Le pape François est issu de la migration italienne en Argentine, pays peuplé de migrants. Il a donc une vision du problème bien différente de celle des Européens, campant sur leur terre depuis les dernières invasions de l’Est voici plus de 15 siècles. Nos ancêtres les Gaulois furent donc des migrants, il y a si longtemps de cela qu’ils l’ont oublié, au point de se considérer comme seuls détenteurs légitimes de leur patrie et de considérer tous les arrivants comme des envahisseurs illicites. Ce sentiment est d’autant plus fort que l’électeur vote identitaire, obsédé par la préservation des racines « judeo-chrétiennes ».
Or le pape rappelle que ces racines alléguées impliquent au contraire l’accueil de l’étranger. Visitant Marseille au titre de ville méditerranéenne (et non la France), il a martelé le message : personne n’est illégal, tous les hommes sont égaux en dignité, les frontières ne sont pas des murs, la mer ne peut être un tombeau, l’indifférence au sort des migrants est une faute, les entraves à la mission des ONG secourant les naufragés en sont une autre. Cette admonestation révulse ceux qui sont obsédés par un prétendu grand remplacement des Français « de souche » par des islamistes.
Le pape François remplit une fonction essentielle, qui fait figure d’exception alors qu’elle devrait être la règle. À peine élu il s’est déplacé à Lampedusa pour manifester sa sollicitude pour ceux qui en ont le plus besoin. On ne se souvient pas que Pie XII ait été aussi actif durant la seconde guerre mondiale.
En face du pape, le gouvernement français défend la thèse opposée : pas question d’accueillir les réfugiés de Lampedusa. Si des Africains sont à ce point désespérés par leurs conditions de vie qu’ils sont prêts à la risquer sur des embarcations coulant bas, cela ne signifie pourtant pas qu’il faille les accueillir. De fait les gouvernants européens n’ont pas le choix : s’ils ne défendent pas cette thèse, ils font le lit de l’opposition d’extrême-droite. Car la population a vraiment mal à l’immigration. En démocratie il faut en tenir compte pour garder le pouvoir. Ainsi une valeur de la démocratie ne peut plus être respectée non pas malgré, mais parce que l’on est en démocratie.
Dès lors l’Occident est condamné à vivre une contradiction existentielle. Il affiche haut des valeurs qu’il ne peut respecter et que le pape, qui n’est pas obligé de gouverner, explicite à haute voix. Il existe une mouvance de chrétiens qui repousse ce message central du Christ au point de critiquer le pape quand il le rappelle. Tel est l’Occident chrétien apostat. Mais aussi démocrate au point que deux autorités peuvent coexister et se rencontrer dans une éthique des contraires.
Des migrants repoussés au nom d’un christianisme fourvoyé ont la prétention de vivre leur foi musulmane. Comme jadis la minorité juive exterminée pour son identité différente. Ne serait-il pas nécessaire de sortir de la contradiction par la reconnaissance mutuelle de deux religions issues de la même source ?