Genèse 3, A. Wénin ch. 3
Notes et réflexions n° 3 (15 mars-15 avril)
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Je ne sais dans quel état vous êtes sortis de ce chapitre pour le moins difficile, ce qui est certain, c’est qu’on peut le lire et le relire des dizaines de fois et encore le trouver incompréhensible, … et encore y découvrir du nouveau. J’ai eu pour ma part cette impression en lisant pour et avec vous ! Ce qui ne signifie pas, de loin, que j’ai tout compris…
Je vous partage donc mes impressions « nouvelles » sur quelques aspects de ce chapitre.
1- Le serpent : il ne faut pas oublier que cet étrange animal nu et rusé qui apparaît soudain, sorti d’on ne sait quel trou, est d’abord le résultat d’une belle ironie de la part de l’auteur biblique. Il dégrade ainsi très clairement les grands dragons des mythologies environnantes, qui, par ailleurs, sont présents dans d’autres textes bibliques sous les noms de Rahab ou Léviathan (Psaume 74, 14 ; Isaïe 27, 1), forces du mal ou du chaos que Dieu a vaincues, et auxquelles l’Apocalypse redonnera de belles dimensions (Ap 12, 3) .
Ici une bête dérisoire, rampante, mais tout de même capable du pire.
Avec une double question :
-est-il extérieur ou intérieur aux êtres humains ? Genèse 4, 7 ira dans le sens de l’extériorité…
-est-il antérieur ou concomitant à l’humanité ? Les animaux sont apparus avant les humains en Genèse 1, après l’Adam en Genèse 2 ! Mais le serpent « était » (3, 1).
Dans tous les cas, il faut tenir, je crois, deux choses :
- le serpent n’est pas le péché ; les humains restent libres de l’écouter ou non, de lui ouvrir ou non leur porte (Gn 4, 7), le péché n’est pas originel, mais secondaire…
- nul ne peut répondre à la question : pourquoi Dieu a-t-il créé une bête pareille (qu’elle soit extérieure ou intérieure à l’humain) ? Car ce serait répondre aux questions : d’où vient le mal ? pourquoi le mal ? Et vouloir des réponses à cette question emmènent du côté de la gnose ou du manichéisme, pas de la foi juive et chrétienne.
Plutôt : notre foi, c’est que Dieu nous accompagne et nous soutient (nous précède ?) dans le combat contre le mal (il a du travail, et il peine !).
Ce que le serpent insinue dans le cœur humain, c’est la méfiance et le soupçon vis-à-vis de Dieu, c’est-à-dire le contraire exact de la confiance et de la foi.
Je vous laisse méditer sur la transformation du désir (bon) en convoitise et en force de dévoration.
2- Les arbres : je les mets au pluriel, car il y en avait deux (entre autres), « l’arbre de la vie au milieu du jardin et l’arbre du connaître bien et mal » (2, 9), mais ici en 3, 2 la femme ne parle plus que de « l’arbre qui est au milieu du jardin », dont on apprend ensuite qu’il donne l’intelligence ou la réussite (3, 6).
A la fin du récit, cependant, Dieu remettra les choses au point : « ils sont devenus capables de connaître bien et mal, qu’ils n’aillent pas mettre la main sur l’arbre de la vie » (3,22), mais le Dieu qui parle alors est celui que se sont forgés les humains et dont ils ont peur…
En réalité, les deux arbres sont étroitement liés au point de s’échanger dans le récit, et pour moi, c’est tout à fait révélateur : s’emparer du « connaître bien ou mal » (je n’aime pas cette traduction et je ne la comprends pas bien), c’est s’emparer de la décision sur ce qui est bien ou ce qui est mal, c’est vouloir en juger soi-même. Désormais les humains vont en décider à leur guise, ce que les prophètes dénonceront avec force : « ils déclarent bien le mal et mal le bien… » (Isaïe 5, 20), ils en font même des lois ! Voir la communication de certains puissants actuels et le règne des fake News !!
Mais du même coup, ils décideront de qui doit vivre et de qui doit mourir, et ils se donneront le droit de tuer… (c’est toute la dénonciation que Jésus fera de la Loi, voir la femme adultère entre autres).
3- Le Dieu de ceux qui ont transgressé la limite. Ne jamais oublier que la limite (ou l’interdit sous forme de conseil) fait partie intégrante de la bénédiction initiale, du don de Dieu dès le commencement. Car seule la limite permet le vivre ensemble.
Pour que les humains puissent vivre ensemble, il faut que chacun renonce à mettre la main sur tout, à décider du bien et du mal (qui décide ?), il faut refuser la domination et la convoitise, la mainmise sur l’autre, voire sa dévoration.
Au contraire la limite permet la séparation, la distance, le respect mutuel dans la reconnaissance.
A l’image de Dieu lui-même qui laisse toute liberté aux humains au point de ne pas savoir où ils sont, où ils se sont égarés et se cachent.
Mais si la limite aussi est don de Dieu, la refuser, c’est refuser le don et le donateur ; et se faire une autre image de Dieu, celle que le serpent insinuait et suggérait : dominateur, jaloux, un Dieu concurrent, un Dieu qui juge, condamne, maudit…
Or, tout le reste du chapitre va être vu du point de vue de l’humanité qui s’est égarée loin de la bénédiction divine, qui s’est dés-ajustée du flux créateur de vie (lorsque Paul parlera de « justice » et de « justification », il ne dira rien d’autre que le ré-ajustement opéré par Jésus à la bénédiction divine !).
Perte de confiance en Dieu, perte de confiance entre eux. La rencontre avec Dieu devient le lieu d’un jugement, où les accusés aussitôt se retournent les uns contre les autres.
C’est alors à une image dégradée de Dieu juge, qu’on a affaire, à une image abîmée de son projet créateur : la terre rebelle, la procréation douloureuse, Dieu se dresse en concurrent, en adversaire redoutable qui se protège et expulse les humains.
Mais en réalité, Dieu ne vient pas pour condamner, il vient pour faire la vérité : la femme reconnaît que le serpent l’a trompée. Et Dieu constate les dégâts que le désajustement ne cesse de produire.
Le serpent est maudit : Dieu ne peut que dire mauvais (« mal dire ») le soupçon, la méfiance et le mensonge.
La terre, pour ceux qui se l’approprient et l’exploitent avec violence, devient maudite : tiens, un discours écolo avant l’heure ! La femme accouche dans la douleur… Ce n’est pas d’un châtiment qu’il s’agit, mais d’un constat lucide sur la condition humaine.
Mais pourquoi vivre la condition humaine comme un châtiment ou un exil, considérer le monde comme mauvais ? N’est-ce pas entrer dans la perspective du Dieu méchant, dans la perspective du serpent ?
N’est-ce pas oublier la bénédiction première… et dernière ?
Au contraire, c’est à la femme que Dieu promet la victoire : sa descendance écrasera la tête du serpent…
Au milieu du choix désastreux du désajustement, Dieu rappelle qu’une victoire est possible, et que chaque génération pourra reprendre le combat, peut-être choisir de ne pas écouter le serpent !
Pour moi, le chemin vers l’arbre de vie, au milieu du jardin passe par une auto-limitation désormais confiée aux humains qui se sont emparés de la limite !
Accompagnée de la promesse de la victoire contre les forces du mal, que Dieu ne cessera de renouveler tout au long de l’histoire d’Israël, jusqu’à Jésus, et jusqu’à nous.
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