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Nous avons de nombreuses et excellentes réflexions et questions sur le forum, je conseille à chacun de s’y rendre, en ouvrant les sujets de discussion un à un pour les lire !

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Je voudrais seulement revenir sur les trois textes que je vous ai proposé de travailler.

Et d’abord Actes 15, 1-29 et Galates 2, 1-4
Daniel Marguerat a souligné l’incompatibilité de ces deux récits, ou plutôt des présentations de l’événement par Paul d’un côté, et Luc (Actes) de l’autre (p. 68) : « Qui croire ? » (p. 68), mais il choisit de tenir compte de la subjectivité de chacun des deux récits.
Et d’ajouter : « la version de Paul correspond à ce qu’il a compris de l’accord de Jérusalem »
Puis « l’auteur des Actes, peut-être par manque d’information, peut-être par esprit de synthèse a incorporé à l’assemblée de Jérusalem… » (p.69).
Je n’en crois rien. Paul sait très bien ce qu’il en est, et ce qu’il veut imposer à ceux de Jérusalem. 
Et Luc, habilement, organise son récit en fonction de sa conception unifiée de la marche de l’Evangile de Jérusalem à Rome.
Pour ma part, il me semble impossible que la rencontre, située par Paul 14 ans après sa première venue à Jérusalem ait eu lieu à la fin de son premier bref voyage missionnaire.
Je tente une lecture :

Quelques mots sur Actes 15 : c’est au retour d’un premier voyage en Turquie (jusqu’à Antioche de Pisidie et Iconium) que Paul et Barnabé rentrent à Jérusalem en racontant « tout ce que Dieu avait fait avec eux et comment il avait ouvert la porte de la foi aux païens » (14, 27).
Mais des judaïsants viennent contester leur action : « si vous n’avez pas été circoncis selon la coutume de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés ». Débats, querelles… et on décide de porter l’affaire devant les apôtres et les anciens de Jérusalem (15, 1-2).
Notez que Luc, subtilement, n’a pas précisé si Paul et Barnabé avaient déjà ou non baptisé des incirconcis !

A Jérusalem, assemblée solennelle, où certains chrétiens venus du parti des pharisiens exigent des nouveaux chrétiens la circoncision et l’observance de la loi de Moïse.
C’est alors Pierre qui prend la parole, évoquant pour la troisième fois la rencontre avec Corneille et plaidant le baptême sans exiger des nouveaux venus qu’ils portent un joug « que ni nous ni nos pères nous n’avons pu porter » (15, 10). L’attaque est rude : Pierre demande de « ne pas mettre Dieu à l’épreuve » (ce qui évoque aussitôt la rébellion contre Dieu et le refus de croire du peuple à Massa en Exode 17) !
Paul ne plaide pas (étrange !), mais Pierre a tenu un discours très exactement paulinien ! Et Paul et Barnabé se contentent de rappeler « les signes et les prodiges ce que Dieu avait fait par eux ».

Très vite, Jacques de Jérusalem prend la parole pour un discours extraordinairement ambigu : de quel peuple, choisi parmi les païens, s’agit-il au verset 14 ? Le mot « peuple » employé ici désigne toujours Israël.
Puis il cite le prophète Amos (dans la traduction grecque, l’hébreu est entièrement différent), qui est une promesse de restauration faite à Israël, « afin que le reste des hommes cherchent le Seigneur, toutes les nations (païennes ?) sur lesquelles mon nom est invoqué » (v. 16-17).
De quel Seigneur s’agit-il ? Dieu ? Jésus Christ ?
La décision de Jacques, qui va être reprise par les anciens, les apôtres et toute l’Eglise, consiste à « ne pas accumuler les obstacles devant les païens, mais de leur demander de…. »
Cette décision qui sera écrite et présentée de façon solennelle : « L’Esprit saint et nous-mêmes avons décidé de » (v. 28) est en fait essentiellement centrée sur les décrets, réduisant la liberté des nouveaux chrétiens pour qu’ils puissent participer à la table des judaïsants ! On peut le lire comme une mesure de compromis œcuménique, ou comme un forcing pour que les nouveaux baptisés 
« judaïsent » !
Ajoutons que c’est Paul et Barnabas, dûment encadrés, qui seront chargés de porter et donc de lire la lettre…. Et pourtant, au chapitre 21, 25, ces décisions seront annoncées à Paul à son arrivée à Jérusalem, comme s’il n’en avait jamais entendu parler !
Luc sait ce qu’il fait. Il veut que la mission paulinienne, qui va se déployer jusqu’en Grèce en monde très majoritairement païen, ait reçu l’accord de ceux de Jérusalem, pour que le passage de l’Evangile aux païens, inauguré concurremment par Pierre et Paul, devienne le projet et le programme de l’Eglise de Jérusalem toute entière ! 

Paul en Galates 2 ne présente pas les choses ainsi. 
« Ensuite, après quatorze ans » ! Il y a là un sérieux trou à combler ! Qu’a fait Paul pendant 14 ans ? Il le dit : « l’évangile que je proclame parmi les païens » (2, 2). Un fait s’impose : il s’agit de voyages missionnaires qui doivent correspondre grosso modo à ceux racontés dans les Actes. Mais lesquels ? Le premier voyage qui doit avoir suivi l’itinéraire des Actes (ch.13-14) part d’Antioche de Syrie à Chypre, puis à Antioche de Pisidie, Iconium, Lystres, Derbée et retour à Antioche de Syrie. Et un laps de temps de 14 ans est totalement invraisemblable s’il s’agit seulement de ce premier voyage ; il faut y inclure aussi le deuxième voyage missionnaire, avec la fondation de communautés en Galatie, puis à Troas, puis en Macédoine à Philippes, Thessalonique, Bérée, et en Grèce à Athènes et Corinthe. La rencontre de Jérusalem pourrait alors se situer dans l’aller-retour entre Césarée et Antioche, résumé par Luc d’un mot en 18,22 : « il monta saluer l’église et redescendit à Antioche » ! Une façon astucieuse de la gommer.

L’enjeu est extrêmement important pour Paul : il s’agit de mettre les apôtres de Jérusalem devant les faits établis : les païens sont passés au christianisme et des communautés de pagano-chrétiens vivent en Christ et témoignent de l’Evangile. Il lui fallait la réussite éclatante de sa mission pour légitimer l’authenticité de sa vocation apostolique. En effet la partie à jouer à Jérusalem semble avoir été particulièrement difficile. Bien sûr nous en lisons la version paulinienne, mais l’accueil que selon Luc, Jacques de Jérusalem réserve à Paul au chapitre 21,18-25 manque pour le moins de chaleur.  Et lorsque l’émeute populaire gronde contre Paul dans le Temple, ce sont les Romains qui le tirent d’affaire, tandis que la communauté chrétienne de Jérusalem semble avoir disparu !

Le texte de Galates 2 montre à quel point la situation était tendue : Paul monte pour « exposer » l’Evangile qu’il proclame parmi les païens. A titre de vérification, il emmène avec lui Tite qui est grec et non circoncis. Mais il doit se garder des « faux frères qui se sont insinués, des intrus, qui espionnent notre liberté, celle que nous vient de Jésus Christ, afin de nous réduire en servitude » (2,4). Le vocabulaire est militaire… Et il faut noter l’emploi du mot « liberté », Galates est l’Evangile de la liberté, liberté par rapport à la loi et à toute obligation extérieure, labellisante ! Telle est la « vérité de l’Evangile » sur laquelle Paul ne cède pas d’un pouce (v. 5).
Au verset 6 commence une longue phrase embrouillée qui s’étend sur 4 versets ; la construction s’interrompt brutalement pour reprendre autrement, signe de la passion et de l’émotion de Paul ! 
Sa façon de parler des « personnalités », autrement dit les responsables de l’Eglise de Jérusalem, est tout sauf bienveillante ! Leur notoriété est le fait des hommes, lui n’en tient pas compte, ne voulant voir que selon les critères de Dieu qui « ne regarde pas les visages » ! Un seul point compte, ces personnages ne lui ont rien réclamé de plus. 
Ils ont constaté que Dieu avait fait confiance à Paul, l’avait crédité de l’annonce de la Bonne nouvelle aux incirconcis comme Pierre aux circoncis ! Le même Esprit est à l’œuvre en chacun des deux apôtres, tel est le sens de l’incise du verset 8 !

Je m’arrête un instant sur le vocabulaire du v. 7, je traduis mot à mot : « j’ai été crédité de l’évangile des incirconcis ». Le verbe est celui de la foi, pisteuô, dont le sens est clairement celui de la confiance, du crédit. Nous y reviendrons, mais je veux d’avance dire avec force que pour Paul, la foi pistis n’a rien d’un contenu ou d’un énoncé dogmatique ; elle est totalement du côté de la confiance et du crédit accordé sur fond d’alliance ! Dieu a éprouvé la fidélité de ses apôtres et leur a fait crédit : il leur confie l'Evangile !
Le parallélisme avec Pierre est intéressant : nous assistons à un véritable partage des terrains missionnaires. Pierre ira vers les circoncis(les Juifs), c’est-à-dire en fait tous ces comptoirs juifs de la grande diaspora orientale passant par Babylone au Nord, Alexandrie au Sud et allant jusqu’en Asie. Paul ira vers les incirconcis (les païens ou les grecs), c’est-à-dire tout l’empire romain occidental, où le judaïsme est moins présent. Mais il s’agit bien du même et unique Evangile. 

Je voudrais enfin méditer sur le verset 9 : reconnaissance de la grâce de Dieu et « don d’une main de communion « ; Paul ici reconnaît la place éminente des trois apôtres, « ceux qui sont considérés comme des colonnes », et leur attribue l’initiative de la main tendue. Dans la bouche de Paul, le mot koinônia (traduit « communion », ou « participation ») scelle dans le Christ mort et ressuscité l’unité des croyants. Il ne s’agit ni d’un accord sentimental, ni d’un contrat juridique. Paul et Jacques n’ont aucune affection l’un pour l’autre (c’est une litote), mais ils se reconnaissent participants au même Jésus Christ mort et ressuscité.
Il me semble qu’il faut revenir sur l’importance de ce geste : Paul parti en franc-tireur, au nom d’une mission qu’il ne veut tenir que de Dieu seul, au moment où il récolte les fruits de cette mission, ressent comme une nécessité impérieuse et incontournable (« selon une révélation » !) la démarche qui consiste à monter à Jérusalem auprès de ceux qui étaient apôtres avant lui, pour passer avec eux une main de communion. Paul, l’avorton, le treizième apôtre, ne peut faire autrement que de venir s’inscrire dans la tradition chrétienne déjà présente à Jérusalem. Il ne s’agit ni de soumission ni de compromission, mais de la vérité même de l’Evangile, qui exige la communion de ceux que Dieu a crédité de sa confiance pour la mission auprès de tous les êtres humains.

Que penser alors des décrets d’Actes 15, 20 et 29, restreignant la liberté des incirconcis au respect de ce que l’on appelle souvent « les lois noachiques » ? Comme j’ai essayé de le dire plus haut, la chronologie des Actes semble sujette à discussion, et la conception théologique de Luc joue beaucoup dans l’organisation de son récit. Je rejoins les commentateurs qui considèrent que les décrets témoignent de décisions judaïsantes prises à Jérusalem après le départ de Paul. Il est possible alors que des apôtres soient partis de Jérusalem pour rejoindre Paul à Antioche, mais peut-être aussi en Galatie et en Grèce…et contester sa mission !
D’après le texte de Galates 2,11-14, Pierre lui-même, venu à Antioche, ne semble pas avoir connu les décrets, puisqu’il mange régulièrement avec les incirconcis. C’est l’arrivée de « ceux d’auprès de Jacques » qui jette le trouble : surveillants mandatés par Jacques, ou plutôt ultra-judaïsants mal intentionnés ? Plutôt cette dernière hypothèse : ils refusent la communauté de table et se mettent à part pour des raisons rituelles ! 
A lire Galates 2,12-13, on s’aperçoit que Paul taxe Pierre d’hypocrisie ; selon l’étymologie du mot, il lui reproche de « jouer la comédie », et à Barnabé d’entrer dans ce jeu. Ce qui signifierait que sur le fond Paul est sûr de la conviction de Pierre et de Barnabé (il fait fond sur la « communion » donnée) ; le changement d’attitude de Pierre ne peut être qu’un réflexe de crainte, et Paul n’hésite pas à lui faire publiquement la leçon : « si toi qui es juif, tu vis comme les païens et non pas comme les juifs, comment peux-tu contraindre les païens à judaïser ? » (v .14).

Paul utilise ce récit afin de convaincre les Galates, ces païens tentés de judaïser ! Malheureusement il s’interrompt au moment le plus palpitant ! Comment l’affaire s’est-elle terminée ? Nous n’en saurions rien, car Paul bifurque ici pour énoncer la thèse centrale de sa démonstration. Or il serait bien étonnant qu’il ne nous ait pas relaté une victoire. Il est plus probable que Pierre a eu le dessus. Paul quittera Antioche de Syrie et n’y reviendra jamais. En même temps la trajectoire ultérieure de l’église d’Antioche, passant par Matthieu, puis par Ignace d’Antioche, montre que le conflit s’est lentement résolu au profit des pagano-chrétiens, la minorité judeo-chrétienne encore respectée dans l’évangile de Matthieu disparaissant assez vite. Au fond Pierre aurait joué un rôle temporisateur, et peut-être un véritable rôle œcuménique, sachant patienter pour que les choix conformes à l’Evangile s’imposent d’eux-mêmes ? 
Je me demande aussi s’il n’y a pas là deux figures complémentaires et en tension nécessaires à l’annonce de l’Evangile et à la vie de l’Eglise : d’un côté l’intransigeance de Paul, la radicalité de l’Evangile pour tous, sans discrimination aucune, de l’autre, la diplomatie de Pierre, sachant faire des compromis pour éviter les ruptures et les schismes… 

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A propos de 1 Thessaloniciens 1, 1-10, je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce qui était dans la feuille de route, et aux remarques attentives que plusieurs d’entre vous ont faites sur le forum.
Je résume :

La mise en œuvre d’un vocabulaire chrétien, emprunté au monde environnant, et à la Bible grecque de Septante : l’église (ekklèsia), l’action de grâce (eukharistô), la foi, l’espérance et l’amour (premier emploi ou à peu près du mot agapè).
Au vu de ce que cela a donné dans l’histoire, je ne peux que m’attrister du choix qu’a fait Paul en donnant au groupe chrétien le nom d’ « élection » (eklogè), un terme qui aurait dû rester l’apanage d’Israël.
L’imitation de l’apôtre, comme lui imite le Christ : pas de mimétisme, mais le sens grec du mot, la « représentation » à nouveaux frais d’une trajectoire de vie. 
L’Eglise tupos, moule en creux pour que l’écho de la Bonne nouvelle se répande, une mission par le témoignage de la vie communautaire, sur place.
La proclamation aux païens : la conversion au Dieu vivant et vrai en abandonnant les idoles. L’attente du Fils ressuscité des morts, qui vient délivrer chaque vie !

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