Jean-Paul Delahaye, Exception consolante – Un grain de pauvre dans la machine
Librairie du Labyrinthe – août 2021 – 253 pages – 17€
Exception consolante, c’était la formule employée par Ferdinand Buisson sous Jules Ferry lorsqu’il parlait des boursiers de la Troisième République, expression propre à faire oublier l’injustice foncière qui reste la règle générale. Les choses ont-elles beaucoup changé ?
Dans un texte autobiographique, Jean-Paul Delahaye, haut fonctionnaire, ancien « numéro 2 » au ministère de l’Éducation Nationale, auteur du rapport en 2015 Grande pauvreté et réussite scolaire, le choix de la solidarité pour la réussite de tous, s’adresse à sa mère qui a élevé seule cinq enfants, le père étant parti sans laisser d’adresse. À force d’obstination elle a obtenu que l’un de ses enfants puisse faire des études sans être obligé de travailler dès la fin de l’école primaire.
L’auteur décrit la grande pauvreté de son enfance, dont les nantis n’ont pas idée : vivre sans eau courante, utiliser un seau hygiénique, demander l’autorisation de glaner le bois mort pour se chauffer, habiter des maisons insalubres, déménager en permanence, vivre dans la rue en attendant le retour de la mère le soir, ne pas avoir de table pour faire ses devoirs, avoir honte des vêtements que l’on porte qui stigmatisent, jamais ni loisirs, ni vacances. Pas de livres, pas d’accès à la culture.
Et devenu « numéro 2 » lorsque Vincent Peillon était ministre de l’Éducation Nationale sous François Hollande, il mesure le fossé social qui existe entre lui, né dans la pauvreté, et ces autres hauts fonctionnaires qui ne se sont donné que la peine de naître et qui sont souvent plus préoccupés de leurs carrières, sous quelque obédience que ce soit, que de la rénovation de l’école au profit des plus défavorisés.
Néanmoins l’auteur a pu cheminer dans l’école républicaine, depuis la maternelle à l’école Turgot de Sartrouville, qu’il a fallu quitter, car sa mère seule ne pouvait plus payer les traites de l’appartement. C’est ensuite l’école de Londinières, en Seine Maritime, où sa mère tient un café-épicerie, qui fait faillite et qui est vendu. Il peut obtenir une bourse pour entrer en 6e comme interne au collège de Neufchâtel-en-Bray et découvre alors le confort qui n’a jamais existé chez lui. En troisième, bien conseillé il prépare le concours d’entrée à l’école normale d’instituteurs. Payé comme élève-professeur jusqu’à la fin de sa scolarité, il pourra alors aider sa mère.
Jean-Paul Delahaye émaille son texte de réflexions sur l’éducation, notamment sur la mixité scolaire dont il est établi qu’elle est profitable autant aux enfants de riches qu’aux enfants de pauvres. Selon lui, il ne faut pas parler d’égalité des chances mais bien d’égalité des droits. Il constate que les ministres qui gèrent l’école publique mettent leurs enfants à l’École Alsacienne ou au Collège Stanislas, ce qui garantit l’entre-soi, et ne comprennent pas les besoins des pauvres dont ils ignorent tout. Un président de la République parle des sans dents, un autre dit qu’ils font partie « des gens qui ne sont rien ».
Il y a encore beaucoup à faire pour instaurer l’égalité des droits entre tous les enfants et ce livre est une réflexion très stimulante sur l’avenir de l’école, qui nous concerne tous.
Danielle Mérian au nom du comité de lecture