François Euvé – Quel avenir pour le christianisme ?
Salvator – octobre 2023 - 206 p. – 20 €
Les chrétiens sont minoritaires et l’Église est décrédibilisée ; pourtant nos contemporains sont en quête de sens et de spirituel. Face à ce défi, François Euvé, jésuite, rédacteur en chef de la revue Études, a une conviction : il faut fonder la démarche chrétienne sur une relation interpersonnelle, comme le faisait Jésus, afin de rejoindre, comme lui, l’humanité tout entière dans une « fraternité universelle ». Cela suppose, de la part du « missionnaire », qu’il accepte d’être déplacé par l’autre. Ainsi l’Église doit être en dialogue avec le monde sous la forme d’une coopération dans le respect de l’autonomie réciproque. Et avec une vision non pas concentrique mais décentrée et polyèdre, comme l’exprime le pape François.
Après ces fondements, François Euvé se livre à un diagnostic des évolutions de la société notamment dans quatre secteurs : l’écologie, les relations entre le masculin et le féminin, la demande de démocratie et l’inquiétude face à l’avenir. L’auteur se réfère beaucoup aux analyses de Danièle Hervieu-Léger et d’Olivier Roy sur la « sortie de la religion » dans nos sociétés sécularisées, couplée à un certain retour du religieux au niveau individuel. Bref, « la religion n’est plus qu’un secteur social parmi d’autres… et non ce qui donne sens à l’ensemble ».
Mais la sécularisation est trompeuse quand elle fait comme si la religion n’avait plus rien à voir ni à faire avec la société. François Euvé rappelle que le christianisme est à l’origine de la valorisation de la personne, de sa liberté, de sa conscience. Cette liberté n’est pas absolue, elle est souvent blessée et parfois corrompue, et « l’Église intervient pour éduquer à la liberté ».
De même il est illusoire de croire que l’on puisse vivre ensemble sans consensus. Le christianisme peut apporter une vision universelle, non pas en surplomb, mais dans « une conception dialogale de la vérité » qui s’élabore en commun. On en revient au fondement énoncé sur la manière de faire et de se comporter de Jésus. Certes il y a le dogmatisme du corpus, mais le dogmatisme de l’attitude doit être modulé par le dialogue, le cheminement commun vers la vérité, tout en prenant en considération ceux qui peinent à entrer dans le corpus dogmatique. Cela exige de se décentrer, d’aimer et de se mettre en route ensemble.
Mais alors quelle place pour la tradition ? Elle n’est pas un corps inerte mais « une réalité incarnée » qui bouge et opère des mutations ; le sensus fidelium, le sens des fidèles, a son mot à dire. Là encore le comportement de Jésus est un modèle. Le concile Vatican II a une portée pastorale qui suppose une adaptation du message au destinataire. Ainsi les Apôtres ont eu des pas nouveaux à franchir, dans des situations inédites qui n’étaient pas prévues mais qui répondaient aux circonstances, comme l’épisode de Pierre et du centurion Corneille dans les Actes des Apôtres.
François Euvé conclut par des propositions en référence aux quatre points énumérés au début :
- L’écologie : « Dominez la terre » ? Oui, mais en sortant de l’anthropocentrisme.
- Les relations entre les hommes et les femmes : après avoir débusqué les préjugés, on pourra s’inspirer des ressources de la tradition chrétienne d’égalité et sortir de cette culture patriarcale.
- La demande démocratique : l’Église n’est pas une démocratie car la vérité ne relève pas pour elle d’un avis majoritaire. Cependant Vatican II a mis fin au schéma classique de la chrétienté en proclamant le sacerdoce commun des baptisés.
- Face à l’avenir incertain, le christianisme peut apporter une espérance qui se fonde sur la résurrection, la victoire du Christ sur la mort. L’espoir est centré sur nous-mêmes, tandis que l’espérance est une traversée qui suppose un renoncement, un abandon de toute puissance.
Ce ne sont pas des propositions révolutionnaires mais, on l’aura compris, le propos d’Euvé est d’inviter à toujours se resituer en dialogue avec l’autre. Et dans le souffle de l’Esprit inauguré par le Concile.