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Notre foi est semblable à un arbre majestueux, vieux de vingt siècles, puisant sa sève en de profondes racines. Parmi le riche vivier culture, cultuel et spirituel du Moyen-Orient, une poussée séculaire suscita des croyances religieuses en perpétuelle mutation, non sans drames et affrontements. Le pape François observe qu'« il faut parler de racines au pluriel car il y en a tellement ». Le christianisme n’est pas une religion hors sol, correspondant à un aérolithe tombé des cieux. Il est mémoire de l’humanité. Jésus de Nazareth a exprimé qu’il n’est pas venu pour abolir mais pour accomplir (Mt. 15-17). Ce qui s’est passé avant lui n’est pas dénué de sens. Et donc après lui non plus. 

Reconnaître la multiplicité des racines revient tout d’abord à admettre que la foi soit un processus évolutif, évidemment lié à l’aventure humaine, tributaire de ses avancées, de ses impasses et de ses seuils. Et ensuite à relativiser ce qui sépare les différentes confessions chrétiennes entre elles et d’avec les autres religions, en vue d’un accord qui porterait sur l’essentiel, la paix entre les peuples. L’arbre chrétien n’est pas esseulé dans un désert mais il se situe dans une forêt avec laquelle il communique par les discrets signaux de la vie.

Dès le départ, le christianisme fut divisé en tendances conflictuelles : certains conservent la circoncision et les interdits alimentaires, d’autres les refusent, d’autres encore sont marqués par les thèses gnostiques, tous incorporent la culture grecque. À Antioche où fut rédigé l’évangile de Matthieu, de multiples traditions coexistaient, juive, grecque, persane. Cependant plus important encore, le pouvoir était romain. À trop se référer à nos racines judéo-chrétiennes, à trop les instrumentaliser dans le discours identitaire du populisme, on omet la tradition de Rome qui fut dominante dans la pratique quotidienne : la langue liturgique fut longtemps le latin, son vocabulaire fut importé (curie, diocèse, basilique, dicastère, préfet, pontife), ce qui laisse discerner que les institutions correspondantes se transmirent également et qu’elles sont donc contingentes.

Exemple de racine atrophiée. Le 20 avril 2007, la Commission théologique de l’Église catholique publie un rapport déclarant : « L'idée des Limbes, que l'Église a employée pendant des siècles pour désigner le sort des enfants qui meurent sans baptême, n'a pas de fondement clair dans la Révélation, même si elle a été longtemps utilisée dans l'enseignement théologique traditionnel. »  Le terme n’apparaît qu’au XIVe siècle et relève de l’imagination des théologiens. Cette croyance fut une sorte de racine adventice qu’il a bien fallu finir par arracher. 

Il en est d’autres qui furent déracinées lors du concile Vatican II : l’antijudaïsme séculaire lié à l’accusation de peuple déicide, remplacé par l’interdit de toute manifestation d’antisémitisme ; la tyrannie d’une langue morte, le latin, facteur imaginaire d’unité, au bénéfice des langues vivantes des peuples.

Si les limbes ne sont qu’un concept accessoire, une radicelle, la résurrection des morts est l’article majeur du Credo. Or c’est une croyance relativement récente qui se révèle éphémère. Elle provient de l’histoire juive et elle apparaît deux siècles avant Jésus Christ. Avant ça, aux temps de Moïse, de David et des prophètes, on pensait qu’il n’y avait pas de vie après la mort. À l’époque du Christ, les Sadducéens en rejetaient la croyance et aujourd’hui encore des pratiquants du judaïsme l’ignorent. 

Selon un sondage TNS-Sofres pour l’hebdomadaire Pèlerin, à peine 10 % des Français interrogés croient à la résurrection des morts. Chez les catholiques ils atteignent 13 %, 31 % chez les pratiquants et 57 % chez les pratiquants réguliers. La racine centrale de l’arbre des croyances est moins robuste qu’on ne le pense. Les commentaires récents sur le mystère pascal insistent sur l’aspect spirituel de ce « relèvement » et s’écartent des conceptions biologiques antérieures.

Reconnaître nos racines signifie tout d’abord bien admettre que nous en ayons, que nous ne soyons pas de purs esprits illuminés par le Ciel. C’est ensuite réaliser le caractère évolutif de l’arbre de la foi, qui pénètre toujours plus avant dans le terreau de l’humanité pour pousser plus haut sa cime. C’est enfin exprimer la reconnaissance, au sens de gratitude, pour cette croissance spirituelle des hommes sous l’influence d’un souffle, qui va et vient comme il l’entend au point qu’il faille accepter de se laisser surprendre. Et maintenant de se préparer à arracher le chiendent du cléricalisme et à pousser de nouvelles racines pour la paix, la tolérance et la charité.

Crédit photo
Eric Bajart, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons
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