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Pourquoi n’aurions-nous pas à apprendre des autres religions ?

Au cœur du message chrétien se trouve un paradoxe, la mise en garde contre la dévotion identitaire. La parabole du pharisien et du publicain dans Luc 18 peut se résumer dans la prière du premier : « Mon Dieu, je te rends grâce de n’être pas comme les autres hommes. » Elle met en scène deux types de croyants : celui qui est assuré de l’être et celui qui doute de l’être, le conformiste et le déviant. Le « juste » autoproclamé est resserré dans sa suffisance par sa pratique formelle des prescriptions, des rites, des règles. Sa religion repose sur une transaction et une comparaison : remplir les obligations qui acquittent et se conforter de la carence des autres. L’enseignement de cette parabole est le plus souvent tiré à titre individuel : rien ne sépare un croyant de Dieu autant que la certitude d’être dans la vérité parce que les autres seraient dans l’erreur.

 

Cependant ne s’applique-elle pas aussi, à titre collectif, pour une communauté de croyants, pour une Église particulière, et même précisément pour celle à laquelle on appartient lorsqu’elle adopte cette attitude ? Le 6 août 2000, le cardinal Joseph Ratzinger a publié la déclaration Dominus Jesus dans laquelle est affirmée la supériorité du catholicisme sur les autres confessions chrétiennes et non chrétiennes. Ce ferme jugement sur les autres Églises chrétiennes ne devrait-il pas nous émouvoir ? Les catholiques ne sont-ils pas trop assurés de posséder une foi qui serait plus « juste » que les autres ? N’est-il pas significatif que nous rangions ces derniers dans des catégories de schismatique et d’hérétique, sous le seul prétexte que ces confessions se sont séparées dans le courant des siècles de l’Église originelle, donc seule authentique ?

 

En 363, les chrétiens de l’époque ont circonscrit le Nouveau Testament. La révélation incluse serait-elle un phénomène bloqué ? Est-il plausible qu’une révélation soit ainsi limitée dans le temps et dans l’espace ecclésial ? Que toutes les autres épiphanies dont les peuples de la chrétienté se réclament ne furent que des déviances ? Que notre révélation se soit figée au point que tout ce qui a été trouvé, discuté et proclamé depuis n’ait qu’une valeur subordonnée à une seule tradition ? Que la spiritualité, la charité, la foi n’aient fait aucun progrès en vingt siècles dans les coutumes, le Droit, la gouvernance ? On ne peut échapper à ces questions rarement soulevées auxquelles on ne peut donner de réponses abruptes, dans un sens ou dans un autre.

Or le centralisme romain s’effrite maintenant au profit d’une chrétienté à plusieurs éléments. Dans ce nouveau récit, toutes les confessions ne sont pas ressemblantes mais toutes sont respectables ; toutes les époques ne se valent pas mais toutes ont une signification propre.

La jeunesse mondialisée est particulièrement sensible à cette mutation dans laquelle elle se reconnaît. Parmi d’autres causes, cela explique pourquoi, sur un siècle en France, la déchristianisation a progressé au point que le clergé chrétien s’est réduit à un dixième et les baptêmes au tiers de ce qu’ils furent. Les défis les plus médiatisés de l’Église catholique, célibat des prêtres, exclusion des femmes du clergé, ostracisme des divorcés remariés ou des homosexuels ne sont que des problèmes subalternes de discipline, si on les confronte à l’impérieuse nécessité d’une pastorale réadaptée à ce que la société planétaire est et non à ce qu’elle fut. Les habituelles réponses catégoriques à ces interrogations paraissent de plus en plus comme des appropriations par Rome, sa confiscation à des fins identitaires :la religion des puissants serait la seule bonne et la religion du passé la seule authentique.

Malgré des mésaventures, des retards et des régressions, c’est l’ensemble de l’humanité qui progresse et qui doit être pris au sérieux dans sa démarche actuelle. De même n’aurions-nous rien à apprendre des autres religions ? Ne serait ce que des paganismes ? L’Islam si décrié ne peut-il nous enseigner que la foi peut se pratiquer sans sacrements ? Le judaïsme, qui a survécu à nos persécutions, ne prêche pas la Trinité ou la vie éternelle. Le bouddhisme n’est pas un théisme. Laudate Si s’est mis enfin à l’écoute des peuples primitifs qui révéraient la Nature. 

 

L’ouverture ne consiste pas à construire un syncrétisme avec toutes les croyances du monde, mais d’interroger et de purifier notre foi dans ce qu’elle a de figé, d’exclusif ou de convenu. Quelques hommes en font fait ce qu’elle est : seuls tous les hommes peuvent la faire progresser.

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Shutterstock, NTB scanpix
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