Olivier Abel, De l’humiliation
Les Liens qui libèrent - février 2022 – 224 pages – 17,50 €
Le livre De l’humiliation, d’Olivier Abel, philosophe, ancien doyen de la faculté protestante de Paris, ancien directeur de la revue Esprit, explore un phénomène prégnant dans notre société. L’auteur commence par plonger au cœur de l’humiliation dans les trois premiers chapitres, en débusquant toutes les situations où, même sans mauvaise intention, s’instaure un rapport de force qui blesse et fait expérimenter à l’une ou l’autre des parties la douloureuse épreuve de l’humiliation. Olivier Abel dénonce ce sentiment, qui fait surgir à sa suite des passions tristes comme l’inimitié, l’hostilité, le ressentiment, alors qu’il conviendrait de donner toute sa place à la reconnaissance fondée sur la valeur accordée à chacun et au respect. L’auteur, chrétien, regardant l’humiliation au prisme de la parole de foi, avance au centre de son ouvrage qu’il serait bon pour une telle parole d’accepter de se tenir dans l’inconfort, échappant à la certitude de la croyance trop sûre d’elle-même, comme à l’incroyance satisfaite. Il s’agirait de ne pas écraser l’autre, en laissant entendre qu’il est dans l’erreur, et d’accepter d’énoncer une vérité que les récepteurs seront toujours libres de refuser, sans échapper à la vulnérabilité inhérente à une telle position.
Cette clé de lecture intéressante permet à l’auteur, dans la deuxième partie de l’ouvrage, de proposer des manières de sortir par le haut de situations humiliantes, notamment à l’échelle de la société. Olivier Abel propose ainsi une gradation, partant de la ‘société bridée’, qui empêche seulement la cruauté physique, pour en venir à la ‘société décente’, qui refuse l’humiliation, jusqu’à la ‘société juste’. L’auteur pointe également le danger de l’humiliation horizontale, sans rapport de classes, qui consiste à ne rien vouloir savoir de l’imaginaire de l’autre, et par là même à se rendre aveugle aux humiliations qu’il peut ressentir ; l’exemple des caricatures de Mahomet l‘illustre, avec un ressenti différent selon l’appartenance de chacun. Et l’analyse que fait Olivier Abel de la colère sociale, sans jamais le dire explicitement, s’applique parfaitement au mouvement des gilets jaunes. Le chapitre final propose, pour déjouer l’humiliation, de valoriser l’humour bienveillant et l’attitude du « fair play », et c’est le vieux texte de L’Iliade qui est convoqué, comme le faisait déjà la philosophe Simone Weil dans sa réflexion sur la force : « La seule issue est de reconnaître que nous sommes tous barbares, et de chercher ensemble, avec prudence et bienveillance, à en sortir. » (p.212).
Un ouvrage de philosophie accessible qu’il fait bon lire en été – période propice aux réunions familiales qui peuvent parfois raviver des blessures anciennes – pour apprendre à guérir de nos humiliations, et nous appliquer à devenir conscients des moments où nous pouvons, même involontairement, humilier nos proches.
Marie-Blandine Ferrer au nom du comité de lecture