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Cet homme d’engagement, qui fut dans les années 50 Secrétaire national de la JEC avant de devenir, en 1972, Secrétaire national du SGEN-CFDT

Michel Armand a 88 ans aujourd’hui. Cet homme d’engagement, qui fut dans les années 50 Secrétaire national de la JEC avant de devenir, en 1972, Secrétaire national du SGEN-CFDT, pousse un cri d’alarme. Ce qui l’a toujours fait vivre : la lecture de la Parole. Et ce qui lui fait mal aujourd’hui : que la hiérarchie ecclésiastique d'une part enseigne peu la Parole et que d'autre part elle fasse, pour le moment en tout cas, obstacle à cette Parole de Vie.

Il pense ici aux victimes broyées par l’Église comme aux prêtres fidèles à leur engagement…

Cette réflexion, je l’appuie sur un article du jésuite Christoph Théobald de décembre 1999.

La mise en œuvre de Vatican II laisse un goût amer, pourquoi ? C'est que la distorsion entre un projet déclaré et le style de sa mise en œuvre produit nécessairement déception et perte de crédibilité.

Maladroitement les Synodes essaient d'atténuer cet effet ; il y a ainsi des ébauches d'une nouvelle figure d’Église. Quelques traits se dessinent avec ces trois faits théologiques :

  1. L'appel universel à la Sainteté sonne le glas de deux états de vie, de deux classes de chrétiens : a minima pour les laïcs et perfection pour les clercs. Toute vie est appelée « à la démesure » de la sainteté. Dans la société terrestre cette sainteté contribue à promouvoir plus d'humanité. Autrement dit « plus » de sainteté signifie « plus » d'humanité ;
  2. La prise de responsabilité dans la communauté : des hommes et des femmes prennent des responsabilités au nom de l’Évangile. Des personnes vivent une transformation de leur identité repérable et repérée par d'autres sans que ce passage soit signifié sacramentellement. Autrement dit, la distinction entre disciples et apôtres ne correspond plus exactement à la distinction actuelle, dans la réalité ecclésiale, entre personnes non ordonnées et personnes ordonnées ;
  3. Relation de l’Église aux autres et à la société : des chrétiens rencontrent dans la vie des personnes situées autrement dans l'existence et se découvrent avec elles, porteuses de sens dans le quotidien de tous les jours, plus d'affinités qu'avec tels chrétiens du dimanche.

L’Église doit faire urgemment « sa sortie d’Égypte ». Reprenons Théobald : le peuple de Dieu est prêtre, prophète et roi. C’est ce qu’affirme le Concile. Dès lors, il n’y pas de personnes proches de Dieu (les clercs) et d’autres (les laïcs) plus éloignés mais tous sont appelés à la sainteté. J’ajouterais, personnellement, que les premières communautés chrétiennes se dénommaient « fraternités ». Or, dans une fratrie, il n’y a pas de hiérarchie mais des fonctions différentes qui n’entraînent pas de supériorité. Ne soyons pas naïfs, dans tout groupe des personnes peuvent avoir un ascendant sur les autres mais cela ne dépend pas obligatoirement de leur fonction ou de leur rôle. Or, dans l’Église aujourd’hui, rôle et fonction déterminent ascendant et pouvoir qui forment une chaîne hiérarchique, laquelle se situe à côté et au-dessus du peuple de Dieu.

Théobald regarde le fonctionnement de la Communauté et constate que des tâches sont remplies par des hommes ou des femmes sans qu’elles soient signifiées sacramentellement. Cela me fait penser au chapitre 11 des Nombres où on rapporte à Moïse qu’Elad et Medad prophétisent alors qu’ils n’appartiennent pas au cercle rapproché du Prophète. Josué demande à Moïse de les en empêcher. Mais celui-ci répond par la négative et ajoute : « Puisse tout le peuple de Yahvé être prophète ! » L’Évangile s’en fera l’écho en rapportant les paroles de Jésus : « Le vent souffle où il veut. » (Jn 3,8)

 

Tout ceci peut être au fondement d’un grand changement dans la structure de l’Église « corps mystique du Christ ». Aujourd’hui, de ce corps monte des voix et la mienne en est une. Que faut-il faire ?

Revoir la définition de clercs et laïcs. Si les membres du peuple de Dieu sont prêtres, prophètes et rois [1], si cette définition a un sens, faut-il qu’il existe un fossé entre la condition des prêtres et celle de laïcs. Faut-il qu’il existe des pouvoirs différents ?

Il faut aussi prendre au sérieux ces versets de la Genèse où Dieu se parlant à lui-même dit : « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul » et Il crée la femme de même substance que l’homme. Que la femme soit l’égale de l’homme est un impératif dans l’Église comme dans la société. Si donc, pour des raisons pratiques, des prêtres doivent rester, les femmes doivent pouvoir accéder à cette fonction. De même, les nouveaux prêtres doivent pouvoir se marier [2].

Enfin et surtout, j’accuse la Hiérarchie de ne pas mettre tout son zèle à répandre la Parole de Dieu. Où retentit-elle ? Le dimanche dans la première partie de la messe. Elle est tronçonnée en trois petits morceaux : un de l’Ancien Testament, un autre des Évangiles et un petit morceau de saint Paul (il ne peut pas y avoir de messe sans saint Paul. Et pourtant ses lettres sont trop complexes pour être découpées en petits morceaux ; et puis Paul n’est pas le Christ !) Après l’écoute attentive ou distraite, survient l’homélie censée expliquer les textes lus et parfois le célébrant se perd dans des digressions « hors sujet ». Alors commence pour le « fidèle » ce qui est essentiel : la prière eucharistique.

Et si on inversait les priorités ?

La Parole de Dieu est le Premier Sacrement. C’est lui qu’il faut manger comme le fit Ezéchiel à qui l’Ange tendit le Livre et lui intima l’ordre « Mange ! »

La Parole est nourriture. Elle est vie. Il faut la partager et le lieu essentiel pour cela est le dimanche, à la messe. C’est ce qui s’est produit à Orléans en l’église Jeanne d’Arc, pendant une douzaine d’années où la première partie de la Messe fut convertie en petits groupes partageant la Parole.

Voilà ! D’autres voix diront autre chose et cela est bon.

Encore faut-il que la révolution se fasse car il s’agit d’une révolution.


Michel Armand – 13 octobre 2021

 

[1]Roi ne peut être entendu que comme l’écriteau de la Croix « roi de Juifs »

[2]La loi du célibat date du tournant du XI°/XII° siècle en même temps que la rigidité concernant le mariage (cf Le chevalier, la femme et le prêtre de Georges Duby). Ajoutons que le vœu de célibat est une « discipline » imposée par l’Église de Rome qui n’existe pas chez les orthodoxes, par exemple.

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