Aller au contenu principal

Dimanche 31 mars 2024 – Résurrection du Seigneur – Jean 20,1-9 

Les mots résurrection et ressusciter ne se trouvent pas dans les Évangiles. Le substantif est une invention du latin chrétien, dans la seconde partie du deuxième siècle ; quant au verbe, il a le sens en latin classique de se relever, se rétablir, se redresser, se ranimer, reprendre sa force, sa puissance.

Dans les langues modernes, les termes, à la suite du latin, n’ont quasiment qu’un sens chrétien de sorte qu’ils deviennent des mots techniques. C’est si vrai que ce sont alors deux racines grecques qui se cachent derrière leur emploi, se réveiller ou se lever. Preuve de ce sens technique : dès le latin, on ne traduit pas systématiquement se lever par ressusciter ! Sous prétexte que ceux qui ont été relevés ou réveillés par Jésus mourront un jour et définitivement, on fait entendre catéchétiquement la différence avec la résurrection jusqu’à tuer la sève évangélique.

La métaphore est morte, ainsi que dirait Ricœur. Pour la réveiller ‑ c’est le cas de le dire ! – certains traduisent résurrection par insurrection, soulèvement qui renverse autant qu’il met debout, rétablit ce qui était sens-dessus-dessous dans le « bon » sens, remet les choses en place selon l’amour de Dieu. Même en l’absence du mot, c’est ce qu’on entend dans le Cantique de Marie : « Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles. »

Bien qu’elle ait lieu dans l’histoire des humains, la résurrection n’est pas un fait historique, observable. Elle est une confession de foi, c’est-à-dire une manière de voir ce que nous vivons, de comprendre ce qui nous arrive. Elle n’est pas plus d’hier que de demain, mais aujourd’hui, non pas gain du ciel et évitement de l’enfer, mais amitié dans l’instant. Elle ne se dit pas comme les faits mais comme Dieu dont elle est le nom : « Je suis la résurrection et la vie. » Pour la dire, il faut un traité des noms divins et non l’appareil de l’observation et de la description ; la croire ouvre les yeux : Nisi credideritis, non intelligetis.

L’expérience du soulèvement, faire se lever qui gît, abattu, est aujourd’hui comme hier commune, pour peu que l’on visite ceux qui « habitent les ténèbres » ou que l’on demeure soi-même dans « l’ombre de la mort ». Où voir la résurrection sinon près des tombeaux ? Des personnes se redressent autant qu’elles sont relevées. Aucun miracle ‑ la mort encore – mais…

« Je n’ai pas de connaissance. J’ai juste une expérience personnelle, particulière du lever du jour. Il a pour moi une importance absolument considérable. Il signe la capacité, la nécessité de continuer de croire. Cela a à voir avec la création, séparer le jour, la nuit. Je ne suis pas optimiste. C’est d’un autre ordre. Je ne crois pas, fondamentalement que les choses s’arrêtent où l’on croit qu’elles s’arrêtent. La mort n’est pas plus forte que la vie. C’est ma foi, c’est très fort chez moi. D’avoir écouté autant de souffrances m’a permis vraisemblablement de me laisser guider par toutes ces personnes. Si j’ai pu me laisser guider, c’est que moi-même j’ai été écoutée dans le lieu de ma souffrance, profondément, en vérité. C’est quelque chose que je reconnais très fort. On ne naît à soi-même qu’aussi à travers la parole qu’on a pu oser dire à quelqu’un d’autre, oser à quelqu’un d’autre, au bon endroit au bon moment, et qu’elle a été écoutée et reçue. Je suis entraînée sur ce chemin-là d’écouter à mon tour et d’essayer d’aller avec la personne là où la mort n’a pas le dernier mot. » (Isabelle Le Bourgeois)

Ces mots ont la force de la résurrection parce qu’ils ont été puisés aux tréfonds des souffrances, subies ou provoquées. Le corps du Ressuscité est marqué par les plaies pour que le mal subi ne soit pas oublié, dissimulé, passé par pertes et profits. On souffre toujours en vain. Porter, enlever le péché du monde c’est en décharger ceux qu’il écrase. C’est depuis les victimes que s’énoncent les mots de Dieu : « J’ai vu la misère de mon peuple. » Témoigner de ce qui ne peut être réparé, à jamais cassé, irréversiblement, l’amour échangé avec ceux qui sont morts, les vies cassées par le viol et la torture, la maladie et la dépression, l’injustice et le mépris, la misère et la migration avilissante, est reconnaissance d’autrui, est relèvement, est vie.

Les Pères du désert priaient, debout, sans mots, tournés vers l’est, attendant le lever du soleil, n’apportant pas de réponse au mal. Ils voyaient dans le jour qui se lève, aujourd’hui et demain, la force de vivre encore.

Et nous en sommes là, dans ce service du bien commun de la mémoire, ministère de l’espérance d’un jour nouveau, ici, maintenant à Gaza, en Ukraine, partout. La résurrection ne se voit, touche, entend, comme le Verbe de vie, que dans et par la fraternité. Avec ceux que nous recevons comme frères et sœurs, spécialement les écrasés et massacrés, faisant mémoire par eux, avec eux et pour eux de la mort et de la résurrection du premier-né d’entre les morts, nous offrons le pain de la vie et la coupe du salut, nous, peuple sacerdotal d’une humanité voulue pour la vie, en abondance.

Crédit photo
Vatican Museums, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons
Image