Le Samaritain distrait
Quand l’immigration questionne les chrétiens
Alors qu’un péché par action résulte d’un choix conscient, un péché par omission est souvent ignoré, car nous ne pouvons concevoir tout ce qu’il faudrait que nous accomplissions pour exercer la charité. Serait-ce le cas pour l’immigration ? Un chrétien doit-il s’en préoccuper ?
Car ce thème occupe tant de place dans le débat politique qu’il crée le plus puissant parti dans la plupart des pays européens. Des citoyens ont mal à l’immigration, non pour ce qu’elle est mais pour ce qu’elle représente : un parti populiste récolte plus de suffrages dans des campagnes dénuées d’immigrés que dans les villes où ils habitent.
Le paradoxe veut que l’immigré soit soupçonné être un fauteur de violence, alors qu’il en est la victime. Cette violence fut jadis exercée collectivement par l’Europe sur l’Afrique, naguère ce furent l’esclavage entre le XVIe et le XIXe siècle, suivi par la colonisation durant un siècle.
Des immigrants clandestins courent maintenant le risque mortel de la traversée de la Manche sur des embarcations précaires, parce qu’ils sont soumis dans leur pays d’origine à une menace existentielle de mort par la guerre civile, la famine, l’épidémie. Les mieux formés et les plus entreprenants disposent d’un minimum de ressources et désirent échapper à l’Afrique pour accéder à l’Europe, où ils trouveront un État de Droit, la sécurité, l’emploi, l’instruction pour leurs enfants, les soins médicaux. Mais les pays développés refusent d’accorder des visas qui permettraient de voyager normalement. L’immigrant africain est donc clandestin, à la merci des passeurs qui l’embarquent sur des radeaux surchargés. Depuis le début de l’année, quarante-six clandestins se sont noyés dans la Manche.
Nous regardons ailleurs, comme le prêtre et le lévite de la parabole du Bon Samaritain. L’immigrant clandestin dévoile un système économique clivant où les pays se répartissent en deux catégories, développés ou non. Ces derniers sont désignés par l’euphémisme en voie de développement, alors qu’ils végètent dans la misère, la corruption, la violence, la famine.
Pour l’instant il s’agit donc d’un de ces cas dont un politique déclarait : « S’il n’y a pas de solution, cela signifie qu’il n’y a pas de problème. » Détournons donc les yeux, ignorons ce qui se passe. Il y aura de plus en plus d’immigrants clandestins contre lesquels on érigera des barbelés, des répressions policières, des lamentations rituelles. La tension politique continuera d’accroître les partis populistes jusqu’à menacer les institutions démocratiques.
Même si la colonisation antérieure offensait la dignité des Africains, elle avait néanmoins l’intérêt de sortir petit à petit du sous-développement par la gestion d’une administration recrutée dans le pays colonisateur, composée de fonctionnaires compétents et intègres. Lors de la décolonisation, ils furent remplacés par une bourgeoisie locale, incompétente et corrompue, soutenant un régime dictatorial fondé sur un pronunciamiento de l’armée. La seule solution rationnelle mais utopique consisterait à remettre en place un mandat international et une administration qualifiée et intègre. Ce serait recoloniser. Impossible.
Serions-nous donc seulement coupables par legs ? N’aurions-nous pas d’autre choix et d’autre responsabilité que de subir les conséquences lointaines de l’esclavage et de la colonisation ? Non. Cette culpabilité héréditaire ne fait pas partie du christianisme. « On ne dira plus : les pères ont mangé des raisins verts et les dents des enfants ont été agacées. Mais chacun mourra pour sa propre iniquité. » (Jérémie 31.29).
Le débat sur l’immigration doit cesser d’instruire le procès des immigrants et devenir celui de l’économie présente qui les engendre et dont nous sommes responsables. Il faudra regarder de très près la fausse échappatoire de l’immigration choisie, qui consiste à recruter les Africains jouissant d’une qualification, qui serait indispensable pour le développement de leur pays et que nous accepterions ou attirerions chez nous. Il faudra donner des visas aux réfugiés politiques dont la vie est en danger dans leur pays. Il faudra financer et organiser la politique d’aide au développement, sans illusion sur son effet. Comme le Bon Samaritain nous pouvons panser les plaies, non les guérir.
Jacques Neirynck