de mon sacrifice, le seul dont vous ayez envie.
    Jadis, on traînait dans votre temple les prémices des récoltes et la fleur des troupeaux.
    L'offrande que vous attendez vraiment, celle dont vous avez mystérieusement besoin chaque jour pour apaiser votre faim, pour étancher votre soif, ce n'est rien moins que l'accroissement du Monde emporté par l'universel devenir.
    Recevez, Seigneur, cette Hostie totale que la Création, mue par votre attrait, vous présente à l'aube nouvelle.
    Ce pain, notre effort, il n'est de lui-même, je le sais, qu'une désagrégation immense.
    Ce vin, notre douleur, il n'est encore, hélas qu'un dissolvant breuvage.
    Mais, au fond de cette masse informe, vous avez mis — j'en suis sûr, parce que je le sens — un irrésistible et sanctifiant désir qui nous fait tous crier, depuis l'impie jusqu'au fidèle : « Seigneur, faites-nous un ! »
    Parce que, à défaut du zèle spirituel et de la sublime pureté de vos Saints, vous m'avez donné, mon
    Dieu, une sympathie irrésistible pour tout ce qui se meut dans la matière obscure, — parce que, irrémédiablement, je reconnais en moi, bien plus qu'un enfant du Ciel, un fils de la Terre, — je monterai, ce matin, en pensée, sur les hauts lieux, chargé des espérances et des misères de ma mère ; et là, — fort d'un sacerdoce que vous seul, je le crois, m'avez donné, — sur tout ce qui, dans la Chair humaine, s'apprête à naître ou à périr sous le soleil qui monte, j'appellerai le Feu.

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  • Pierre Teilhard de Chardin

    Ne le cherchez pas en arrière

    Ne le cherchez pas en arrière, ni ici, ni là, ni dans les vestiges matériels qui vous sont naturellement chers.
    Il n’est plus là, il ne vous attend plus là. C’est en avant qu’il faut le chercher, dans la construction de votre vie renouvelée.
    Soyez lui fidèle là, et non point dans une sentimentalité rétrospective avec laquelle il faut avoir le courage de briser.
    Sa véritable trace n’est pas dans certaines manifestations de son activité. Leur disparition même, si douloureuse qu’elle puisse vous paraître, doit vous libérer, non vous déprimer.
    Non pas oublier, mais chercher en avant. Malgré tout ce que vous pouvez sentir ou croire, reconnaître avec évidence que votre vie doit se poursuivre. Je suis persuadé qu’elle commence. Décidez-vous seulement à ne plus vivre dans le passé, ce qui ne veut pas dire que vous oubliez celui-ci, mais seulement que votre manière – la vraie – de lui être fidèle doit consister à construire en avant, c’est-à-dire à être digne de lui.
    Ne vous isolez donc pas. Ne vous repliez donc pas au fond de vous-mêmes. Mais voyez le plus possible vos amis. C’est ce don qui vous libérera et vous épanouira. Je voudrais que vous trouviez nombre de gens et de choses auxquels, noblement, vous donner.

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  • Antoine de Saint Exupéry

    Bonjour, dit le renard

    Bonjour, dit le renard. - Bonjour, répondit poliment le petit prince, qui se retourna mais ne vit rien. - Je suis là, dit la voix, sous le pommier. - Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli... - Je suis un renard, dit le renard. - Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste... - Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé. - Ah ! pardon, fit le petit prince. Mais, après réflexion, il ajouta : - Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ? - Tu n'es pas d'ici, dit le renard, que cherches-tu ? - Je cherche les hommes, dit le petit prince. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ? - Les hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent. C'est bien gênant ! Ils élèvent aussi des poules. C'est leur seul intérêt. Tu cherches des poules ? - Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ? - C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie "créer des liens..." - Créer des liens ? - Bien sûr, dit le renard. Tu n'es encore pour moi qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde... - Je commence à comprendre, dit le petit prince. Il y a une fleur... je crois qu'elle m'a apprivoisé... - C'est possible, dit le renard. On voit sur la Terre toutes sortes de choses... - Oh ! ce n'est pas sur la Terre, dit le petit prince. Le renard parut très intrigué : - Sur une autre planète ? - Oui. - Il y a des chasseurs, sur cette planète-là ? - Non. - Ça, c'est intéressant ! Et des poules ? - Non. - Rien n'est parfait, soupira le renard. Mais le renard revint à son idée : - Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m'ennuie donc un peu. Mais, si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, làbas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d'or. Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé... Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince : - S'il te plaît... apprivoise-moi ! dit-il. - Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n'ai pas beaucoup de temps. J'ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître. - On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi ! - Que faut-il faire ? dit le petit prince. - Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près... Le lendemain revint le petit prince. - Il eût mieux valu revenir à la même heure, dit le renard. Si tu viens, par exemple, à quatre heures de l'après-midi, dès trois heures je commencerai d'être heureux. Plus l'heure avancera, plus je me sentirai heureux. A quatre heures, déjà, je m'agiterai et m'inquiéterai ; je découvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens n'importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m'habiller le cœur... Il faut des rites. - Qu'est-ce qu'un rite ? dit le petit prince. - C'est aussi quelque chose de trop oublié, dit le renard. C'est ce qui fait qu'un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures. Il y a un rite, par exemple, chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi avec les filles du village. Alors le jeudi est jour merveilleux ! Je vais me promener jusqu'à la vigne. Si les chasseurs dansaient n'importe quand, les jours se ressembleraient tous, et je n'aurais point de vacances. Ainsi le petit prince apprivoisa le renard.

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  • Gabriel Ringlet

    Y a-t-il quelque chose qu’on ne perde pas ?

    Y a-t-il quelque chose qu’on ne perde pas ?
    Nous avons eu la joie et la peine d’accompagner Marie jusqu’au bout, jusqu’aux portes du paradis.
    Durant tout ce cheminement, on ne peut qu’être frappé par l’expérience du dépouillement, de la désappropriation :
    Avec la retraite et l’âge avançant, il y a les problèmes de santé, les deuils : on quitte, on renonce, on se sépare.
    La désappropriation est très concrète :
    Marie a eu une hémiplégie qui a handicapé son écriture, mais elle s’est remise à faire des petits bâtons comme à l’école, pour réapprendre à maîtriser l’écriture ; elle a fait des exercices infinis pour que la marche soit possible. Elle ne s’est pas avouée vaincue par le sort !
    Mais il y a eu les yeux atteints par la macula, et les difficultés d’ouïe,
    Et vient le temps où on quitte sa maison, ses meubles, ses paysages, ses albums de photos. On renonce à l’autonomie financière, à l’organisation de son temps. Et il y a la perte de la mémoire ! la mémoire immédiate qui flanche (pas l’ancienne qui était si forte).
    On ne dépend plus que de la disponibilité des autres, de leur devoir professionnel et de leur bon cœur ! Alors quand on perd tout, qu’est-ce qui nous reste ? La vie n’est-elle qu’un chemin qui consiste à naître nu et à repartir dépouillé de tout ?
    Y a-t-il quelque chose qu’on ne perde pas ?
    On découvre alors avec clarté qu’une chose ne disparaît pas : c’est la capacité d’aimer, et qui même grandit, et qui devient la communication essentielle.
    Souvenons-nous : « Son cœur a cessé de battre. Mais il n’a point cessé d’aimer. » 

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  • Charles Péguy

    Mère voici vos fils qui se sont tant battus

    Mère voici vos fils qui se sont tant battus. 
    Vous les voyez couchés parmi les nations. 
    Que Dieu ménage un peu ces êtres débattus, 
    Ces cœurs pleins de tristesse et d’hésitations. 
    Et voici le gibier traqué dans les battues, 
    Les aigles abattus et les lièvres levés. 
    Que Dieu ménage un peu ces cœurs tant éprouvés, 
    Ces torses déviés, ces nuques rebattues. 
    Que Dieu ménage un peu ces êtres combattus, 
    Qu’il rappelle sa grâce et sa miséricorde. 
    Qu’il considère un peu ce sac et cette corde 
    Et ces poignets liés et ces reins courbatus. 
    Mère voici vos fils qui se sont tant battus. 
    Qu’ils ne soient pas pesés comme Dieu pèse un ange. 
    Que Dieu mette avec eux un peu de cette fange 
    Qu’ils étaient en principe et sont redevenus. 
    Mère voici vos fils qui se sont tant battus. 
    Qu’ils ne soient pas pesés comme on pèse un démon. 
    Que Dieu mette avec eux un peu de ce limon 
    Qu’ils étaient en principe et sont redevenus.
     Mère voici vos fils qui se sont tant battus. 
    Qu’ils ne soient pas pesés comme on pèse un esprit. 
    Qu’ils soient plutôt jugés comme on juge un proscrit 
    Qui rentre en se cachant par des chemins perdus. 
    Mère voici vos fils et leur immense armée. 
    Qu’ils ne soient pas jugés sur leur seule misère. 
    Que Dieu mette avec eux un peu de cette terre 
    Qui les a tant perdus et qu’ils ont tant aimée.

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  • Charles Péguy

    C’est embêtant, dit Dieu

    C’est embêtant, dit Dieu. Quand il n’y aura plus ces Français,
    Il y a des choses que je fais, il n’y aura plus personne pour les comprendre.
    Peuple, les peuples de la Terre te disent léger
    Parce que tu es un peuple prompt. Tu es arrivé avant que les autres soient partis. 
    Mais moi, je t’ai pesé, dit Dieu, et je ne t’ai point trouvé léger en foi.
    Tels sont les Français, dit Dieu. Ils ne sont pas sans défauts. Il s’en faut. Ils ont même beaucoup de défauts.
    Ils ont plus de défauts que les autres.
    Mais avec tous leurs défauts, je les aime encore mieux que tous les autres avec censément moins de défauts.
    Je les aime comme ils sont. Il n’y a que moi, dit Dieu, qui suis sans défauts. Mon fils et moi.
    Nos Français sont comme tout le monde, dit Dieu. Peu de saints beaucoup de pêcheurs. 
    Un saint trois pêcheurs. Et trente pêcheurs. Et trois cents pêcheurs. Et plus.
    Mais j’aime mieux un saint qui a des défauts qu’un neutre qui n’en a pas.

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  • Charles Péguy

    Il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise pensée

    Il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise pensée. C'est d'avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme. C'est d'avoir une âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que d'avoir une âme même perverse. C'est d'avoir une âme habituée.
    On a vu les jeux incroyables de la grâce pénétrer une mauvaise âme et même une âme perverse et on a vu sauver ce qui paraissait perdu. Mais on n'a pas vu mouiller ce qui était verni, on n’a pas vu traverser ce qui était imperméable, on n'a pas vu tremper ce qui était habitué... Les "honnêtes gens" ne mouillent pas à la grâce.
    C'est que précisément les plus honnêtes gens, ou simplement les honnêtes gens, ou enfin ceux qu'on nomme tels, et qui aiment à se nommer tels, n'ont point de défauts eux-mêmes dans l'armure. Ils ne sont pas blessés. Leur peau de morale, constamment intacte, leur fait un cuir et une cuirasse sans faute.
    Ils ne présentent point cette ouverture que fait une affreuse blessure, une inoubliable détresse, un regret invincible, un point de suture éternellement mal joint, une mortelle inquiétude, une invincible arrière-anxiété, une amertume secrète, un effondrement perpétuellement masqué, une cicatrice éternellement mal fermée. Ils ne présentent pas cette entrée à la grâce qu'est essentiellement le péché.
    Parce qu'ils ne sont pas blessés, ils ne sont pas vulnérables. Parce qu'ils ne manquent de rien, on ne leur apporte rien. Parce qu'ils ne manquent de rien, on ne leur apporte pas ce qui est tout. La charité même de Dieu ne panse point celui qui n'a pas de plaies.
    C'est parce qu'un homme était par terre que le Samaritain le ramassa.
    C'est parce que la face de Jésus était sale que Véronique l'essuya d'un mouchoir.
    Or celui qui n'est pas tombé ne sera jamais ramassé ; et celui qui n'est pas sale ne sera pas essuyé.

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  • Charles Péguy

    Tel est le mystère de l’homme, dit Dieu

    Tel est le mystère de l’homme, dit Dieu,
    Et de mon gouvernement envers lui et envers sa liberté.
    Qu’est-ce qu’un salut qui ne serait pas libre ?
    Comment serait-il qualifié ?
    Nous voulons que ce salut soit acquis par lui-même.
    Par lui-même, l’homme. Soit procuré par lui-même.
    Vienne en un sens de lui-même. Tel est le secret.
    Tel est le mystère de la liberté de l’homme.
    Tel est le prix que nous mettons à la liberté de l’homme.
    Parce que moi-même je suis libre, dit Dieu, et que j’ai créé l’homme à mon image et à ma ressemblance.
    Un salut qui ne serait pas libre, qui ne serait pas, qui ne viendrait pas d’un homme libre ne nous dirait plus rien.
    Qu’est-ce que ce serait ?
    Qu’est-ce que cela voudrait dire ?
    Quel intérêt un tel salut présenterait-il ?
    Une béatitude d’esclave, un salut d’esclave, une béatitude serve, en quoi voulez-vous que cela m’intéresse ?
    Aime-t-on à être aimé par des esclaves ?
    Quand on a connu d’être aimé par des hommes libres, les prosternements d’esclaves ne vous disent plus rien.
    Être aimé librement,
    Rien ne pèse de ce poids, rien ne pèse ce prix.
    C’est certainement ma plus grande invention.

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  • Charles Péguy

    La petite Espérance s’avance entre ses deux grandes sœurs

    La petite Espérance s’avance entre ses deux grandes sœurs, la Foi et la Charité,  et on ne prend pas seulement garde à elle.
    Sur le chemin du salut, sur la route entre ses deux sœurs la petite espérance
    S’avance.
    Entre ses deux grandes sœurs.
    Celle qui est mariée.
    Et celle qui est mère.
    Et l’on n’a d’attention, le peuple chrétien n’a d’attention que pour les deux grandes sœurs.
    La première et la dernière.
    Qui vont au plus pressé.
    Au temps présent.
    À l’instant momentané qui passe.
    Le peuple chrétien ne voit que les deux grandes sœurs, n’a de regard que pour les deux grandes sœurs.
    Celle qui est à droite et celle qui est à gauche.
    Et il ne voit quasiment pas celle qui est au milieu.
    La petite, celle qui va encore à l’école.
    Et qui marche.
    Perdue entre les jupes de ses sœurs.
    Et il croit volontiers que ce sont les deux grandes qui traînent la petite par la main.
    Au milieu.
    Entre les deux.
    Pour lui faire faire ce chemin raboteux du salut.
    Les aveugles qui ne voient pas au contraire.
    Que c’est elle au milieu qui entraîne ses grandes sœurs.
    Et que sans elle elles ne seraient rien.
    Que deux femmes déjà âgées.
    Deux femmes d’un certain âge.
    Fripées par la vie. 
    Sur le chemin montant, sablonneux, malaisé.
    Sur la route montante.
    Traînée, pendue aux bras de ses deux grandes sœurs,
    Qui la tiennent pas la main,
    La petite espérance.
    S’avance.
    Et au milieu entre ses deux grandes sœurs elle a l’air de se laisser traîner.
    Comme une enfant qui n’aurait pas la force de marcher.
    Et qu’on traînerait sur cette route malgré elle.
    Et en réalité c’est elle qui fait marcher les deux autres.
    Et qui les traîne.
    Et qui fait marcher tout le monde.
    Et qui le traîne.
    Car on ne travaille jamais que pour les enfants.

    Et les deux grandes ne marchent que pour la petite.

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  • Blaise Pascal

    Deux excès : exclure la raison, n'admettre que la raison

    Deux excès : exclure la raison, n'admettre que la raison Il n'y a que trois sortes de personnes : les unes qui servent Dieu, l'ayant trouvé ; les autres qui s'emploient à le chercher, ne l'ayant pas trouvé ; les autres qui vivent sans le chercher ni l'avoir trouvé. Les premiers sont raisonnables et heureux, les derniers sont fous et malheureux, ceux du milieu sont malheureux et raisonnables. La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent ; elle n'est que faible, si elle ne va jusqu'à connaître cela. Que si les choses naturelles la surpassent, que dira-t-on des surnaturelles ? Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point ; on le sait en mille choses. Je dis que le cœur aime l'être universel naturellement, et soi-même naturellement selon qu'il s'y adonne ; et il se durcit contre l'un ou l'autre à son choix. Vous avez rejeté l'un et conservé l’autre : est-ce par raison que vous vous aimez : ? C'est le cœur qui sent Dieu, non la raison. Voilà ce que c'est que la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison

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  • Blaise Pascal

    Nous ne tenons jamais au temps présen

    Nous ne tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours, où nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt, si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont point nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient, et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexions le seul qui subsiste C’est que le présent d’ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu’il nous afflige, et s’il nous est agréable nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver. Que chacun examine ses pensées. Il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent, et si nous y pensons ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin. Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux il est inévitable que nous ne le soyons jamais

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  • Blaise Pascal

    Que l’homme contemple donc la nature entière

    Que l’homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu’il éloigne sa vue des objets bas qui l’environnent. Qu’il regarde cette éclatante lumière mise comme une lampe éternelle pour éclairer l’univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit et qu’il s’étonne de ce que ce vaste tour lui-même n’est qu’une pointe très délicate à l’égard de celui que ces astres, qui roulent dans le firmament, embrassent. Mais si notre vue s’arrête là que l’imagination passe outre, elle se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir. Tout ce monde visible n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la nature. Nulle idée n’en approche, nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n’enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin c’est le plus grand caractère sensible de la toute-puissance de Dieu que notre imagination se perde dans cette pensée. 

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  • Blaise Pascal

    En voyant l’aveuglement et la misère de l’homme

    En voyant l’aveuglement et la misère de l’homme, en regardant tout l’univers muet, et l’homme sans lumière, abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l’univers sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance, j’entre en effroi comme un homme qu’on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui s’éveillerait sans connaître où il est, et sans moyen d’en sortir. Et sur cela j’admire comment on n’entre point en désespoir d’un si misérable état. 
    Je vois d’autres personnes auprès de moi d’une semblable nature : je leur demande s’ils sont mieux instruits que moi, ils me disent que non ; et sur cela, ces misérables égarés, ayant regardé autour d’eux, et ayant vu quelques objets plaisants, s’y sont donnés et s’y sont attachés. Pour moi, je n’ai pu y prendre d’attache, et, considérant combien il y a plus d’apparence qu’il y a autre chose que ce que je vois, j’ai recherché si Dieu n’aurait pas laissé quelque marque de soi. 

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  • Victor Hugo

    Ne dites pas : mourir ; dites : naître

    Ne dites pas : mourir ; dites : naître. Croyez.
    On voit ce que je vois et ce que vous voyez ;
    On est l’homme mauvais que je suis, que vous êtes ;
    On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fêtes ;
    On tâche d’oublier le bas, la fin, l’écueil,
    La sombre égalité du mal et du cercueil ;
    Quoique le plus petit vaille le plus prospère ;
    Car tous les hommes sont les fils du même père ;
    Ils sont la même larme et sortent du même œil.
    On vit, usant ses jours à se remplir d’orgueil ;
    On marche, on court, on rêve, on souffre, on penche, on tombe,
    On monte. Quelle est donc cette aube ? C’est la tombe.
    Où suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnu
    Vous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu,
    Impur, hideux, noué des mille nœuds funèbres
    De ses torts, de ses maux honteux, de ses ténèbres ;
    Et soudain on entend quelqu’un dans l’infini
    Qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est béni,
    Sans voir la main d’où tombe à notre âme méchante
    L’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante.
    On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent
    Fondre et vivre ; et, d’extase et d’azur s’emplissant,
    Tout notre être frémit de la défaite étrange
    Du monstre qui devient dans la lumière un ange.

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  • Joseph Folliet

    Heureux celui qui chemine avec les autres

    Heureux celui qui chemine avec les autres, en se rappelant la lenteur de son propre cheminement.
    Heureux celui qui se croyait exclu et qui s'est senti écouté et accueilli,
    Heureux qui sait écouter la richesse inédite des autres.
    Heureux qui, parlant des pauvres et des exclus, quand ils sont lointains, ne reste pas sourd à leurs cris et à leurs paroles quand ils sont proches.
    Heureux celui qui accepte d'exposer ses idées tout en acceptant que les autres refusent d'y adhérer.
    Heureux celui qui ne se prend pas pour le centre de l'Humanité.
    Heureux celui qui, sans craindre les épreuves, s'enracine dans la patience, sans jamais se lasser de faire de petits pas pour rencontrer enfin les autres.
    Heureux celui qui a souci de cohérence entre ce qu'il dit et ce qu'il fait, entre ses combats personnels et ceux qu'il mène, entre son attention aux personnes et ses actions sur les structures.
    Heureux qui s'en remet chaque jour à Dieu dans la prière, il sera efficace par la grâce de Dieu.
    Heureux celui qui est humble. Il aimera comme Dieu.
    Heureux celui qui espère toujours : il trouvera la route qui mène au cœur des autres et de Dieu.

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  • Raymond Devos

    J'ai lu quelque part : "Dieu existe, je l'ai rencontré !"

    J'ai lu quelque part : "Dieu existe, je l'ai rencontré !" Ça alors ! Ça m'étonne ! Que Dieu existe, la question ne se pose pas ! Mais que quelqu'un l'ai rencontré avant moi, voilà qui me surprend ! Parce que j'ai eu le privilège de rencontrer Dieu juste à un moment où je doutais de lui ! Dans un petit village de Lozère abandonné des hommes, il n'y avait plus personne. Et en passant devant la vieille église, poussé par je ne sais quel instinct, je suis entré... Et, là, j'ai été ébloui... par une lumière intense... insoutenable ! C'était Dieu... Dieu en personne, Dieu qui priait ! Je me suis dit : "Qui prie-t-il ? Il ne se prie pas lui-même ? Pas lui ? Pas Dieu !" Non ! Il priait l'homme ! Il me priait, moi ! Il doutait de moi comme j'avais douté de lui ! Il disait : - Ô homme ! si tu existes, un signe de toi ! J'ai dit : -Mon Dieu, je suis là ! Il a dit : -Miracle ! Une humaine apparition ! Je lui ai dit : - Mais mon Dieu... comment pouvez-vous douter de l'existence de l'homme, puisque c'est vous qui l'avez créé ? Il m'a dit : - Oui... mais il y a si longtemps que je n'en ai pas vu un dans mon église... que je me demandais si ce n'était pas une vue de l'esprit ! Je lui ai dit : - Vous voilà rassuré, mon Dieu ! Il m'a dit : - Oui ! Je vais pouvoir leur dire là-haut : "L'homme existe, je l'ai rencontré »

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  • Patrice de la Tour du Pin

    Seigneur, au seuil de cette nuit

    Seigneur, au seuil de cette nuit Nous venons te rendre l’esprit Et la confiance ; Bientôt nous ne pourrons plus rien, Nous les mettons entre tes mains Afin qu’en Toi, nos vies demain Prennent naissance Ce jour en train de décliner Tu nous donnes de le tourner Vers le mystère Qui fit le premier soir avant La première aube sur les temps. Et chaque soir au soir suivant Dit la lumière Rappelle-toi lorsque tu vins Dans le vent de la nui au jardin De la Genèse, afin que l’homme trouve au cœur Un nouveau jour, plus intérieur Qui le rappelle à son Seigneur Quand l’autre baisse. Tu ne l’as pas abandonné, Ton esprit de feu dans la nuée Resta fidèle ; Et puis le ciel s’est découvert Quand tu pris chair de notre chair Quand tu donnas à l’univers Sa nuit nouvelle. Surtout Jésus rappelle-toi. Descendant encore plus bas À la mort même ; Puisque tout est renouvelé Laisse ce soir nos cœurs aller Dans cette que paix que tu promets A ceux qui t’aiment.

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  • Patrice de la Tour du Pin

    Tourné vers toi, je t’expose ma charge

    Tourné vers toi, je t’expose ma charge : par ta lumière, allège-la ! Puisque mon temps n’est pas achevé à son terme, mon histoire à son dénouement, Puisqu’à toute vie pour sa mort, tu découvres ton avenir, Á mesure que je le dépense, ton héritage peut grandir. Oui, je le crois, mais aide ma parole, serre-la sur la tienne pour la protéger. Car sans toi ma défaite est irrévocable, je me détacherai, la désertion me tentera. Lorsque je fus noué dans le sein de ma mère, ne me formais-tu pas pour l’alliance avec toi ? Et quand d’autres nœuds se dénouèrent, ne m’as-tu pas greffé sur celui de la vie ? Tu n’es pas Dieu à bloquer ses approches, mais qui veut te prendre est saisi. Et que puis-je ajouter à ton nom de Seigneur ? Des mots, des inflexions, tout l’inutile de ma voix. Mon Dieu, tu n’es pas un Dieu triste, ta nuit brûle de joie. 

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  • Patrice de la Tour du Pin

    Mon Dieu, reprends ton souffle à notre ami

    Mon Dieu, reprends ton souffle à notre ami, Dégage-le de l’odeur de la mort. Tu l’as donné gratuit, reprends-le de même. Mets d’abord à son compte que nous l’aimons. Nous n’avons pas à te le présenter. Nous ne montrons que ce qu’il nous a donné. Rassemble ses bontés, elles t’appartiennent. Ne l’isole pas de nos prières pour le juger. Devant la mort, nous ne savons que toi, Nous prenons souffle à l’espérance, Là où déjà beaucoup des tiens sont à demeure : Qu’ils accueillent notre ami et l’entourent. Oublie qu’il t’oubliait, Seigneur, Rappelle-toi qu’il t’appelait. Reprends son souffle et tiens-le pour ami : Tes amis te le demandent.

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