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Vous aurez beau entendre, vous ne comprendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas. Car le cœur de ce peuple s'est épaissi, Ils sont devenus durs d'oreille, ils se sont bouché les yeux pour ne pas voir de leurs yeux, pour ne pas entendre de leurs oreilles, ne pas comprendre avec leur cœur, et pour ne pas se convertir. (Mt 13,14-15)

Chers frères évêques de l'Église de France, c'est avec colère et indignation, mais aussi avec affection, que moi, prêtre, je vous adresse cette lettre. Voilà des mois, des années, que vos silences et le seul souci de votre honorabilité couvrent d'innombrables turpitudes au cœur même de notre communauté chrétienne et jusque chez nos plus hauts responsables. Réveillez-vous, je vous en prie, ouvrez les yeux et voyez, tendez l'oreille et entendez ! La communauté dont vous avez la charge est comme un troupeau sans pasteurs. Parmi vos brebis, il en est qui s'éloignent, d'autres qui cherchent à se réfugier dans un passé révolu. Et pendant ce temps l'Évangile de Jésus Christ n'est pas proclamé, la Bonne Nouvelle de Dieu pour le monde n'est plus entendue ! Nombreux encore, heureusement, sont les témoins de Jésus qui, dans la discrétion de leur vie quotidienne, maintiennent le flambeau. Je vous en prie, ne les découragez pas !

Comme Jean-Baptiste, commencez par vous dépouiller de tous vos oripeaux, ces reliques d'un temps pas si lointain où l'Église faisait peser son pouvoir sur nos sociétés. L'image encore toute récente de votre assemblée à Lourdes, avec vos mitres, vos chasubles, vos bagues, vos crosses, est par elle-même un contre témoignage qui fait injure à la pauvreté de Jésus aussi bien qu'à sa préférence pour les pauvres. La même image, sans laïcs et surtout sans femmes, est aussi une injure faite à toute la communauté chrétienne. Vous la dominez, vous prétendez parler en son nom, mais vous ne la représentez pas. Et pourtant, sans ces bataillons d'hommes et de femmes que vous maintenez en bas de l'autel, que serait notre Église aujourd'hui ?

Il ne suffit plus, chers frères évêques, de vous rouler dans la cendre en demandant pardon, de prendre des mesures canoniques supposées adéquates aux maux que vous voulez guérir. Il ne suffit plus de nous dire une fois encore que désormais les choses vont changer radicalement, que votre parole sera transparente. Il ne suffit plus de faire appel à des experts, psychologues, conseillers en communication, juristes... Il ne suffit même plus de prier. Tout cela il fallait le faire, et c'est déjà un pas important, mais c'est encore gravement insuffisant, car vous ne vous attaquez là qu'aux symptômes du mal, non à ses causes profondes. Moyennant quoi vos remèdes ne sont que des cataplasmes sur un corps qui reste gravement malade.

Le « mal systémique » bien diagnostiqué par le rapport Sauvé dont souffre notre Église est profond en effet. N'a-t-il pas sa source dans la sacralisation du sacerdoce qui place évêques et prêtres au-dessus du peuple ? N'a-t-il pas sa source dans le renvoi des femmes à l'étage du dessous, relégation héritée des sociétés patriarcales ? N'a-t-il pas aussi sa source dans une peur viscérale de la sexualité perçue comme un danger dont il faut surtout se garder en tenant les femmes à distance ? Sacralisé, le prêtre est intouchable pour les personnes vulnérables que sont les enfants, les handicapés ou, tout bonnement, les simples croyants. Mais la sacralisation de son état, et non seulement de son ministère, emprisonne le prêtre lui-même qui demeure avant tout un être humain avec toutes ses facultés, ses désirs et ses pulsions. Chers frères évêques, regardez vos prêtres, écoutez-les, ayez pitié d'eux, ayez pitié de vous-mêmes et reconnaissons que nous sommes tous de simples êtres humains. Que l'Esprit de Jésus Christ vous éclaire et vous donne l'audace d'inventer un nouveau ministère sacerdotal, non plus celui d'une caste lévitique à part du peuple, mais celui d'un service au sein de ce peuple.

Veuillez, chers frères évêques, entendre mon cri qui est aussi celui de beaucoup d'autres frères et sœurs, je vous le demande au nom de Celui qui est venu nous libérer afin que nous vivions. Veuillez croire aussi à mon affection et à ma prière fraternelles.
 

Jean L'Hour
Prêtre des Missions Étrangères de Paris

Le 8 novembre 2022

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