Si le scandale ne permet pas de débusquer d’où vient le mal, celui-ci continuera à sourdre.
Une épidémie sanitaire ne peut surgir que d’une source initiale négligée, ignorée, dissimulée et elle ne peut persister que par la contagion. Pour l’éteindre, il faut et il suffit d’imposer le confinement. Ce qui fut fait pour le Covid, et a marché.
Ne semble-t-il pas qu’il en soit de même pour le mal ? Il ne surgit que par une faute initiale souvent méconnue, qui semble anodine parce qu’elle se dissimule sous les oripeaux du bien, il ne s’étend que grâce à la complicité de beaucoup et il est d’autant plus virulent et persistant que son emprise est large. Ainsi en fut-il de l’Holocauste : le peuple allemand, le plus civilisé du monde, devint le complice de la barbarie à part de rares résistances ; de même quand le régime de Vichy imposa des mesures discriminatoires à l’égard des Juifs dès 1940, sans aucune pression nazie, il n’y eut pas de protestation. Car le sentiment antisémite était largement répandu en Europe. Son origine lointaine, la faute initiale dans toute l’Europe était l’antijudaïsme pratiqué par toutes les Églises chrétiennes contre un peuple que l’on avait décrété déicide, sans autre fondement que les Évangiles, qui ne sont pas des sources historiques. Le « bien » consistait à punir les Juifs de la mort de Jésus. Cette faute infinie justifiait toutes les outrances.
Les dernières révélations sur les abus sexuels de l’abbé Pierre ne sont compréhensibles que si l’on détecte son origine méconnue et les complicités qui les ont propagées.
Celles-ci furent les dissimulations par tous les responsables, qui étaient parfaitement au courant, même s’ils prétendent aujourd’hui ne pas l’avoir été. C’est une constante universelle dans ces affaires : la réputation de l’institution passait avant la protection et la réparation pour les victimes.
La source de ces crimes est bien plus sérieuse encore. Comment un homme, qui avait la vocation innée de la charité et d’en diffuser largement la pratique à l’échelle d’un pays et du monde, a-t-il pu en même temps se livrer à des abus sexuels répétés allant jusqu’à la violence et la pédophilie ? Comment peut-il être animé par les aspirations les plus élevées et les perversités les plus basses ? Il y a comme une contradiction dont il faut chercher la source. Quel est le mal dont lui- même fut la victime pour qu’il le propage sans pouvoir lui résister ?
On peut avoir une vocation irrésistible pour le ministère sacerdotal, une emprise du bien, et cependant fonctionner comme un homme normal, c’est-à-dire avec tous ses sens, y compris les pulsions sexuelles, qui ne sont pas le mal par nature : si celles-ci sont arbitrairement étouffées, elles se manifesteront avec d’autant plus de violence. L’abbé Pierre n’avait pas vocation au célibat, comme beaucoup de prêtres dans l’Église catholique. Il a subi une violence qu’il accepta parce que c’était la norme et que sa vocation était la plus forte. Il s’est plié à cette exigence parce qu’il a cru, de bonne foi, qu’il la remplirait. Il ne l’a pas pu et a dérivé vers la perversion et des pulsions destructrices pour les victimes et pour l’abuseur. En revanche, ceux qui imposèrent cette obligation et qui la maintiennent de nos jours à l’encontre du sensus fidei se rendirent et se rendent encore complice du mal qu’ils ont suscité.
Si ce scandale ne permet pas de débusquer d’où vient le mal, celui-ci continuera à sourdre. Ni les pasteurs protestants, prêtres orthodoxes ou prêtres catholiques maronites, ni les rabbins, ni les imams ne sont astreints au célibat, qui est une anomalie de l’Église romaine.
Le scandale de l’abbé Pierre, dans ce qu’il a d’antinomique, d’indéchiffrable et même d’inintelligible, doit forcer à en chercher la source dissimulée : comment peut-on être en même temps apôtre et abuseur, sinon parce que l’on a été placé dans une impasse existentielle ?