Et non un accueil par « Je confesse à Dieu »…
Il serait intéressant de composer une véritable prière d’accueil à la messe, qui soit irénique, conviviale, allègre, qui approuve les fidèles pour leurs efforts de la semaine et les y encourage. C’est le moment privilégié pour dire le bien (bénir) plutôt que le mal, pour proclamer l’indulgence, l’absolution, la délivrance de la pesanteur naturelle. Pour proclamer le Salut déjà survenu. Pour consolider l’innocence.
La présomption d'innocence est le principe du Droit selon lequel toute personne qui se voit reprocher une infraction est réputée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été démontrée, la preuve étant à la charge de l'accusateur. Elle constitue l’assise des nations civilisées. Au-dessus du juridique, elle possède une valeur éthique et culturelle : le citoyen est un homme libre, respecté, protégé contre l’arbitraire des pouvoirs ou la malveillance des autres.
Cette innocence n’est pas toujours allée de soi. Pendant longtemps la suspicion de culpabilité fut déterminante. Combien de femmes simplement étranges furent brûlées vives comme sorcière sur base d’une dénonciation sans preuve. L’innocence a lentement émergé dans la société civile, par exemple chez Rousseau. On peut la considérer comme une avancée discrète et irrésistible d’une ouverture de Jésus de Nazareth, qui selon ses dires ne venait pas pour condamner mais pour sauver, non pas pour relever mais pour élever, non pas pour effacer mais pour écrire.
Le paradoxe veut que la présomption d’innocence soit maintenant devenue la règle de la société civile tandis qu’une présomption de culpabilité subsiste à l’état de trace dans la pratique religieuse. Le mythe du péché originel en est le fondement, « une vérité essentielle de la foi » selon le Catéchisme. Le plus sensible est le Confiteor : la première posture dans la célébration de l’Eucharistie consiste à confesser le péché « en pensée, en paroles, par action et par omission ». Rien n’échappe à cette formulation, non seulement le mal éventuellement commis, mais aussi le bien omis. Qui peut prétendre avoir fait tout le bien qu’il aurait pu faire ?
Ce texte décrit-il ce que fut la semaine d’honnêtes adultes (encore pratiquants) qui se sont exténués pour gagner le pain du foyer, pour élever leurs enfants, pour soigner leurs parents âgés, pour surmonter la fatigue, la routine, la tentation ? Quelle signification a-t-il pour de jeunes enfants qui se demandent ce que cela veut dire ? Ont-ils péché et en quoi que ce soit ? Faut-il inventer des fautes ou les exagérer pour se donner meilleure conscience ? Faut-il se persuader que l’on est un pécheur qui s’ignore ? Faut-il se détester pour ce que l’on est, se suspecter d’être laxiste ?
Si l’on choisit cette attitude, elle peut déboucher sur le sentiment envahissant d’être coupable d’exister, d’être comme humain une insulte à la Création et une carence par rapport au divin. Cela peut signifier abdiquer l’estime de soi et le respect des autres. L’enfant doit supposer que ses parents soient des pécheurs qui n’ont pas fait à son égard tout ce qu’ils auraient dû. Chacun peut ressasser les offenses d’autrui en se reposant sur sa propre vertu d’humilité.
Une messe constitue une réunion de la communauté en un rite inspiré du repas. Si l’on est invité chez des amis, on ne commence pas en franchissant le seuil à se charger en paroles de tous les péchés du monde. Un véritable accueil se conçoit dans la bienveillance, voire l’indulgence. Si ce n’est pas le cas, c’est l’indice d’un piège. Ce n’est pas une invitation mais un procès.
Le Confiteor instaure une distance entre le célébrant et les fidèles. Cette réunion s’ouvre sous l’auspice de l’emprise cléricale, par une confession sans absolution. Pourquoi ne pas le remplacer par une véritable prière d’accueil ?