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Forum Evangile selon Jean

Année 2025/2026- Forum Jean 

 Jean Zumstein, L’apprentissage de la foi. A la découverte de l’évangile de Jean et de ses lecteurs.

Feuille de route n° 1                  1er au 31 octobre 2025

Période :
01 octobre 2025 - 31 octobre 2025
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Chers amis,
Voici quelques réflexions et remarques pour faire écho à votre lecture de ces premiers chapitres de l’évangile selon Jean. Elles n’ont rien d’officiel, je les prends à mon compte !

1- Jésus et le Temple
Cette scène me semble parfaitement pédagogique pour que nous entrions ensemble dans la construction et dans l’écriture de l’évangile selon Jean.
Comme le fait Luc dans son chapitre 4 (Jésus à la synagogue de Nazareth), Jean construit ici une scène programmatique qui dessine la trajectoire de son évangile : la purification du Temple.

Le cadre de la scène et les principaux gestes de Jésus sont très semblables dans les quatre évangiles, et permettent de penser à un geste historique de Jésus, de ceux qui l’ont conduit à la croix 
Chez les Synoptiques, cette scène se situe lors de l’unique montée de Jésus à Jérusalem peu avant son arrestation et sa passion, dont elle est le déclencheur.
Mais Jean la place dès le début de son évangile : après la présentation de Jésus dans l’orbite de Jean-Baptiste qui, en prophète, le désigne comme le Seigneur annoncé par le prophète Isaïe, et prépare « sa manifestation » à Israël (1, 32), et après le premier signe donné à Cana de Galilée, du passage des outres de purification au vin nouveau des noces, Jésus monte une première fois à Jérusalem pour la Pâque.
Tout est réuni pour donner à lire son identité et son œuvre : le Temple est le lieu où Dieu se rend présent au milieu de son peuple à Jérusalem ; il s’agit du Temple reconstruit par Hérode le grand depuis 20 avant JC, et qui vient juste d’être achevé (26 ap. JC).
Les signes de l’alliance vécue par le judaïsme sacerdotal (dominé depuis près de 5 siècles par les grands-prêtres) sont présentés sous leur jour négatif : le commerce d’animaux purs et de la monnaie propre au Temple était une source d’enrichissement considérable des Sadducéens, familles de grands prêtres) ; ces animaux alimentent l’énorme masse des sacrifices offerts quotidiennement.

On note la violence d’abord inexpliquée du geste de Jésus : Jean précise « s’étant fait un fouet avec des cordes », et insiste : « il chassa, il dispersa, il renversa ».
Puis l’explication du geste se fait en deux temps :
D’abord, comme chez les Synoptiques, une contestation violente de l’usage commercial fait du Temple et du dévoiement de sa dignité de maison de Dieu. Cette contestation peut être interne au judaïsme, et elle l’a été (les Esséniens considéraient le Temple et les grands-prêtres comme impurs, les groupes baptistes étaient fermement hostiles au Temple et à ses sacrifices sanglants).
La note propre de Jésus chez Jean est la mention : « la maison de mon Père » ! Avec la compréhension postérieure et rétrospective des disciples qui lisent le geste de Jésus à la lumière des Ecritures : ici le psaume 68,10LXX (=69,10 hébreu), un psaume utilisé à l’arrière-plan des récits de la passion, et que Paul cite en Rm 15,3. Ils y lisent l’amour ardent de Jésus pour celui qu’il appelle « son Père » !

Mais une seconde lecture du geste (et donc de l’identité) de Jésus s’ajoute.
Les « Juifs » (autorités du Temple ?) demandent un signe : une intervention divine attestant de l’autorité de Jésus (Paul disait en 1 Co 1,22 : « les Juifs demandent des signes », soit des garanties estampillées par Dieu lui-même). Et Jésus propose un signe totalement invraisemblable qui ouvrira le dialogue par un malentendu.
Détruire matériellement le sanctuaire (46 ans de travail) et le relever en 3 jours ! La mémoire juive garde le souvenir de la destruction du premier Temple en 588 av. JC incendié par les Babyloniens ; les disciples de Jésus connaissent celle du Temple d’Hérode en 70 ap. J.C. par les Romains, un temple que personne ne reconstruira avant des siècles.
Mais Jésus désigne le Temple par ce qui fait son cœur, le Saint ou le Saint des saints, nommés en grec « sanctuaire » (naos).
Un travail de mémoire (et de compréhension christologique) de la communauté johannique permet rétrospectivement de voir dans ces paroles l’annonce de la mort et de la résurrection de Jésus. 
Plus qu’une annonce de la passion, on comprend qu’il y a là un déplacement et un bouleversement complets du lieu où Dieu réside au milieu des siens. Désormais le sanctuaire du Temple est vide et Dieu est présent dans le corps vivant, mort et ressuscité de Jésus. 
La question sera de ne pas trop vite « relocaliser » Dieu dans un « corps » (ecclésial/eucharistique).
En même temps, il faut mettre cette affirmation en tension avec celle qu’on lit aux chapitres 3 et 4 :« le vent/l’esprit souffle où il veut » 3,8 ; « Dieu est esprit » 4,24.
Notez que l’ambiguïté est grande : « je le relèverai », un verbe de la résurrection ! La tradition chrétienne dira d’abord et fermement : « Dieu l’a ressuscité », puis « il a ressuscité », mais non pas « il s’est ressuscité ». Qui est-il celui-là pour dire « je le relèverai » ?


C’est enfin la méthode de « relecture » qu’il nous faut observer : relire les événements du passé (ce qu’on a gardé en mémoire de la tradition de Jésus), en fonction de la passion et de la résurrection, à la lumière des Ecritures. Nous sommes toujours un peu frustrés de ne pas savoir de quelle partie de l’Ecriture il s’agit : là encore, la transmission se fait par la Septante (traduction grecque, aux formes parfois mouvantes ? tradition orale du targum en araméen et parfois traduite en grec ?). Certains Psaumes sont clairement utilisés (Ps 21 ; 68) ; plutôt il faut penser à des gens nourris de l’Ecriture, dont ils sont imprégnés, une Ecriture qui leur est présente à l’Esprit dans sa diversité de ses facettes…

Quelques mots pour finir sur les versets 2,23-25 : « car lui savait ce qu’il y avait dans l’être humain » ; exemple d’une phrase avec deux lectures possibles. On y a lu la connaissance absolue, divine, de Jésus, qui était censé savoir tout du monde passé, présent et avenir, du savoir de Dieu même. C’est oublier que Dieu a voulu rejoindre l’humanité dans cet Envoyé qui est fait « chair », et qui, comme un homme limité mais averti et réfléchi, savait bien « ce qu’il y a dans l’être humain » (on dirait aujourd’hui, il savait que « là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie » !)

 

2- L’entretien avec Nicodème
Un mot d’éclaircissement d’abord… même si la scène se passe « de nuit » !
Il ne faut pas chercher qui était Nicodème, il représente probablement le fait que certains membres du Sanhédrin, surtout des Pharisiens, ont pris la défense de Jésus (voir 7, 50-52, mais aussi 12,42 et Luc 19, 39). On le retrouve lors de l’ensevelissement du corps de Jésus, secondant Joseph d’Arimathée (19, 39-42), ce que les Synoptiques ignorent.
Il est certain en tout cas que l’évangile construit une figure possible du chemin vers la foi. Le chemin nocturne (une nuit hautement symbolique) d’un notable Juif, cheminement non explicite, qui culmine dans un geste de respect pour le corps crucifié. 
Les exégètes débattent sur le caractère positif ou négatif que l’évangile attribue à ce cheminement qui ne conclut pas. J’y vois une figure plutôt positive, l’évangéliste se montrant respectueux de la difficulté pour un notable du judaïsme de rejoindre le groupe de Jésus et d’avancer dans la foi en lui.

Ici Nicodème est présenté seulement comme un « chef » : le mot arkhôn est vague, « notable », dirigeant » ? Il se pose en représentant d’un groupe en « nous » : « nous savons » (v. 2) auquel Jésus répondra par une autre « nous savons » au v. 11.
Que savent-ils ? Que Jésus est, un rabbi, un maître, enseignant, donc compétent en matière d’interprétation de la Loi. Mais ce sont les « signes » qui conduisent Nicodème à affirmer : « Dieu est avec lui ». Une affirmation à plusieurs niveaux, bien sûr : un simple accompagnement, un envoyé « de la part de Dieu » ou une allusion à l’ «Emmanu-el », Dieu-avec-nous ?
Jésus entraîne aussitôt Nicodème sur un autre terrain, celui de la « vision du royaume de Dieu ».
On dit souvent, c’est un thème juif répandu ! Oui, dans les évangiles synoptiques, moins dans l’Ecriture, où il s’agit plutôt de « Dieu qui vient en roi » ! Et il assortit cette étrange proposition d’une non moins étrange condition : « s’il n’est pas engendré d’en haut » qu’on peut lire aussi « s’il n’est pas engendré à nouveau » (v. 3).
L’adverbe a les deux sens (on trouve dans les récits de guérison d’aveugles le même jeu avec le préverbe : voir en haut = lever les yeux ou voir à nouveau = retrouver la vue).
Mais je ne sais pas du tout lequel Jésus utilise ici. Car dans l’ordre spirituel, les deux sont possibles. Et dans les emplois assez proches de 1 Pierre 1,23 et Tite 3,6, on est plutôt dans la nouvelle naissance baptismale !
Evidemment, dans cette scène, Nicodème joue l’idiot de service, en feignant de comprendre une nouvelle naissance physique !
C’est pour donner l’occasion à Jésus de dire que cette naissance nouvelle/d’en haut est naissance d’eau et d’esprit. Faut-il penser au geste du baptême ? Oui, clairement dans les premières communautés chrétiennes, alors même que l’évangile confirmera que Jésus lui-même a cessé de baptiser (4,2). 
Cela permet de préciser que le geste d’eau dès les toutes premières Eglises est d’abord un geste repris de la tradition du Baptiste. Et qu’il est aussitôt réinvesti d’une signification nouvelle : c’est un baptême dans l’Esprit. Tout l’évangile de Jean associe l’eau jaillissante et l’Esprit (voir ch. 4 et 7 entre autres). Paul déjà en avait fait le geste d’entrée dans une plongée et une conformation progressive à la vie/mort/résurrection de Jésus Christ (Rm 6).
Mais justement l’Esprit ! Et nul ne peut mettre la main sur l’Esprit, ce souffle créateur, vent premier qui souffle où il veut et nul ne sait d’où il vient et où il va ; seulement il faut « entendre sa voix » (v. 7) !
Je suis sidérée par l’ouverture extraordinaire de ces paroles (universalistes !), portées par les communautés johanniques, qui, par ailleurs, sont si souvent tentées de se refermer sur elles-mêmes et leur haute confession de foi. Cela aussi fait partie des tensions que nous vivons !

A nouveau, au v. 9, Nicodème relance la question, mais plus prudemment, et Jésus lui renvoie le titre de « maître » que Nicodème lui avait offert (v. 10 et 2). Tout comme le savoir qui va maintenant être déplacé et déployé de façon solennelle en « nous » (v. 11, voir v. 2).
D’une certaine façon, quelques grands thèmes de la foi professée par les communautés johanniques sont abordés là : 
Certes l’opposition entre les choses terrestres et les choses célestes reflètent une tendance dualiste, mais elle est aussitôt traversée par l’élévation sur la croix et dans la gloire du Fils de l’homme (l’envoyé de Dieu dans notre humanité), comme Moïse a «élevé » le serpent guérisseur dans le désert ; ce verbe « élever, exalter » est celui de certains kérygmes disant l’élévation dans la gloire du crucifié (Phl 2,9). Le Fils de l’homme élevé sur la croix fait passer les choses de ce monde terrestre dans l’ordre divin (le monde céleste).
Le salut du monde : Dieu a aimé ce monde, et c’est bien le nôtre, notre ici-bas, décevant et moche, qui est aimé de Dieu, et auquel i il a envoyé son Fils unique – venu dans notre chair, dans notre humanité.
Dieu qui veut que le monde soit sauvé (17-18) et non pas jugé.
Aussitôt se pose la question du « jugement ». Et là, les choses s’éclaircissent : le jugement ne vient pas de Dieu qui n’a pas envoyé son Fils « pour juger le monde », mais chacun, par ses choix, ses actes, ses paroles, se juge lui-même. L’opposition lumière/ténèbres, est celle de nos actions justes ou injustes. Avec le mensonge et le secret qui accompagne les actions mauvaises, car le mal craint de se dévoiler en pleine lumière (« de peur d’être confondu »).
Celui qui « fait la vérité », celui-là s’avance vers la lumière dans la confiance (la foi) en Dieu qui veut que ce soit bon.
Et cela est vrai du monde, et donc de tout être humain. Pour les croyants des Eglises johanniques, ce choix est du même coup le choix de croire (de mettre toute leur confiance) dans le Fils envoyé pour sauver l’humanité. Mais nous savons bien que beaucoup n’ont pas la foi, qui montrent par leur vie et leurs actes qu’ils tentent au mieux de « faire la vérité ». Et nous sommes en droit de penser que les chemins christiques sont plus nombreux que nos jugements souvent étroits !


3, 22-36 Je ne vous avais pas proposé de travailler la suite du texte (déjà suffisamment dense et riche par lui-même). Je note seulement que ce qui suit met bien au clair la situation de Jean Baptiste par rapport à Jésus, Jean est le témoin par excellence d’une alliance ancienne en train de se transformer en alliance nouvelle : « il faut que celui-ci grandisse et que moi je diminue » (v.30).

 

Quant aux versets 31 à 36, ils représentent t un de ces ajouts explicatifs dans les dernières étapes de la trajectoire de l’évangile selon Jean. Une christologie de l’Envoyé, qui dit les paroles de Dieu, reçoit et donne l’Esprit sans mesure, dans un lien d’amour et de confiance total. Avec un appel à la foi sur le mode de la menace prophétique !



 

 

 

 

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