Elle n’est certes pour l’instant qu’une utopie, mais il faut la formuler pour qu’elle puisse s’envisager.
De nos jours encore, on tue au nom de la religion. Le Moyen-Orient est une poudrière, entre musulmans, chrétiens et juifs, qui représente un danger d’extension à un conflit mondial. En conséquence, l’opinion publique devient circonspecte au sujet des religions ; elles sont perçues comme une source de problèmes, de violence, d'ostracisme. L'actualité des attentats et des conflits en est un rappel perpétuel. C’est d’autant plus paradoxal et intolérable qu’en règle générale les religions prônent l’amour du prochain, la paix, l’ouverture à l’étranger. L’engagement dans des conflits est souvent justifié par quelque verset du texte sacré, isolé de son contexte. Les religions ne servent ici que de paravent à des luttes de pouvoir. Contre lesquelles leurs dignitaires s’insurgent trop rarement.
On devrait réaliser de plus en plus qu’il n’y aura pas de paix entre les peuples sans paix entre les religions. Il existe de fait une pluralité des croyances, même si elle ne fut pas l’usage et si elle dérange. Cela signifie non seulement qu’il faut éviter les violences, les exclusives, les humiliations entre chrétiens et musulmans, c’est-à-dire pratiquer la tolérance, mais qu’il faut accéder à une entente faite d’estime réciproque. Nous adorons le même Seigneur avec des mots distincts, des Écritures différentes, des fêtes et des rites autres. Mais nous sommes unis par cette foi commune. Elle devrait se traduire dans l’accueil de l’étranger, dans la bienveillance à l’égard de l’autre. Non pas malgré sa différence, mais à cause de celle-ci.
Sans qu’on le réalise toujours, il existe ainsi une communauté invisible des croyants, qui englobe toutes les religions. Y compris les personnes sans appartenance, ce qui ne signifie pas sans spiritualité, ni même sans Dieu. Ne s’excluent de cette communauté que ceux qui prêchent exclusivement pour leur paroisse, en blâmant toutes les autres, en se prévalant d’un monopole du divin, en attisant la haine de l’étranger et son élimination.
La marque la plus sûre de l’authenticité d’une confession consisterait alors à reconnaître celle des autres et à en considérer les principes. Les autres croyants ne pourraient-ils faire voir quelque lacune de notre foi, qui n’est jamais parfaite ? Sauf dans l’esprit de ceux qui en sont le plus éloignés et qui se glorifient d’être supérieurs aux autres, comme dans la parabole du pharisien et du publicain. La Réforme ne peut-elle enseigner aux catholiques la capacité de pasteures pour animer une paroisse ? Un musulman ne peut-il apprendre à un chrétien la prière quotidienne à des moments prescrits ? Un des enseignements du bouddhisme est de ne pas se comparer aux autres, comme le font encore certaines confessions chrétiennes.
Fonder la communauté des croyants ne consiste pas à interpoler l’intersection de toutes les croyances, au risque de ne définir qu’un dénominateur commun, très restreint, en éliminant tout ce qui est singulier. C’est au contraire dans sa différence que chaque foi peut concourir à ce qui manque aux autres.
Déjà maintenant le Conseil œcuménique des Églises rassemble les Églises d'une bonne centaine de pays et territoires du monde entier, représentant plus de 580 millions de chrétiens et comprenant la plupart des Églises orthodoxes, un grand nombre d'Églises anglicanes, baptistes, luthériennes, méthodistes et réformées, ainsi que de nombreuses Églises unies et indépendantes. Ce Conseil a amélioré les relations entre chrétiens. L’Église catholique romaine n'en fait pas partie, comme si elle perdrait son authenticité en y adhérant.
Sur ce modèle, ne faudrait-il pas un Conseil mondial des religions, indépendant de tous les pouvoirs politiques ? Pour commencer par promouvoir la paix entre elles, ce qui ne regarde pas les États. Puis entre les peuples, qui ne sont pas les États. Pour soutenir spirituellement des causes planétaires comme la transition climatique, les termes de l’échange entre pays riches et pauvres, la protection des migrants, l’exorcisme du nucléaire ? Les Nations Unies prônent un ordre juridique. Ne serait-il pas renforcé par un ordre spirituel ? Cela signifierait aussi une pratique internationale de la laïcité, un respect égal pour toutes les religions plutôt qu’une dérive vers des religions de l’État.
La communauté des croyants n’est pour l’instant qu’une utopie qu’il faut formuler pour qu’elle puisse s’envisager.