Parution
Vivre l’Évangile : Chemins croisés de laïcs dominicains
Sous la direction de Gilles Berrut, Catherine Masson, Jean-René Barthélémy
Cerf – août 2024 – 275 p. – 22€
Dès 1207, la mission de saint Dominique s’inscrit auprès des laïcs, avec l’engagement d’un couple en lien avec le premier monastère de femmes. Au fil des siècles, l’ordre dominicain va se développer dans toute l’Europe avec des fraternités de laïcs qui s’engagent par des vœux, prêchent par leur mode de vie et prient ensemble souvent en récitant le Rosaire. Leur règle a évolué au fil des siècles, la règle actuelle date de 1985. Depuis 1964 on ne parle plus de tiers ordre mais de fraternités laïques.
Cet engagement de laïcs dans l’ordre des Prêcheurs est illustré par vingt-cinq portraits, parmi lesquels la figure la plus célèbre et la plus inspirante est celle de Catherine de Sienne. Citons-en quelques autres.
Rose de Lima,béatifiée en 1671, prend l’habit du tiers ordre à 20 ans et se consacre aux Indiens et aux enfants abandonnés de Lima.
Benoîte Rencurel est une bergère à qui la Vierge apparaît (Notre-Dame du Laus). Elle accueille et conseille les pèlerins qui viennent au Laus.
Catherine Larrige, béatifiée en 1996, mène très jeune une vie de pauvre dans une mansarde du Cantal où le tiers ordre est très implanté et engagé dans l’enseignement, le soin des malades, la veille des morts. À la Révolution elle morigène les prêtres réfractaires et soutient ceux qui sont restés fidèles, accompagnant l’un d’eux à l’échafaud. Au péril de sa vie, elle transmet des messages, transporte l’eucharistie, trouve un prêtre pour un baptême, ruse pour ne pas se faire prendre… jusqu’à ce qu’elle connaisse le tribunal révolutionnaire et la prison.
Le général Manuel Belgrano, l’un des principaux acteurs de l’indépendance d’Argentine, incite ses troupes à prier la Vierge et milite pour l’éducation comme assurance contre l’esclavage.
En 1872, Marguerite de Blic lance avec l’abbé Chocarne ce qui deviendra les pèlerinages du Rosaire à Lourdes.
Sophie Charlotte de Bavière, duchesse d’Alençon, est morte dans l’incendie du Bazar de la Charité en 1897 après avoir sauvé beaucoup de vies.
À la Belle Époque, Liane de Pougy, d’abord danseuse de cabaret et courtisane à la vie scandaleuse, se consacrera aux soins des handicapés mentaux et se dépouillera de tout pour mener une vie de pauvreté.
Maurice Denis, peintre célèbre créateur du groupe des Nabis, fait « parler » l’Évangile à travers sa peinture, et anime une communauté d’artistes chrétiens.
Sigrid Undset, femme de lettres et romancière norvégienne, milite pour que les femmes aient la liberté de s’accomplir.
Catherine Abrikossova fonde un foyer d’influence dominicaine à Moscou, bientôt démantelé par la persécution de Staline et, accusée d’espionnage, elle sera envoyée dans un camp en Sibérie.
Citons enfin la figure surprenante et passionnante de Giorgio la Pira (1904-1977), député démocrate-chrétien et maire de Florence. Tout en menant une vie érémitique, il se consacre au dialogue pour la paix et à la promotion d’un groupe de réflexion sur les fondements d’une société conforme à la volonté de Dieu.
À travers la diversité étonnante de ces personnes et de leur parcours, on est frappé par la similitude des points forts de leurs engagements : une relation personnelle et intime avec Dieu, l’attention aux petits et aux pauvres, la capacité de s’engager et de prendre parti, une spiritualité inscrite dans le concret et une vie de fraternité.
Il ressort de cette galerie de portraits une « modernité » très stimulante pour le chrétien contemporain. À l’heure où l’on se pose tant de questions sur les ministères et la place des laïcs dans l’Église, il est étonnant de constater combien, encore une fois, les ordres religieux ont été novateurs. Ces laïcs, oblats ou membres de tiers ordres, n’ont pas de « titre » mais ils puisent, dans la spiritualité, l’écoute des problèmes et des cris de leur époque, dans une fraternité vécue, leur capacité de présence et d’évangélisation.
