Cette « Note de lecture » vous invite à vous procurer l’ouvrage, à le lire, afin de pouvoir voter pour le livre de votre choix, parmi les « bons livres » proposés par la Conférence.
Régine et Guy Ringwald, La Bataille d’Osorno
Éditions Temps Présent/ Golias – octobre 2020 – 290 p. – 19 €
La Bataille d’Osorno renvoie au combat mené par des laïcs dans la ville d’Osorno, au sud du Chili, en 2015. Ils refusaient la nomination de Mgr Juan Barros dans leur diocèse, au point de troubler la cérémonie d’installation et d’occuper la cathédrale.
Comment était-on arrivé à cette situation explosive ? Il faut revenir en arrière, au temps de la dictature de Pinochet, à l’époque où Fernando Karadima était le curé charismatique de la paroisse d’un quartier huppé de Santiago, El Bosque, fréquentée par des étudiants et des séminaristes. Ce curé s’était livré, pendant de nombreuses années, à des abus de pouvoir et des abus sexuels. Juan Barros avait été témoin de ces agissements et les avait couverts. Dans les années 2004-2006, plusieurs plaintes sont déposées contre Karadima à l’archevêché. En 2010, au cours d’une émission télévisée, trois victimes, Juan Carlos Cruz, Jose Andres Murillo et James Hamilton, dénoncent publiquement les agressions dont ils ont été victimes dans leur jeunesse. C’est le début d’un processus qui verra la chute de Karadima, malgré les protections dont il bénéficiait au sein de la hiérarchie.
On se souvient du voyage du pape François au Chili, en janvier 2018. Le pape avait ostensiblement soutenu l’évêque Juan Barros. La tension était forte entre, d’un côté, la quasi-totalité de l’épiscopat, et de l’autre, les victimes de Karadima et des laïcs dénonçant un cléricalisme outrancier. Pour finir, le pape avait envoyé au Chili un émissaire, Mgr Charles Scicluna, archevêque de Malte, puis, à l’issue de cette mission, convoqué à Rome l’ensemble des évêques chiliens qui lui avaient remis collectivement leur démission. Huit d’entre eux, dont Barros, n’avaient pas été rétablis dans leur fonction.
Les auteurs, Régine et Guy Ringwald, ont mené une enquête très précise, datant les faits, collectant les témoignages, citant des extraits de la presse de l’époque. C’est un excellent travail journalistique. L’histoire va bien au-delà des frontières du Chili ; elle a connu un retentissement important en Occident, au moment où la justice des pays d’Europe reconnaissait de très nombreuses agressions sexuelles, longtemps impunies, et identifiait leurs liens avec le cléricalisme et son emprise sur les personnes. Le livre met en lumière l’influence déterminante du nonce dans la nomination des évêques – à l’époque Angelo Sodano, futur secrétaire d’État de Jean-Paul II – et pointe du doigt les services de la Curie, qui transmettent au pape des informations parcellaires, voire biaisées. Enfin les auteurs interrogent la place et l’action des laïcs : en janvier 2019 des laïcs chiliens se sont réunis en un synode autoconvoqué et autogéré pour promouvoir un changement de la structure de pouvoir dans l’Église. Ce sont donc des questions de fond abordées ici, qui dépassent largement le cas concret des victimes de Karadima et des opposants à Juan Barros. Un livre important, qui fait date.
Sylvie de Chalus – au nom du Comité de lecture
