Sous le régime de Vichy, l’avortement fut considéré comme un crime passible de la peine capitale, qui fut infligée à Marie-Louise Giraud, guillotinée le 30 juillet 1942. La répression de l’avortement et la prohibition de la contraception étaient entretenues à l’époque par la résolution de combler le trou démographique de la France dû à la guerre de 14-18. Non seulement plus d’un million et demi de jeunes hommes sacrifiés sur les champs de bataille, mais forcément autant de filles sans époux.
En 1975 l'interruption volontaire de grossesse fut légalisée en France. En 2024, premier et seul pays au monde, la France est passée à l’inscription du droit dans sa Constitution. Ce qui constituait un crime est devenu non seulement légal, mais imprescriptible. Cette décision a été acquise par un vote massif de le représentation parlementaire (780 pour, 72 contre), reflétant l’opinion publique favorable à 81%. La droite et l'extrême-droite, historiquement opposées ou sceptiques devant la formulation retenue par le gouvernement, ont fini par voter majoritairement pour la réforme.
En moins d’un siècle la société française a changé de culture. La même évolution dans le même sens concerne la condition des femmes, le statut des homosexuels, la disponibilité de la contraception. Serait-ce que la morale s’effondre ou qu’une pseudo-éthique la dépasserait ?
Cette décision française est fondée sur la liberté des femmes de disposer de leur corps. Six pays l’interdisent encore et prévoient des peines de prison pour la patiente, ainsi qu'à toute personne qui réalise un avortement : l’Algérie, le Vatican, le Salvador, Malte, le Nicaragua et la République dominicaine. Le Vatican redit son opposition à tout "droit à supprimer une vie humaine", au moment de ce vote historique. "À l'ère des droits humains universels, il ne peut y avoir de 'droit' à supprimer une vie humaine", a affirmé dans un communiqué l'Académie pontificale pour la Vie, organe du Vatican chargé des questions bioéthiques, en soutien à l'opposition des évêques de France. La CEF avait dit que « l’avortement, qui demeure une atteinte à la vie en son commencement », ne pouvait être vu « sous le seul angle du droit des femmes ».
Les modalités du débat tournent autour de la définition de la vie humaine. Il n’y a aucun critère qui puisse s’avérer objectif, que ce soit la fécondation, l’implantation, la segmentation, les battements du cœur, la maturation neurologique. Le Vatican adopte la première définition, la plus restrictive, et la plupart des États la dernière. La Cour Suprême des États-Unis l’a reconnu : « Lorsque les spécialistes des disciplines de la médecine, la philosophie et la théologie ne peuvent pas arriver à un consensus, le pouvoir judiciaire n'est pas en position de spéculer sur la réponse. » Dès lors ce fut à la représentation populaire de valider la proposition de l’exécutif. Le souci majeur est évidemment de protéger la santé des femmes en ne les exposant plus à des avortements clandestins. Ne serait-ce pas, au-delà d’une mesure de santé publique, le souci de la charité la plus élémentaire ? Peut-on lui opposer le droit d’une cellule fécondée à devenir plus tard un être vivant ?
Pendant longtemps il y eut des religions d’État, confortant et sacralisant le pouvoir politique, qui de son côté protégeait l’Église locale en position d’exclusivité. Nous assistons à un renversement des rôles : ce qu’il faut bien appeler une religion de l’État dicte ses valeurs aux Églises. Avec cette différence importante que le politique définit une liberté au lieu d’imposer un interdit : alors qu’auparavant l’IVG était prohibée, même si la santé de la mère était menacée, aujourd’hui chacune est libre de le pratiquer ou non, en assumant sa responsabilité dans une décision difficile.
Cela pose une fois de plus le dilemme : est-ce que le discrédit croissant des institutions ecclésiales trahirait un abandon du christianisme par le peuple ? Ou signifie-t-il au contraire son appropriation par la société civile au sens le plus large, dans ses institutions, dans ses lois et dans son ressenti ? Cette décision de la France serait-elle une manifestation du sensus fidei, ce sens surnaturel de la foi reçu par le peuple tout entier, clercs et laïcs confondus ?