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Alors que la grande majorité des catholiques adhère à la démocratie, le fonctionnement de notre Église peut-il demeurer monarchique ? Avec cette belle pyramide de nos catéchismes censée définir sa nature. Les fidèles doivent-ils abandonner ce qu’ils sont habitués à pratiquer : le contrôle des pouvoirs, l’élection de leurs représentants, leur participation au destin de leur Cité quand ils franchissent le seuil de leur église ? Ce serait mener une double vie, l’une où l’on assume ses responsabilités quand l’autre consisterait à obéir sans chercher à comprendre ainsi que l’affirme l’une des obligations de tout bon soldat ! Pourtant, ils ne sont pas rares ceux qui revendiquent d’être participants ou engagés dans divers secteurs et même sans doute opposés à l’absentéisme électoral.

Un regard sur notre Histoire nous oblige à constater que les structures monarchiques ont façonné notre Église avec des relations d’autorité en son sein et même des abus de pouvoir. On a identifié des papes à des monarques à la souveraineté absolue, quitte à les estimer infaillibles dès qu’ils ouvrent la bouche ! Et, à un moindre titre, des évêques dans leur diocèse et des curés dans leur paroisse n’ont pas toujours évité une attitude de domination que pouvait leur donner le sentiment d’être des personnages sacrés, « des petits rois » !

Pour être juste, on peut remarquer que cette attitude était renforcée par le comportement passif des fidèles, par leur consentement à ce lien et à la désappropriation de leur pouvoir, à l’exemple de citoyens qui se désintéressent de « la chose publique » et de leurs droits légitimes. Ce qui, dans la société, conduit tout droit à la dictature, et, dans l’Église, à ce que l’on peut qualifier au moins d’autoritarisme, quand elle s’accroche à un fonctionnement monarchique.

Pour répondre à la question de savoir si l’Église peut être une démocratie, il est nécessaire de s’entendre sur le sens de ces termes, que ce soit au niveau théologique ou sociologique. La démocratie est « un système politique où le peuple est souverain ». C’est un système juridique, basé sur des Lois (une Constitution) issues des représentants élus par les citoyens, visant à réguler la vie en société.

L’Église ne se définit pas d’abord comme un système juridique, mais en tant que « Peuple de Dieu » constitué de l’ensemble des baptisés se réclamant de Jésus comme Messie avec la mission de vivre et transmettre le message évangélique. Pour faire bref, on peut dire que c’est bien l’Évangile qui est à la base de l’Église et non pas le Droit Canon ! C’est ce qu’a rappelé le Concile Vatican II (dans la Constitution Lumen gentium) avec cette affirmation : « La collectivité des fidèles ne peut se tromper dans la Foi. » Ainsi, ce que l’on appelle le Magistère, le pape et les évêques, se doivent de suivre cette norme. Ils sont dépositaires d’un pouvoir au service du Peuple de Dieu.

De cette différence entre démocratie et Église, on peut tirer la conclusion que l’Église n’est pas une démocratie au sens juridique et politique. Mais, pour être fidèle à sa mission, elle devrait renoncer à un fonctionnement monarchique en adoptant des pratiques démocratiques. Ce qui nécessite que ses membres puissent avoir la parole ainsi que l’exprime le vieil adage « la voix du peuple est la voix de Dieu » et s’engager sans attendre des autorisations venant d’en-haut ! C’est aussi ce qui oblige les responsables à consulter et écouter la voix du Peuple, dépositaire du « sens de la Foi » (sensus fidei).

Le contentieux entre Démocratie et Église au cours des siècles a connu son apogée avec la condamnation de la première par Pie IX au 19e siècle. Des catholiques ont réagi au début du siècle dernier contre cette condamnation, en France particulièrement. L’Histoire a retenu l’exemple de Marc Sangnier et le groupe du Sillon. Condamné par Pie X, Marc Sangnier a gardé la foi et continué son engagement dans des luttes sociales au nom de l’Évangile. Son mouvement a été « doublé » à la même époque par ceux qu’on a appelés « les abbés démocrates ». Des prêtres bretons, s’inspirant de prédécesseurs tels que l’abbé Grégoire et Lamennais, ont éveillé les paysans de leur région à faire valoir leurs droits face aux riches propriétaires dont ils cultivaient les terres, dans des conditions relevant du Moyen Âge.

On peut également mettre les mouvements d’Action Catholique au nombre de ceux qui ont adopté dans leur fonctionnement des pratiques démocratiques, ne serait-ce que donner au prêtre une mission d’accompagnateur et non de responsable dans leurs équipes. Alors que ces mouvements connaissent aujourd’hui un déclin, d’autres groupes se sont fondés, qui revendiquent de prendre la parole dans l’Église et de retrouver une place qui est loin de leur avoir été toujours reconnue.

Ces voix nouvelles réclament de nouvelles voies et pourraient bien se retrouver dans ce slogan : « La liberté ne se demande pas : elle se prend. » Cet exercice d’une liberté liée au sens de la responsabilité, présente dans le message évangélique, peut représenter une chance pour l’Église qui, en se détachant de son « poids pyramidal » hérité d’un fonctionnement monarchique, pourrait gagner en crédibilité en revenant à sa véritable nature et en vivant une nouvelle Pentecôte.

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