Patrick C. Goujon, Prière de ne pas abuser
Éditions du Seuil – octobre 2021 – 96 pages – 12€
Prière de ne pas abuser. Que cache ce titre énigmatique ? Il s'agit du récit – pudique, mezza voce – de l'arrivée au niveau de la conscience, des profondeurs où ils étaient occultés, des crimes subis pendant l'enfance de la part d'un prêtre.
De longues années, la mémoire semble n'en avoir gardé aucune trace. Mais le corps, lui, « parlait » : des douleurs récurrentes, depuis l'enfance, sans explication médicale, douleurs que rien ne soigne.
Enfin vient le temps de la révélation : « Je ne savais pas que je m'étais tu... la parole n'est pas venue ! » – « Vous vous êtes anesthésié. Votre corps vous protège, avant la rupture », lui déclare un jour son médecin. Orienté dès lors vers un centre anti-douleur, peu à peu il voit les souffrances s’estomper, la porte des souvenirs s'entrouvre et bientôt le passé s'impose. Le déni n'est qu'un voile qui protège, mais il endommage aussi, constate-t-il.
Alors viennent le doute – les faits sont-ils réels ? –, la honte - – j'ai été souillé –, puis la culpabilité – avais-je éprouvé du plaisir ? – et, enfin, une remise en question cruciale : « Suis-je devenu prêtre à cause de cette violence, pour m’en protéger ? » Heureusement la réponse à cette dernière question est parfaitement claire : le choix de vie est authentique, fruit de rencontres profondes, et de la volonté d'aller vers les autres et de les accompagner.
Pour rendre justice à l'enfant blessé, l'homme mûr décide de parler : apprendre à croire à l'incroyable violence subie pour écrire aux évêques concernés et porter plainte auprès du procureur.
Alors sont décrites d'une part l'évolution de l'enquête judiciaire – les faits sont juridiquement établis mais il y a malheureusement prescription –, d'autre part la lente reconstruction vers l'apaisement qu'accompagne la reconnaissance des faits par l’Église : « Je vis, mais avec des blessures. Je peux vivre avec des cicatrices mais je ne peux pas recréer ce qui a été détruit. »
Ce livre bouleversant souligne, s'il en était besoin, à quel point les victimes sont atteintes, quelles difficultés abyssales elles doivent affronter, et montre qu'il est grand temps de les accueillir, les écouter et les accompagner, sinon vers la guérison, du moins vers une certaine paix intérieure.
À lire absolument.
Joël Agaisse, au nom du Comité de lecture