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Notes et Réflexions n°3                                                                    19 décembre 2023

Chapitres 5 et 6 A.Wenin   p. 107 - 164                                                        
Un fils pour Abram : Ismaël, Genèse 16, 1-16
L’alliance de la circoncision Genèse 17, 1-27

 

Vous avez débattu, je pense, autour de ces deux chapitres et de la mise en parallèle étonnante et bien peu souvent soulignée entre la promesse faite à Agar et la promesse faite à Abraham.

I- L’annonce faite à Agar
 A tort ou à raison, il me paraissait indispensable de lire à la suite les deux chapitres 16 et 17, car c’est pour moi un objet de stupéfaction et de réflexion.
Nous avons tendance à revenir sans cesse sur la notion de « peuple élu, peuple choisi » qu’on trouve surtout chez Isaïe (42, 1 ; 43, 21) et de façon plus individualisée dans les Psaumes, et que les chrétiens se sont tranquillement appropriés à partir de 1 Pierre 2, 9. Mais je trouve que nous ferions mieux de réfléchir sur cette percée que les auteurs bibliques opèrent vers la servante égyptienne, une étrangère, une femme, une esclave, et vers les demi-frères descendants d’Ismaël qui ont bénéficié eux aussi de la promesse !

Et cela, au prix d’un regard plus que lucide, sinon critique, sur l’ambiguïté de l’attitude de Saraï, et sur la lâche faiblesse d’Abram. J’ai dit ce que je pensais de Saraï dans la feuille de route ; Wénin n’a pas tort d’y voir un écho à la figure d’Eve ; mais Saraï est de l’autre côté de la porte de l’Eden, autrement dit, elle est dans la vraie vie ! Bien sûr, on peut dire que, dans cet essai pour « être construite par un fils », elle pense d’abord à elle-même. Je connais des femmes, certes venues d’autres traditions religieuses et culturelles, qui, effectivement, n’obtiennent un certain respect, voire une reconnaissance de leur existence de leur mari et de leur famille que si elles ont eu un fils.
Et puis, évidemment, on assiste à la concurrence des deux femmes, la souffrance de Saraï, la jalousie ! C’est tellement humain !
Mais le texte biblique dit encore autre chose : Saraï reconnaît : « YHWH m’a empêchée d’enfanter », car YHWH est le seul maître de toute vie (le Talmud dit : « il tient trois clés : celle de la pluie, celle de la naissance et celle de la résurrection »). C’est pourquoi, elle s’incline, mais elle ne se résigne pas… On est en droit d’admirer Saraï. Elle vit dans un monde où l’humanité doit se battre pour survivre et le seul moyen de ne pas disparaître, le seul avenir possible, c’est la naissance d’une nouvelle génération !
Et puisque Dieu a décidé qu’il avait besoin des humains, je me dis que Saraï, maladroitement peut-être, a décidé, elle, d’aider Dieu !

Certains d’entre vous ont dit : Abram se « dépouille-t-il », alors qu’il fait preuve d’une immaturité flagrante ? Il est apparemment plus difficile pour lui de prendre ses responsabilités en face de ses femmes qu’en face des roitelets de son entourage. Il se laisse ici manipuler d’un bout à l’autre par Saraï, et ne défend pas Agar qui a mis au monde son fils. Il demeure dans un attentisme, qui témoigne son impuissance : il lui faudra avancer aussi du côté familial…

Je suis très frappée par le fait qu’à partir de la fuite d’Agar, il n’est plus question dans le texte que d’elle et du Seigneur (ou de son envoyé). Certains penseurs juifs se souviendront de la promesse faite à Agar devant son descendant Mahomet !
A nouveau, il faut souligner que le modèle de l’annonce mis en place ici : « tu es enceinte et tu enfanteras un fils que tu nommeras… » est très présent dans les récits de l’enfance chez Luc 1, 31-32  et chez Matthieu 1, 21-22 citant Isaïe 7, 14.
La rencontre auprès de la source annonce aussi toutes les rencontres qui seront promesses de vie, d’Isaac à Jacob, et à Jésus en Samarie..
Le nom d’Ismaël : « Dieu entendra » souligne l’importance de l’enfant à venir. Lévinas écrit à propos des personnages bibliques dont le nom précède la naissance et en particulier d’Ismaël : « c’est comme si leur fonction dans le monde était de toute éternité prévue dans l’économie de la création ».
Comment comprendre le verset 12 : « un âne sauvage », est-ce négatif ou positif ?

Ce qui est enfin à méditer, c’est qu’Agar reçoit une véritable révélation (« elle a vu le Vivant qui la voit !), une rencontre inouïe avec le Seigneur. Nous retrouverons cela au chapitre 21.
Il faut seulement ici noter un progrès du côté d’Abram, il reconnaît son fils et lui donne le nom que le Seigneur avait préparé pour lui. Inutile de se demander comment ni pourquoi, seul compte le fait qu’Abram ainsi est entré dans le dessein de Dieu pour Agar.  Mais il lui reste encore du chemin à faire, probablement celui qui lui permettra de grandir vraiment, en se dépouillant de…

 

2-L’alliance qui s’inscrit dans la chair

Certains d’entre vous se sont penchés sur la question de l’alliance : unilatérale, bilatérale ?
Après l’alliance impressionnante du chapitre 15, la tonalité du chapitre 17 est évidemment très différente. Dans tous les cas, c’est le Seigneur qui a l’initiative et qui s’engage d’abord. Ce qui est demandé au partenaire humain vient ensuite.
Nous avons tendance, moi la première, à lire ces textes à travers le prisme du conflit de Paul avec la façon dont ils étaient lus au premier siècle ; la question était devenue : qu’avait fait Abraham pour que Dieu le choisisse ainsi et lui propose son alliance ? Et les penseurs d’Israël (le targum en témoigne, mais Paul et l’évangile de Jean aussi) s’efforçaient de décompter les épreuves subies par Abraham et les mérites qu’elles lui avaient obtenus (il s’était élevé contre les idoles de son père, il avait obéi à Dieu, il avait accepté la circoncision, enfin il avait renoncé à son fils…on en comptait 10).
Paul répond non : l’appel, l’alliance sont pure gratuité de la part de Dieu. Et pour le démontrer il monte en exergue le chapitre 15, contre et avant le chapitre 17. Seule compte la réponse de foi d’Abraham, et pas la circoncision.
Dans tous les cas, l’alliance suppose une réponse. La foi en est une, mais la circoncision aussi, d’une autre façon. Elle est d’abord un signe identitaire, puisqu’elle se développe pendant l’exil à Babylone, contre l’environnement babylonien, d’autant plus qu’elle est déplacée au 8ème jour de la vie de l’enfant.
Plus tard, des interprétations éminemment spirituelles en seront faites ; et d’abord en lien avec le nom de Dieu ici El Shaddaï, que le judaïsme entend très tôt comme : « c’est assez, cela suffit ». Une façon pour Dieu de se limiter lui-même, de maîtriser sa propre puissance d’expansion pour laisser la place aux créatures et à l’humanité. De même la circoncision est une façon de montrer que l’humain limite sa maîtrise et son pouvoir, qu’il accepte d’être en déficit, en manque. Elle est le signe extérieur visible de l’alliance et de la circoncision du cœur.

Qu’en est-il alors de Saraï, mais aussi d’Ismaël ? Il y a une promesse à Saraï (17, 16), qui, dans les termes, est très proche de celle qui a été faite à Agar en 16, 10 et lui sera précisée en 21, 18. Le changement de nom, comme celui d’Abram/Abraham, est le fait de Dieu lui-même, si bien que l’avenir de Saraï/Sarah ne dépend plus tant de projets humains que du dessein de Dieu pour elle
Certains m’ont fait remarqué que le H ajouté à chacun des deux noms Abra H am, Sara H, était la lettre qui évoquait le souffle divin et sa fécondité, la tradition juive remarque aussi que c’est une lettre deux fois  présentes dans le nom de Dieu YHWH, qui entraîne Abraham et Sarah dans l’orbite de l’alliance divine.

On oublie trop souvent le rire d’Abraham, avant celui de Sara, dans une symétrie étonnante sciemment organisée par les auteurs, une façon de donner une nouvelle égalité au couple.
Un lien est alors établi d’une part avec le chapitre 18 (v. 21), de l’autre avec la descendance de Jacob (v. 20).
Il y a d’ailleurs de quoi méditer sur ce jeu avec le nom d’Isaac qui va revenir à plusieurs reprises dans la suite, au chapitre 18, 15, puis 21, 6 et 9 et 26, 8. Isaac, « l’enfant du rire », rire d’incrédulité ou de joie, mélange de peur et d’espérance, rire qui fera courir aux deux fils des risques lourds… Isaac va rester une figure qui interroge, jusque dans son lien avec son frère Ismaël, et dont les targums et les commentaires s’empareront.

Le dernier paragraphe du chapitre insiste sur la mise en œuvre de la circoncision de tous les mâles du clan. La dimension identitaire est ainsi très fortement soulignée. Mais c’est bien autour d’Ismaël qu’elle se cristallise d’abord ! Et il aura treize ans quand naîtra Isaac.

 

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