GUÉRIR de la colère et du découragement, de Philippe de Roux, Bayard (février 2024)
Méditation face aux scandales dans l’Église catholique en France.
Philippe de Roux, un ami, se jette à l’eau avec un court livre, courageux, clair, personnel, dans lequel il décrit les réactions effarées d’un « catho de base » (colère et découragement) devant l’ampleur des scandales de pédocriminalité de l’Église catholique en France et comment il est parvenu à surmonter cet effroi.
Le livre est divisé en 8 chapitres, mais sa structure réelle est davantage trinitaire : une première partie décrit le sentiment de sidération qui l’a saisi quand il a pris conscience de l’ampleur des horreurs ; une deuxième partie consiste dans l’examen du comportement de Jésus, souvent dénommé le Maître, puis des Actes des apôtres ; enfin une troisième partie cherche à tirer quelques enseignements pour les cathos d’aujourd’hui dans une approche positive et remplie d’espérance, malgré tout.
Philippe de Roux parle en son nom personnel en se définissant comme un « catho de base ». D’ailleurs, le titre du livre aurait pu être Réaction d’un catho de base devant les abus sexuels dans l’Église catholique en France. Il en est un assurément, catholique, marié et père de plusieurs enfants, engagé dans sa profession ( tout d’abord dans une entreprise de plomberie, puis comme associé dans une ONG intervenant dans les pays du sud), engagé également en politique avec la création en 2010 des Poissons Roses (une plateforme de chrétiens à gauche se réclamant du personnalisme et n’ayant pas su trouver sa place au sein du PS de l’époque, en pleine période de Mariage pour Tous), engagé enfin par sa proximité avec Jean Vanier. Autant d’éléments qui font de lui un catho plutôt militant, ancré avec son épouse dans une communauté, et motivé, comme il l’indiquera dans les dernières lignes du livre, par le désir « de participer à l’œuvre de Dieu sur Terre » (caractéristique, entre nous, de beaucoup de chrétiens).
Son angle d’analyse est particulièrement intéressant car il ne parle ni en laïc, ni en clerc, ni en théologien. Il essaie de comprendre, quasiment en manager, comment la gouvernance de l’Église a pu à ce point dériver. Son analyse des Évangiles et des Actes des apôtres se concentre sur la façon dont le Maître, visiblement doté de tous les apparats d’un gourou qui aurait pu abuser de son influence, s’est systématiquement refusé à tout excès de pouvoir dans l’objectif de faire de ses proches et des personnes qu’il a rencontrées des adultes libres.
Ainsi, le Maître a bénéficié d’une enfance harmonieuse, il a exercé un métier de charpentier qui l’a confronté au réel et à la vie quotidienne, il s’est attaché des gens simples, ne s’est pas posé en gourou surplombant, a donné du sens en lien avec ses disciples, a renvoyé les personnes à leur vérité, comme la femme adultère, et a su se mettre à l’écart pour prier.
De même, Philippe de Roux examine le comportement des apôtres : ils ne tirent pas gloire de ce qui les dépasse, observent les lois de l’Esprit, prient, veillent les uns sur les autres dans un esprit d’amitié, s’appuient sur des décisions collectives, recourent au tirage au sort, délèguent les tâches matérielles.
Dans la troisième partie, Philippe de Roux prend acte de la déroute actuelle mais aussi de la fécondité que cette situation peut apporter. Il décline plusieurs propositions : se faire aider du dehors, valoriser les vertus de liberté, d’autonomie, redevabilité, confiance ; il suggère l’élaboration en commun, avec nos frères et sœurs d’autres traditions chrétiennes ou d’autres religions, d’un « Guide de bonne gouvernance pour les détenteurs d’autorité d’ordre spirituel » (p 106) et vante la subsidiarité (p 124).
Que Philippe me pardonne de faire part de quelques regrets. S’il cite un certain nombre d’associations et de mouvements qui cherchent à réagir (p. 120), je suis surpris qu’il n’ait pas mentionné la Conférence des Catholiques Baptisés de France (CCBF), créée en 2008 par Anne Soupa et Christine Pédotti avec comme devise « Ni partir, ni se taire ». La crise des abus sexuels m’a conduit, à titre personnel, à rejoindre ce mouvement qui revendique de mettre au cœur du fonctionnement de l’Église les baptisées et les baptisés et qui s’appuie sur la Lettre au peuple de Dieu du pape François d’août 2008 pour lutter contre le cléricalisme. La CCBF compte plusieurs milliers de membres qui militent vigoureusement pour contribuer à l’émergence de l’Église synodale appelée de ses vœux par le pape. (https://baptises.fr/)
De même, suis-je surpris par son évocation rapide (p. 78 avec Marie-Madeleine et p. 122) de la situation des femmes dans l’Église. Il est clair qu’il s’agit là d’un sujet majeur et critique.
Enfin, s’il évoque pages 122 et 123 le rôle des évêques, c’est en passant à côté de leur vocation au début du christianisme et de l’analyse serrée qu’Anne Soupa en a faite, quand elle s’est portée, en tant que laïque, candidate à l’évêché de Lyon, au nom même de cette gouvernance qui tient tant à cœur à Philippe. (https://www.annesoupa.fr/forum-de-leveque/ )
Bravo toutefois à Philippe de Roux de s’être ainsi livré, en tant que « catho de base ». Ce livre m’a fait penser à celui que Laurent Grzybowski avait fait paraître en 2019 avec Anne Guillard sur le même sujet et qu’ils concluaient de 20 propositions (Une autre Église est possible !). Que des laïcs de base prennent ainsi la parole est réconfortant.
La lecture de ce livre m’a interpellé alors que je recevais de Bertrand du Marais, nouveau président des Poissons Roses, l’édito de mars 2024 de Jean-Pierre Denis, ancien directeur de La Vie, paru le jour de Pâques, dans lequel il s’étonnait de l’augmentation du nombre de baptisés adultes. Décidément, le regard de Dieu n’est pas celui des hommes et nous sommes continuellement surpris par ce Dieu qui va chercher ses serviteurs là où nous ne nous y attendons pas, par des voies inattendues, sans tenir compte de nos propres efforts, sans choisir les soi-disant « meilleurs » mais en les touchant par la grâce de son message. Quelle espérance qui nous dépasse !