Xavier Charpe, qui intervient régulièrement au CTM, centre théologique de Meylan près de Grenoble – et accessoirement sur ce site – crie ici, à propos des révélations sur l’abbé Pierre, son indignation contre une Église qui édicte des diktats au lieu de prendre l’Évangile du Christ comme règle.
Ou plutôt c’est nous qui prenons la tempête dans la figure ; la honte qui devrait leur revenir retombe sur nos têtes. Pire, c’est l’Évangile du Christ qu’ils déconsidèrent et font passer pour ridicule et insensé. « Ils », c’est notre épiscopat, pris collectivement, dans sa globalité.
Messieurs nos évêques, « ras le bol », ça suffit ! Votre politique insensée nous couvre de honte et nous révolte. Une fois de plus, nous en prenons plein la figure de par votre faute. Car ce n’est pas fondamentalement de la faute de l’abbé Pierre si ce qui nous arrive est arrivé. Vous maintenez coûte que coûte un système insensé, un véritable déni de réalité et, pire encore, un système qui a contre lui les textes des Écritures et surtout la ligne tracée par l’Évangile du Christ.
De l’abbé Pierre, je ne sais que son petit livre vendu dans les kiosques de gares et ce que tout le monde savait. Dans l’hiver 1954, j’avais 16 ans. Je me souviens très bien. J’étais déjà politisé et ouvert sur les questions sociales. Deux ans après, j’étais étudiant rue Saint Guillaume et, l’année d’après, je passais presque tous mes dimanches sur l’un des deux bidonvilles de Nanterre. J’ai des amis qui se sont engagés à Emmaüs. Je sais donc le travail admirable qui y a été fait et que l’on doit pour partie à son initiateur, l’abbé Pierre. Qui peut dire qu’il a fait mieux dans sa vie ?
Et puis il y a eu les dérapages qui éclatent au grand jour. On ne va pas les taire et les glisser comme la poussière sous le tapis. Et il faut d’abord penser aux femmes et aux jeunes filles qui en ont été les victimes. Il faut tout regarder en face, le positif et le négatif, avec ses victimes. Ensuite, il faut réfléchir, chercher à comprendre, faire de la théologie et faire la part des responsabilités. Celle de notre épiscopat, pris dans sa globalité, est considérable.
Pour commencer, j’apprends par la presse que les « dérapages » de l’abbé Pierre remontent à loin et qu’ils étaient connus dès les années 50. Il avait dû être exfiltré précipitamment des États-Unis. Nous le savons par Jacques Maritain, alors ambassadeur de France aux U.S.A. Notre épiscopat ne pouvait pas ne pas savoir. Encore une fois le silence, car la respectabilité de l’institution ecclésiale est passée avant le devoir de vérité, de lucidité et de responsabilité ; pire encore, avant la prise en considération des victimes. Comme avec l’affaire Maciel, comme avec les deux frères Philippe, comme dans l’affaire Preynat, celle de l’évêque Santier ou dans celle de l’évêque Pican ; à ce jeu, notre épiscopat se déshonore, et dans cet épiscopat, je mets l’évêque de Rome Jean-Paul II qui a couvert plusieurs de ces délinquants. L’insincérité de nos dirigeants d’Église est une honte. Voici pour commencer.
Second point. Pour les chrétiens, si du moins nous essayons de l’être un tant soit peu, nous devrions savoir que nous sommes « chair » au sens biblique du terme. C'est-à-dire radicalement fragiles, avec nos faiblesses et nos zones d’ombre. Dit autrement, que nous sommes tous pécheurs. « Tous ont péché », nous dit l’apôtre Paul. J’ai été un temps un théologien professionnel, patenté. Du coup, j’ai peu confessé. Mais suffisamment pour savoir que cette fragilité nous est commune, la mienne et celle de mes frères. Quand le cardinal Barbarin, lors de l’affaire Preynat, a prétendu qu’il voulait mener dans l’Église « une grande entreprise de purification », bref qu’il voulait une « Église des purs », il parlait contre l’Évangile. L’Église de Jésus Christ, c’est une Église des pécheurs, dont nous sommes tous. Disons les choses en clair : son prétendu projet était tout simplement hérétique. D’ailleurs, en cherchant à se protéger – « Grâce à Dieu, tous les faits sont prescrits ! » – plutôt que de penser aux victimes, là encore, il marchait à côté du chemin ouvert par le Christ.
Deux conclusions s’imposent. La première que nul ne doit être mis sur un piédestal, encore moins s’y mettre. L’abbé Pierre était adulé, notamment par un aréopage de femmes. Quand une victime, pour expliquer ce qui s’était passé, dit : « C’était Dieu ! », c’est effroyable ; que, dans l’Église, on puisse construire ce genre de situation est inadmissible. Messieurs nos évêques, messieurs nos curés, vous êtes les premiers responsables, vous qui avez laissé se construire ce genre de situation qui relève du blasphème. Et nous les fidèles chrétiens, nous sommes tout autant responsables, quand c’est nous qui mettons nos évêques et nos curés sur un piédestal. Ils sont des chrétiens comme nous ; des pécheurs comme nous, parfois plus que nous, en raison des responsabilités qui leur ont été confiées et auxquelles ils manquent parfois, voire assez souvent. Arrêtons le culte des saints : « saint » Pie IX ou « saint » Jean-Paul II, pourquoi pas « saint » Alexandre Borgia pendant que vous y êtes ! C’est à se taper la tête contre les murs. Ceux qui prennent la parole ou qui ont une responsabilité dans l’Église n’ont pas à faire étalage de leurs fragilités : un peu de pudeur s’impose. Par contre, ils doivent toujours agir et parler de telle manière qu’il soit clair pour tous qu’ils parlent et agissent depuis leur fragilité et qu’ils rendent témoignage à Christ, malgré celle-ci[1].
En tout cas, que nul ne se prenne pour Dieu ou pour le Christ ! La « Constitution » de l’Église du Christ – constitution au sens du droit constitutionnel – c’est la radicale égalité de tous et la fraternité. Arrêtez de vous faire appeler « Père » : vous ne l’êtes pas ! Pire, vous devriez cesser sur le champ de vous faire appeler « Monseigneur » : c’est de l’usurpation d’identité[2]. Nous chrétiens, nous sommes des irresponsables si nous nous prêtons à ce jeu. Relisez Matthieu 23, 7-11 : les interdits et le commandement sont sans appel[3]. Il n’y a qu’à obéir. Toutes les arguties pour ne pas obéir ne sont que jésuiteries.
La seconde conclusion, c’est que « je ne jetterai pas la pierre » à l’abbé. Car, comme au chapitre 8 de l’évangile de Jean, je fais partie de ces vieux qui se retirèrent l’un après l’autre « en commençant par les plus vieux ». Quelle hypocrisie dans notre société. Nous n’arrêtons pas d’exposer les décolletés les plus suggestifs ou les plus provocants. L’abbé Pierre avait une sorte de fixation sur les seins des femmes ou des jeunes filles. Je laisse aux « psy » le soin d’expliquer les raisons de la chose, même si je crois savoir. Mais ce ne sont pas les seules parties du corps de la femme qui font flipper les hommes » le cou, les aisselles, les cheveux, les yeux, les hanches, les jambes. Permettez-moi d’arrêter la litanie. Arrêtons l’hypocrisie. Dans les évangiles, quand cette femme s’introduit chez le pharisien Simon, se met aux pieds de Jésus, lui verse du parfum et lui essuie les pieds avec ses cheveux (Luc 7, 37), n’est-ce pas terriblement érotique ? Arrêtons de faire les « faux culs » ! Quel est l’homme qui peut dire qu’il n’a pas d’appétence pour les femmes et que, sur ce registre, il n’a pas fait de faux pas ? À moins d’être eunuque ou bien d’avoir nos penchants orientés sur l’autre versant de l’humanité ? L’homme est fondamentalement « désir ». Les femmes tout autant, sinon plus. L’abbé Pierre n’a jamais caché que, à un moment de sa vie, il a pensé sérieusement se lier à une femme qui comptait beaucoup pour lui. Il y a renoncé en raison, a-t-il dit, de son engagement dans la prêtrise. Il aurait mieux fait de se lier dans cet engagement avec cette femme. Il aurait continué à s’engager pour les pauvres, mais cette fois à deux, leur force décuplée, j’aurais dû écrire « découplée ». Mais l’abbé Pierre a été en cette affaire fourvoyé par une théologie fausse et imbécile, d’où les dérapages que l’on nous sert tous les jours en dessert. Ce sont les « capucins » et nos évêques qui lui ont mis ces idées tordues dans la tête. À eux la faute. Je ne disculpe pas l’abbé Pierre ; je dis que la faute majeure est au-dessus de lui. J’accuse la direction de notre Église d’avoir une conception erronée des ministères dans l’Église du Christ.
Notre épiscopat – je le prends toujours dans sa globalité – se trompe lourdement et cela de deux manières.
Tout d’abord, un déni complet de réalité, sur ce qu’est la sexualité. C’est une force. Une « phusis ». C’est la force d’une plante ou d’un arbre. Dans ma montagne de Haute-Savoie, quand un sapin commence à prendre racine dans la fente d’un rocher, en grandissant, il finit par le faire éclater. À Bourg-en-Bresse, nous ne plantions plus de peupliers dans les rues ; leurs racines faisaient exploser les trottoirs et les chaussées. Plus fortes que le bitume. La sexualité, c’est une énergie en nous. À cacher la chose, on se trompe radicalement. Vous avez admiré l’énergie de l’abbé Pierre au service des pauvres et vous vous étonnez qu’il ait eu une sexualité. Il l’a mal contrôlée et en a abusé. Soit, je ne légitime pas les dérapages et je n’oublie pas les femmes qui en ont été victimes. Mais enfin, notre épiscopat, avec sa théologie de nuls, est responsable de cette erreur d’aiguillage. L’abbé Pierre était attiré par les femmes. Il n’avait qu’à se marier. Secondé et épanoui par une femme, il aurait pu consacrer toute sa capacité d’énergie au service des pauvres. Qui veut faire l’ange, fait la bête. L’apôtre Paul dit la même chose, en d’autres termes. Mieux vaut se marier que de brûler (I Co 7, 9) ! Ce déni de réalité nous vaut cette avalanche de dérapages, voire de crimes.
Mais si notre épiscopat, pris dans sa globalité, « sème le vent », c’est tout simplement parce que son idéologie et ses comportements ne sont pas conformes à l’Évangile. Quand on ne respecte pas l’Évangile, on envoie l’Église dans le mur. Ce qu’il fait. Mon réquisitoire est en quatre temps.
Primo l’obligation du célibat imposée aux ministres de l’Église n’est pas dans l’Évangile. C’est même l’inverse que l’on y trouve, notamment, puisque l’apôtre Pierre était marié et que Jésus guérit sa belle-mère atteinte de fièvre (Marc 1, 29-31). Paul n’use pas du droit de se faire accompagner d’une femme chrétienne comme les autres apôtres, comme les frères du Seigneur et Céphas (I Co 9, 5). Les textes les plus clairs sont dans les lettres à Tite et à Timothée : les hommes qui doivent être établis comme « anciens » – comme « presbytres » (presbuteroï), ce que vous appelez des « prêtres », disons des « curés » – doivent « n’avoir été mariés qu’une fois ». La formule, souvent usuelle sur les tombes, signifie qu’ils ont vraiment aimé leur femme et qu’ils ont été de bons maris. Il faut qu’ils aient bien élevé leurs enfants et su diriger leur « maison » : « quelqu’un qui ne saurait gouverner sa maison, comment prendrait-il soin de l’Église de Dieu ? » (I Timothée 3, 2-5). Rassurez-vous, je ne veux pas imposer le mariage obligatoire pour qui doit devenir « épiscope » !
Je tiens à la fécondité évangélique de l’engagement dans la vie religieuse. Mais c’est un engagement libre qui ne peut être, ni rendu obligatoire, ni même contraint sous forme de pression psychologique ou idéologique. Au cœur de l’engagement dans la vie religieuse, il y a la liberté radicale de celles et de ceux qui s’y engagent. C’est une affaire qui se passe entre Dieu et l’intime des femmes et des hommes qui décident de vivre dans cette voie. Messieurs les évêques, ne vous immiscez pas dans cette intimité de Dieu avec chacune et chacun. Cela ne se réglemente pas. En faire une obligation est en quelque sorte sacrilège, car c’est le mépris de ce que sont les créatures de Dieu, ces créatures que ce dernier appelle à la liberté et dont Dieu lui-même est à la source et au fondement de celle-ci. Qui porte atteinte à cette liberté porte atteinte à la dignité même de la vie religieuse.
Ce qui est très grave dans cette affaire, c’est que notre épiscopat se croit autorisé à imposer une loi humaine qui n’est pas la loi de Dieu. Elle est même contraire à ce que nous disent les Écritures. Au demeurant, elle n’était pas la règle dans l’Église ancienne. Ils ont tout faux. Qui plus est, cette obligation non fondée est insensée et contre-productive, comme cela nous « pète » sans cesse à la figure, comme l’affaire de l’abbé Pierre ces jours-ci ; pour notre honte et pour le déshonneur de l’Évangile du Christ. Ras le bol ! Allez-vous comprendre notre colère ?
Une Église qui veut imposer une loi humaine comme une obligation, alors même que ce qui s’impose aux chrétiens, ce sont les lois de Dieu, cette Église court le risque de se mettre à la place de Dieu et de se prendre pour Dieu. L’Église peut recommander des lois humaines. Elle peut nous dire qu’il est bon de nous retrouver le dimanche pour le jour du Seigneur et célébrer la sainte Cène. Elle peut nous dire que, de temps en temps, il serait bon de restreindre un peu notre manger et notre boire. Encore que la recommandation de la sobriété soit déjà dans les Écritures, notamment dans les lettres de l’apôtre Paul (I Th 5, 6 ; voir aussi I Pierre 4, 7 et 5, 8). Encore faut-il que ces lois humaines soient sensées et ne soit pas contre-productives, et davantage encore, qu’elles ne soient pas en contradiction avec les lois de Dieu. Au chapitre 7 de l’évangile de Marc (v. 1-20), se trouve un texte majeur dans lequel Jésus oppose les traditions des hommes et la « tradition qui vient de Dieu ». « Les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes d’hommes » et encore : « Vous annulez ainsi la Parole de Dieu par la transmission que vous transmettez ». Ce que font les Pharisiens, c’est de substituer leurs préceptes au Commandement de Dieu et à sa Parole. Ils se mettent à la place de Dieu, ce qui relève du blasphème.
Veuillez m’excuser, messieurs nos évêques, c’est ce qu’il vous arrive de faire. Vous voudrez bien pardonner la sévérité du réquisitoire. En effet, vous vous autorisez à écarter du « ministère presbytéral », je préfère dire du « ministère pastoral », des hommes et des femmes qui ont reçu de Dieu les dons, les « talents » – l’apôtre Paul parle des « charismes » – qui leur permettraient d’animer pastoralement des communautés chrétiennes. Ces charismes viennent de Dieu et sont donnés par lui. Mais vous, vous vous autorisez à écarter ces hommes et ces femmes de ces ministères au motif, soit qu’ils seraient mariés, soit parce que ce seraient des femmes. C’est de votre part prétendre que c’est vous qui attribuez les charismes et vous arrogez le droit d’écarter ces hommes et ces femmes des ministères, au nom de votre loi toute humaine, alors même que ces charismes sont donnés par Dieu et que vous devez vous y soumettre, comme chacun qui a reçu de Dieu ces talents se doit de les mettre en valeur et de les exploiter au service des frères et des sœurs, au service de l’Église, au service de l’Évangile, au service de Dieu (Matthieu 25, 14-30). C’est quoi une Église, ou du moins ses dirigeants, qui se permettent d’étouffer les talents donnés par Dieu, de les stériliser, bref de les enterrer, au nom de leur loi humaine ? Cette Église-là se met à la place de Dieu. Elle se prend pour Dieu, alors qu’elle n’est que servante et que ses dirigeants se doivent d’obéir au « Commandement » de Dieu, eux plus encore que nous les simples chrétiens. C’est exactement ce que Jésus reproche sévèrement aux Pharisiens au chapitre 7 de l’évangile de Marc et dans le texte parallèle en Matthieu 15, 1-20. Ces textes ne sont pas des textes d’hier : ce sont des textes pour aujourd’hui et leur force de condamnation ne s’est pas diluée avec le temps.
Sous-jacente à cette loi humaine qui s’arroge le droit d’écarter du ministère pastoral – je voudrais ajouter d’écarter du ministère prophétique – des hommes au motif qu’ils sont mariés et les femmes plus encore – il y a le mépris des femmes hérité du paganisme lié à l’idéologie « indoeuropéenne ». Dans ce système idéologique, les femmes ne sont pas seulement inférieures ; elles sont radicalement « impures ». Raison pour laquelle elles ne peuvent célébrer à l’autel ; raison pour laquelle également les hommes mariés sont rendus impurs par leur contact avec leur épouse.
En reprenant implicitement cette idéologie païenne, nos évêques parlent contre le mariage et la propre doctrine de l’Église qui tient le mariage pour un sacrement et donc comme un engagement qui procure la grâce, du moins s’il est vécu conformément à l’Évangile. Il va de soi que les textes des évangiles et des lettres apostoliques sont clairs. Les femmes sont les égales des hommes. L’Évangile du Christ – je veux dire le comportement de Jésus – les met particulièrement en valeur. Cela ne sert à rien, sinon le mensonge et le double langage, que notre épiscopat nous distille de belles paroles sur les femmes, tout en ayant un comportement concret qui véhicule de facto le mépris de celles-ci. Parlant et se tenant contre l’Évangile, nos évêques ont « semé le vent. Nous récoltons la tempête en pleine tronche. L’abbé Pierre avait une forte attirance pour les femmes. Il aurait dû se marier au lieu de se retrouver dans la frustration. Mais les « capucins » et notre épiscopat lui avait mis dans la tête qu’il ne pouvait plus exercer le ministère s’il se mariait. L’abbé Pierre n’avait pas inventé de lui-même cette théologie tordue. Qui plus est, il était né dedans, de par sa famille lyonnaise, bourgeoise et catho.
Je garde le pire pour la fin. Derrière cette loi tout humaine que nous sert notre épiscopat, et l’idéologie qui se cache sous celle-ci, il y a bien plus grave. Il y a en effet, cachée sous la pratique, une idéologie et une conception du sacré qui doivent être radicalement mises en cause, parce qu’elles vont à l’encontre de l’Évangile du Christ et de la révélation libératoire qu’il nous a apportée, pour notre salut.
Dans nombre de religions païennes, le sacré, c’est ce qui est mis à part. Le sacré est du côté de la « séparation ». On parle de sacrifice, ce qui est mis à part et « sacrifié » pour les dieux. Cette conception se trouve amplement développée dans l’Ancien Testament. Cela se traduit jusque dans l’organisation de l’espace à l’intérieur du Temple de Jérusalem. Il y a des espaces séparés et une hiérarchie dans la sacralisation plus ou moins grande des espaces et des actes ; également des publics séparés. Jusqu’au « voile de la séparation ». En Jean chapitre 2, dans l’épisode des vendeurs chassés du temple, Jésus met fin radicalement à ce système religieux. Le sanctuaire devient son « corps », c'est-à-dire la personne même de Jésus, tout entière tournée vers son Père et tout entière tournée vers ses frères dans la communion. Le « corps » de Jésus donné et partagé. Jésus qui « met sa vie en jeu » et qui la risque pour ses amis (Jean 15, 13). C’est à la suite de Jésus, « comme Lui » – un « comme » fondateur – que les ministres de l’Église exercent le ministère du partage et de la Communion. C’est de la folie de vouloir en faire les ministres de la séparation. C’est pour cela que notre épiscopat entend les former dans des lieux « séparés », en les coupant du monde. Pour eux, le signe de la séparation, c’est le célibat et son obligation. Il faut montrer qu’ils sont « à part ». C’est pour cette raison que notre épiscopat est si attaché à cette loi de séparation qu’est le célibat comme obligation. Ne parlons pas des accoutrements destinés à afficher la séparation, si possible la soutane, à tout le moins le col romain. Ne parlons pas des chapeaux guignolesques de nos évêques. S’ils veulent s’afficher, qu’ils s’affichent par leur charité, par leur empathie à l’égard de tous et par leur engagement dans le service de tous ; qu’ils s’affichent par la proclamation de l’Évangile et par leur capacité à ouvrir leurs frères et leurs sœurs à l’intelligence des Écritures. L’Évangile s’en portera mieux et du coup notre Église.
Si la tempête s’abat sur nous et sur l’Église, c’est parce qu’ils ont semé le vent. Je veux dire : ils n’ont pas pris l’Évangile du Christ comme règle. Ce faisant, ils ont fourvoyé l’Église et ont attiré sur nous les orages de grêle et la dévastation sur l’Église. Qui s’écarte du Christ et de son Évangile court à sa perte et il organise le naufrage de l’Église. Je ne voudrais pas mourir sans avoir dit les choses en clair. C’eût été la pire des lâchetés.
Amitiés à tous
Xavier Charpe
Ce 26 juillet 2024
[1] « Pour m’éviter tout orgueil, il a été mis une écharde dans ma chair… À ce sujet, par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré : ma grâce te suffit. Ma puissance donne toute mesure dans ta faiblesse. Aussi, mettrais-je mon orgueil bien plutôt dans mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ… Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. » (II Co 12, 7-10)
[2] Un de mes amis de Grenoble, que certains d’entre vous connaissent bien, et qui s’emploie à lire l’évangile de Marc et à le faire lire dans plusieurs groupes bibliques, m’a fait observer qu’au chapitre 13, dans ce qu’on appelle le « discours apocalyptique », Jésus annonce que, dans ces temps de malheurs, beaucoup prétendront prendre sa place et « viendront sous mon nom ». Il faut arrêter tout de suite les « usurpations d’identité », ce que font nos évêques quand ils se font appeler « Monseigneur », ce qui revient à se mettre sur un piédestal. Nous n’avons qu’un Seigneur : Christ ! Il faut prendre le mot « nom » en son sens biblique : le « nom », c’est la personne elle-même, en tant qu’elle se manifeste et qu’elle vient à notre rencontre dans nos vies. Quand nous vénérons « le Nom de Jésus », nous voulons dire que nous vénérons la personne de Jésus. Et à Lyon, la paroisse du « Saint Nom de Jésus », cela veut dire que c’est la paroisse où la personne de Jésus est crue, vénérée, célébrée, rendue présente par la prédication, la prière et la Communion, la communion par la charité comme la communion sacramentelle qui est là pour faire vivre la première.
[3] « Ne vous faites pas appeler rabbi, un seul est celui qui enseigne et vous êtes tous frères. Ne vous faites pas appeler père sur la terre car vous n’en avez qu’un seul, le Père céleste. Et ne vous faites pas appeler guide, car un seul est votre guide, Christ. » Une Église qui refuse d’entendre et de mettre en pratique les paroles les plus claires qui nous viennent du Christ, cette Église « sème le vent » et nous récoltons la tempête.