Aller au contenu principal

Dimanche 19 novembre 2023 – 33e dimanche du temps ordinaire – Mt 25, 14-30

Juste avant de partir au loin, un homme appelle ses serviteurs et leur donne [1]ses biens, à chacun selon sa propre force : à celui-ci cinq talents [2], à celui-là deux, à celui-là un. Il donne ses biens… il n’en délègue pas la gestion pendant son absence.

Après son départ, les deux premiers œuvrent avec ce qui leur a été donné, et chacun gagne autant que ce qu’il a reçu ; le troisième creuse la terre et y cache l’argent.

« Après un temps long, le maître de ces serviteurs vient [3], et il lève-ensemble une parole avec eux. » Cette traduction au plus près du grec, certes rugueuse, exprime qu’il ne s’agit pas d’un retour – d’une façon en quelque sorte « programmée », pour demander des comptes aux serviteurs –, mais d’une visite pour dialoguer avec eux.

Les dialogues entre le maître et chacun des deux premiers serviteurs sont identiques. Même récit du serviteur – le don du maître, l’action du serviteur et le gain montré au maître : « Vois, (…) autres talents j’ai gagnés. » – et même réponse du maître : « Bien, serviteur bon et digne de confiance, en peu tu étais fiable, sur beaucoup je t’établirai ; entre dans ce qui réjouit le cœur de ton maître. » L’important n’est donc pas le nombre de talents, mais ce qui est commun aux deux serviteurs : l’appropriation du don et l’usage souverain qui en a été fait. Usage souverain stimulé par le départ au loin du maître, et salué approuvé par la promesse du maître.

Le récit du troisième serviteur est complètement différent. Il dit son effroi face à un maître qu’il ‘sait’ être un homme dur, aussi lui rend-t-il le talent qu’il avait caché en terre : « Vois, tu as le tien. » Pour lui, qui (croit qu’il) ‘sait’ le maître, le talent appartient toujours au maître. Il n’a pas reçu le don et ne se l’est pas approprié. À nouveau, la réponse du maître commence par un constat : serviteur infortuné, craintif, tu n’as pas porté l’argent aux banquiers et il n’a pas produit d’intérêts. Il le débarrasse de ce talent qui le diminue au lieu de le faire grandir, et donne ce talent à un des deux autres, celui qui avait le plus reçu. Et il renvoie ce serviteur vers sa ténèbre. Serait-ce la ténèbre dans laquelle il s’enferme – comme il a enterré le talent, croyant ‘savoir’ qui est le maître ? Sa lamentation et ses grincements de dents y seront-elles la première chose qu’il s’appropriera [4] ? Chemin, aride et risqué, qui pourrait bien conduire à un retournement : que le serviteur cesserait de croire ‘savoir l’autre’ pour entrer enfin dans la joie du maître.

Ainsi, lorsque tel le troisième serviteur je ‘sais’ l’autre, ce ‘savoir’ intrusif stérilise la relation et m’empêche d’œuvrer de façon féconde avec ce que je reçois. Alors que, lorsque tels les deux autres serviteurs je peux et sais faire confiance à l’autre dans un respect mutuel, la relation devient féconde : elle réjouit le cœur d’une joie dont Jésus nous dit qu’elle est semblable à la royauté des cieux (Mt 25, 1).

_____________________________________

[1] Premier sens du mot grec utilisé ici.

[2] Un talent valait 6000 drachmes ou deniers. Un drachme était le salaire journalier moyen d’un ouvrier ou d’un soldat. Une énorme somme.

[3] Le verbe grec utilisé ici a pour sens « venir », et pas « revenir ».

[4] Marie Balmary, in Abel ou la traversée de l’Eden, éd. Grasset, 1999.

 

Crédit photo
Kevin Schneider de Pixabay
Image