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Selon la tradition, l’apôtre Pierre se serait établi à Rome où il aurait été martyrisé en 64. Dès le premier siècle, le centre du christianisme coïncide avec celui de l’empire. Cela se justifiait pour de multiples raisons, telle la facilité des communications, mais aussi la puissance de la Ville et son prestige. Cependant, en passant de Galilée au Latium, l’influence du milieu, de l’organisation sociale, des allégories culturelles entraîna forcément des modifications.

La situation se précise sous l’empereur Théodose : par l'édit de Thessalonique, « tous les peuples doivent se rallier à la foi transmise aux Romains par l'apôtre Pierre, c'est-à-dire la Sainte Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». La foi catholique, trinitaire, telle que définie par le concile de Nicée en 325, s'impose donc non seulement face au polythéisme traditionnel, mais également, au sein du christianisme, face à l'arianisme. Ce qui se prescrit, c’est bien plus que le christianisme, le principe d’une religion d’État, du spirituel soutenu et soutenant, justifié et justifiant le politique, qui est dès lors sacralisé. C’est dans l’exacte tradition de Rome. L’aboutissement de ce basculement est le « Cujus regio, ejus religio » qui définit le principe politique instauré au XVIe siècle, suivant lequel la religion d'un peuple devait être celle de son souverain. La foi doit se conformer à la loi.

Jésus de Nazareth crucifié en vertu de la loi romaine devient ainsi le garant de celle-ci ; les chrétiens passent naturellement de persécutés à persécuteurs, même entre confessions ; temples et basiliques se transforment en églises ; l’appel à la sainteté régresse dans le sacré ; le vocabulaire romain est couramment conservé ; curie, préfet, dicastère, diocèse, pontife ; l’Église catholique est organisée selon le schéma de l’Empire en monarchie élective, tout comme elle l’est encore.

Cependant l’autre capitale de l’Empire, Constantinople, n’accepta évidemment pas cette tutelle centralisatrice et s’engagea dans le schisme de 1054 : très tôt des querelles dogmatiques à propos de la nature du Christ opposèrent les Orientaux aux Occidentaux. À partir du Filioque (Nous croyons en l'Esprit saint... qui procède du Père et du Fils) l’Église de Rome s’écarta de l’orthodoxie (l’opinion droite), au fil des quatorze conciles qu'elle a ajoutés aux sept conciles du premier millénaire. Aux yeux d’un orthodoxe, un catholique est un schismatique et vice-versa. Aux yeux d’un contemporain, cette controverse n’a aucun sens.

Une Église particulière est forcément imprégnée de culture locale. Rome ne fit pas exceptions : elle a engendré l’Église latine, longtemps singulière dans l’usage du latin comme langue liturgique, et aussi dans sa règle du célibat ecclésiastique ; les Églises orientales catholiques ne la suivent pas dans ces coutumes ; le centralisme romain admit une brèche héritée du passé, mais il refuse celles nécessitées aujourd’hui, comme l’ordination indispensable d’hommes mariés en Amazonie, parce qu’elle se ferait au sein de la latinité. Il est obsédé par l’idéal d’une uniformité, seule garantie de l’unité.

 

Voici deux ou trois millénaires, le paganisme romain fut une bonne adaptation au déchiffrement du monde. Si l’on refuse de le déconsidérer par principe, il faut admettre qu’il a influencé le christianisme importé d’Orient. Sous le monothéisme de ce dernier, la coutume des saints dispensateurs de grâces particulières, de guérisons, de miracles reproduit le schéma de l’Olympe des dieux multiples. La prière d’intercession est un héritage d’une religion animiste où le résultat de tout événement dépend d’une intervention divine.

Il faut encore mentionner la dérogation au troisième commandement du Décalogue : « Tu ne te feras point d’image taillée, de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux. » À contre-pied de ce commandement, une église catholique s’inscrit dans la tradition des temples païens, qui renfermaient une statue de la divinité adorée À rebours aussi du judaïsme et de l’islam pour lesquels cette pratique est bannie par respect pour l’indicibilité de la transcendance et pour s’écarter du paganisme.

Il existe de multiples contributions à l’influence de son contexte sur le christianisme naissant, à commencer par l’évidence de sa filiation avec le judaïsme. Les indices énumérés plus haut devraient susciter des études sur l’héritage romain dans le catholicisme, plus particulièrement dans son organisation interne qui est indépendante de la foi, de la morale ou du dogme. Les lourdes difficultés que l’Église de Rome rencontre actuellement ne seraient-elles pas le seul héritage de l’empire romain ? La monarchie papale, le droit canon, la prêtrise sacralisée, l’exclusion des femmes sont-elles vraiment d’institution divine ?

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