Céline Hoyeau, La trahison des Pères – Emprise et abus des fondateurs de communautés nouvelles
Éditions Bayard – mars 2021 – 280 pages – 19,90 €
Pendant plusieurs années, Céline Hoyeau, journaliste à La Croix, s’est penchée sur ces « Pères » fondateurs de nouvelles communautés religieuses. Ils se connaissaient tous, se confortaient, s’adoubaient et finiront par tomber les uns après les autres comme des dominos. Leur charisme auprès des jeunes générations avait laissé croire à un vrai renouveau de l’Église, ils en sont des années plus tard une face sombre. La plupart de ces « Pères » accusés de « trahison » par l’auteure sont morts aujourd’hui.
Là où le silence était la règle, Céline Hoyeau cherche la vérité sur des affaires qui affectent si douloureusement tous les catholiques. Elle centre son récit et ses analyses sur l’Église de France bien que des déviances analogues se soient produites un peu partout, en Allemagne, aux États Unis, au Mexique, etc.
Les témoignages des victimes révèlent que les fondateurs, hommes et femmes, ont presque tous pratiqué l’emprise spirituelle avant de dériver vers les abus sexuels. Ils cumulaient souvent les positions de « supérieur de la communauté » et de « conseiller spirituel-confesseur » : une confusion des rôles pourtant strictement proscrite.
La première alerte de l’opinion a concerné la pédophilie et ses victimes. Les médias et les procès ont peu à peu libéré la parole d’autres victimes et révélé au grand public ces mœurs pratiquées au sein même des communautés religieuses les plus en vue : frères de Saint Jean, Foyers de Charité, l’Arche et bien d’autres.
Le grand mérite de l’ouvrage est de ne pas se limiter au récit et à la dénonciation de nombreuses aventures sordides mais de les resituer dans l’histoire contemporaine – le Concile, mai 68 –, d’en chercher les causes profondes, d’en débusquer les complices conscients et inconscients au sein de l’appareil ecclésial, parmi les évêques, et jusqu’au pape Jean Paul II, ébloui par les cohortes de jeunes novices que lui présentaient des Marcial Maciel ou Marie Dominique Philippe.
L’ouvrage s’appuie sur des faits avérés et évite de tomber dans le pathos et la dénonciation. En revanche, le caractère systémique de tous ces abus à la fois spirituels et/ou sexuels est mis en évidence avec une remarquable clarté. L’organisation hiérarchique de l’Église, l’absence de contre-pouvoirs sont mises en cause. Des procédures de « justice » existent, des procès canoniques ont été tenus mais leurs verdicts sont restés strictement secrets et n’ont pas mis fin aux pratiques condamnables ni alerté ceux qui auraient dû resserrer leur surveillance.
Le lecteur reste abasourdi devant pareil gâchis mais aussi devant l’aveuglement de trop nombreux chrétiens qui, encore aujourd’hui, nient la réalité des abus de leurs idoles.
Daniel Gufflet au nom du Comité de lecture