Xavier Charpe, qui intervient régulièrement au CTM, (Centre Théologique de Meylan) près de Grenoble – et accessoirement sur ce site – nous propose une réflexion féconde sur les pèlerins d’Emmaüs : il montre comment l’Église a détourné les symboles forts donnés par Jésus lors de la Cène.
Chers amis,
Ce texte me tourne dans la tête depuis des années. Encore plus depuis que des amis du Centre St Marc de Grenoble m’ont offert[1] le magnifique livre de François Boespflug présentant les peintures d’Arcabas sur les pèlerins d’Emmaüs : magnifique et spirituellement juste, ce qui n’est pas toujours le cas de l’iconographie. Bref, je tiens ce récit pour l’un des plus profonds du N.T.
Ce texte ne se trouve que chez Luc.
On sait que Luc a une source qui lui est propre[2] et il nous la transmet. Nous ne savons pas comment elle était, ni comment Luc l’a « retravaillée ». Nous ne savons pas davantage ce qui s’est passé exactement ni quel est l’événement qui est à la source de cette tradition. Nous nous en tenons donc au texte de Luc, tel qu’il nous est parvenu.
Le récit est étrange, à moins qu’il ne soit chargé d’une signification lourde de sens. Comment est-il possible que ces deux disciples qui avaient suivi le Jésus terrestre, qui l’avaient considéré comme leur Maître et qui avaient mis en lui leur espérance, comment peuvent-ils ne pas reconnaître sur le champ leur Maître aimé quand cet homme les rejoint sur la route et marche avec eux ? À moins que le récit ne soit « codé » et porteur d’un message : le Jésus terrestre que vous avez connu, c’est fini, il est mort ; le tombeau est vide. Mais il est vivant auprès de Dieu. C’est désormais le Christ Seigneur et c’est lui qu’il vous faut rejoindre. Plutôt l’inverse : il vous faut vous laisser rejoindre par Lui. Au verset 5, deux hommes sont là au tombeau vide ; ils disent aux femmes : « Pourquoi cherchez-vous « Le Vivant » parmi les morts ? Il n’est pas ici. Dieu l’a réveillé (rendu à la vie). »[3] Il va donc nous falloir chercher Jésus autrement. Ce ne sera plus le Jésus terrestre, mais ce sera le Christ, le Seigneur, celui à qui les confessions de foi primitives donnent le titre de « Kurios ». D’où la confession de foi de Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ».
À quoi les deux disciples reconnaissent-ils que l’homme qui a cheminé avec eux est le Christ, ce Maître qu’ils ont aimé, alors même qu’il n’est plus sous la même apparence et qu’ils ne l’ont pas reconnu ? Au signe de la « Fraction du Pain » et au fait qu’« Il les a ouverts à l’intelligence des écritures ». Voici les deux pierres angulaires, les deux fondements, sur lesquels il nous sera désormais possible de rencontrer le Christ vivant comme notre Seigneur, à l’instar des deux disciples d’Emmaüs. Sachant que c’est Christ qui nous rejoint et qui vient nous rencontrer sur le chemin de nos vies. C’est Dieu qui par le Christ Jésus prend l’initiative de venir à nous, dans la liberté absolue de sa générosité et de sa volonté de nous communiquer sa vie.
La « Fraction du Pain ».
La rencontre du Christ et sa reconnaissance par la foi passent par la « Fraction du Pain ». Pardonnez-moi de devoir répéter sans cesse la même chose. À propos du « Sacrement de la Sainte Cène », que nous appelons le sacrement de l’Eucharistie, nous avons 11 textes qui renvoient à cette pratique que Jésus nous a laissée en « Mémorial » de sa vie donnée pour nous, pratique dont il nous a dit de « refaire cela en mémoire de Lui ». Refaire « cela » et pas autre chose. C’est un ordre, c’est un commandement ! Qui s’écarte de la Cène de Jésus avec ses disciples s’écarte du commandement. Nous ferions alors autre chose que ce que Christ nous a demandé de faire. Une désobéissance majeure sur l’un des points essentiels du Testament de Jésus.
Or, dans les onze textes, c’est toujours soit le même verbe « klaô » (rompre pour partager) ou le substantif dérivé « klasis » (« fraction ») qui sont utilisés. Un vocabulaire aussi unanime dit que la pratique s’est fixée au tout début et qu’elle avait été parfaitement comprise par les premiers disciples. Cette pratique remonte à ce que l’apôtre Paul appelle « Le Repas du Seigneur ». Ces repas autour desquels les premiers disciples se rassemblent dans un repas de communion, en faisant mémoire de la vie donnée de Jésus, en faisant mémoire de son enseignement et des gestes forts à l’adresse de ses disciples et de tous ceux et celles qu’il rencontrait : « Il est passé (partout) faisant le bien. » C’est au cours de ces repas, autour du Christ Jésus et de sa « Mémoire », que sont nés nos évangiles, d’abord sous formes de traditions orales, mises ensuite en formes écrites.
À la fois, le « Repas du Seigneur », donc le partage du Pain, comme signe de communion et comme signe du Christ qui se donne à nous en nourriture – il nous donne sa vie, ce que veut dire l’expression : « il nous donne son corps » – et, dans le même temps, se tenir à la « Mémoire de Jésus », à son enseignement en paroles et en actes, bref à sa Parole, bref se tenir à son commandement. Et dans le commandement, il y a le lavement des pieds de nos frères, traduisons le service de nos sœurs et de nos frères. Tout cela se tient comme un seul bloc. Et ce qui fait tenir cela comme un tout, c’est Christ lui-même, sous l’action de l’Esprit Saint, en dehors duquel il n’y a ni « mémoire du Christ », ni sacrement de la Sainte Cène, encore moins communication de la vie divine (Appelez cela la « grâce » si vous préférez).
C’est de ce tout, comme d’un ensemble qui se tient, que nous parle notre texte : la Fraction du Pain et l’intelligence des Écritures, cela se tient. C’est à ces deux signes qu’ils reconnaissent le Christ et vont aussitôt revenir à Jérusalem pour confesser que le Seigneur est vivant. Le Seigneur, comme le « Maître de la Vie » qui les a rendus à la vie. Ce récit des deux pèlerins nous est transmis par Luc en sorte que nous nous appliquions son message dans la pratique de nos vies et tout autant dans notre pratique d’Église, si du moins celle-ci est l’Église du Christ.
« Vous ferez cela en mémoire de moi ».
C’est un ordre ! Or, nous nous empressons de faire tout autre chose que ce que Christ nous a demandé de faire. D’abord, il n’y a plus de Pain ; comme si nous voulions signifier que Christ n’est pas notre nourriture. Ne venez pas me raconter que l’hostie blanche et inconsistante que l’on nous distribue est une nourriture. Jésus nous laisse le signe de la nourriture et nous l’évacuons. Ensuite, il n’y a plus de partage. Comme c’est pratique : je vais pouvoir aller à la messe dans le plus grand confort spirituel, sans que Christ se tienne devant moi et m’interpelle : « Xavier, partages-tu avec tes frères ? Qu’est-ce que tu fais pour tes frères et tes sœurs ? Qu’est-ce que tu donnes de ta vie ? En quoi sers-tu les hommes tes frères ? » Je vais donc pouvoir me réfugier douillettement dans la célébration solitaire de la messe, en tenant religieusement l’hostie blanche dans mes mains et en me concentrant sur mes émotions spirituelles, comme cela nous a été présenté sur un site Internet. Cette pratique est portée au « sommet » avec la pratique de l’adoration solitaire devant le Saint Sacrement. Là, on a même supprimé toute référence à la mémoire de la vie de Jésus donnée pour nous apporter le salut de Dieu. En la circonstance, surtout pas de prédication, puisque, à en croire nos nouveaux docteurs, la prédication ne fait pas partie de la célébration eucharistique, qu’elle est secondaire, peut être négligée et que d’ailleurs elle est la portion congrue dans la formation des séminaristes. Dans cet exercice de dévotion solitaire, je vais pouvoir projeter mes idées comme bon me semble et ne plus me laisser interpeller par l’enseignement du Christ ! On revient à la pratique du paganisme où nous nous tenons devant l’idole muette et où c’est nous qui concoctons notre propre prière. Je suis très respectueux du paganisme, mais la religion de Jésus, c’est autre chose. La prière en Christ. Ou alors, Christ est mort pour rien !
L’inversion de la Sainte Cène de Jésus ne s’arrête pas là, cette Cène dont nous devons refaire la pratique. C’était un repas de communion, anticipant le Repas dans le Royaume. La table de communion est remplacée par un autel pour sacrifier une victime[4]. Ce sont les sacrifices de purification du Lévitique qui viennent se substituer à la Cène de Jésus et à la fête de la Pâque.
Dans la Cène, c’est Jésus qui se donne en nourriture. Il donne « son corps », c'est-à-dire sa vie risquée pour nous. Le mouvement va de Dieu vers nous : Dieu nous donne son Fils et en nous donnant son Fils, il nous donne la vie. Et Christ donne sa vie pour nous ; effectivement, il l’a donnée ! Il nous est demandé d’accueillir ce don dans la reconnaissance et la gratitude, en nous tenant sous la bonté de Dieu. C’est pour cela que nous parlons du culte eucharistique, le culte d’action de grâce pour le don de Dieu en Christ. C’est en retour au don premier de Dieu, le culte de la louange et de la gratitude.
Or, durant des siècles, dans notre Église romaine nous avons inversé la chose : c’est nous qui offrons le sacrifice pour obtenir la faveur de Dieu.
C’est même le célébrant qui dit : « Priez mes frères (et mes sœurs) pour que mon sacrifice soit agréable à Dieu. »[5] Faut-il être théologiquement décérébré pour avoir imaginé une telle prière ? Résurgence implicite de la position romaine selon laquelle, à chaque messe, nous renouvellerions le sacrifice du Christ et nous offririons à Dieu ce sacrifice à chaque fois renouvelé. Heureusement cette énormité théologique n’est plus de mise[6]. Notre Église est revenue officiellement à l’affirmation triplement répétée dans l’épître aux Hébreux, confessant que le sacrifice du Christ a été fait « une fois pour toutes » ! L’événement de la vie donnée de Jésus a eu lieu une fois pour toutes. Il est à accueillir dans nos vies, en sorte que celles-ci soient modelées par celle du Christ.
Pour dire les choses autrement : Christ nous a laissé un triple Testament. Primo, lors de la Cène, le lavement des pieds : « Comme je vous ai lavé les pieds, vous aussi, à votre tour, vous vous laverez les pieds les uns les autres. » « Nos serviteurs les évêques » et pas des « MonSeigneurs ». Le service, rien que le service et la fin de tout cléricalisme. Chacun comprend.
Le second legs du testament c’est le : « Vous ferez cela en mémoire de moi. » Il s’agit de refaire ce que Jésus a fait avec ses disciples : « Jésus prit du pain. Ayant rendu grâce, il le rompit et le distribua à ses disciples en disant : prenez et mangez : ceci est mon « corps », c'est-à-dire ma vie donnée « pour vous ». Ce sera votre nourriture qui vous donnera la force de marcher vers la demeure du Père. Et il y a la coupe partagée en signe de la nouvelle Alliance. Voilà deux symboles forts, si du moins nous avons le sens des symboles, ce qui est notre cas[7]. Or ces deux signes, ces deux gestes, ces deux symboles que nous devrions recevoir dans la foi, ces deux signes-symboles nous les avons radicalement changés : l’un, la coupe partagée, nous l’avons rayée de la carte et nous avons brûlé Jean Huss pour avoir dit que nous devions pratiquer la communion à la coupe, conformément au commandement du Seigneur. Le second, nous l’avons complètement changé : il n’y a plus le symbole du pain que l’on partage et qui est partagé en faisant mémoire de la vie donnée de Jésus. Plus de pain, plus de partage.
À la place, un autre signe : l’hostie qui renvoie au sacrifice ; « hostia » en latin, la victime que l’on sacrifie. Plus de nourriture et surtout plus de partage : c’est tout partagé d’avance. La blancheur renvoie à la pureté ou plutôt à la Transfiguration. Dans l’ostensoir, l’hostie rayonne comme le soleil. Nous adorons le Dieu Soleil comme dans les religions païennes : « Sol invictus ! » Un jour je vous expliquerai un peu cette effroyable dérive. Aujourd’hui, ce serait trop long. Nous avons tout faux : c’est le mépris du commandement que nous a laissé le Seigneur lors de la Cène avec ses disciples. Christ nous avait laissé l’ordre de refaire le repas de la Sainte Cène en mémoire de lui. Et nous, de la célébration de la Cène nous avons fait notre messe !
Le troisième legs que nous a laissé Jésus dans son Testament, c’est son enseignement, sa Parole de vie. C’est parfaitement clair dans l’évangile de Jean, au travers des deux « discours d’adieu ». L’évangéliste y a inscrit le noyau central de l’enseignement de Jésus. Or, si nous nous tenons à cet enseignement – dit autrement si nous gardons ses commandements - nous sommes établis en communion avec Christ et par lui en communion avec Dieu. Il nous faut tenir à la Parole du Christ, Parole qui est le Christ lui-même. Mais pour tenir au Christ, Parole de Dieu, il faut nous tenir à la parole des apôtres : « Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres, à la prière, à la Fraction du Pain et à la "koinonia". » (Actes 2, 42).
C’est ainsi que je lis : « Notre cœur ne brûlait-il pas tant qu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait les écritures ? ». C’est à l’Église aujourd’hui, et à chacun d’entre nous pour la part de connaissance qui est la nôtre, « d’ouvrir les écritures », d’ouvrir à l’intelligence des écritures, d’en dévoiler le sens et la force de vie. Car les écritures ont besoin d’être « ouvertes ». D’abord parce qu’elles sont matériellement difficiles[8]. Mais ensuite et surtout parce que, pour pénétrer leur intelligence en profondeur, il faut les accueillir avec les oreilles et l’intelligence de la foi. Il faut faire le travail d’intelligence de la foi. « Intellectus fidei », c’est le nom donné à la théologie. Ce travail, l’Église doit le faire ; bien évidemment nos ministres et particulièrement nos évêques[9] ; mais aussi chacun d’entre nous, dans la mesure de nos moyens et en nous portant et nous soutenant les uns les autres. J’entends bien que, dans notre texte de Luc, les « écritures » ce sont les écritures de l’A.T. Ni les évangiles, ni les lettres de l’apôtre Paul ne sont écrites. Depuis nous en disposons. C’est une chance inouïe ! Comment la mépriser ?
Or, je crains d’avoir souvent sous les yeux le spectacle du mépris des écritures.
C’est bien de cela qu’il s’agit quand notre Église s’écarte de la ligne ferme tracée par Jésus lors de la Sainte Cène, en faisant autre chose que ce que le Christ nous a commandé de refaire en mémoire de lui, en changeant le signe qu’il nous a laissé du Pain partagé et de la coupe partagée, en introduisant des rites et des simagrées qui viennent peut-être du paganisme et des cultes à mystères, mais qui n’ont rien à voir avec l’Évangile.
De même, Paul dans ses lettres, et ses disciples avec lui, nous disent avec suffisamment de clarté ce que sont les ministères dans l’Église ; or, au lieu de prendre leur message comme règle de pensée et de pratique, nous oublions Paul pour nous mettre sous la coupe d’Ignace d’Antioche, voire sous celle de Clément de Rome ; mépris des écritures. Autre exemple, jamais, dans aucun texte du N.T. on ne définit les ministères comme un « ministère sacerdotal ». Dans le N.T., les ministères sont toujours définis par les services qu’ils sont tenus de rendre. Or la majorité de nos évêques et de nos curés, pas tous heureusement, continuent de nous parler de leur « ministère sacerdotal ». Le sacerdoce chrétien, tel que défini par l’apôtre Paul en Romains 12, 1, s’applique à tous et les clercs sont les derniers à en être dispensés. Mais rien n’y fait : ils continuent à s’attribuer un sacerdoce supérieur. En parallèle, jamais aucun texte du N.T. n’use du mot « laïkos », laïc, et pas davantage du concept ; c'est-à-dire que jamais nos auteurs du N.T. ne divisent l’Église du Christ entre ceux qui seraient des « profanes » et les autres qui seraient les hommes du sacré ; ils connaissent parfaitement cette distinction qui est le fonds de commerce des religions païennes et de la religion juive, au moins dans le Lévitique. Jésus et son Évangile ont dynamité cette distinction radicalement perverse en régime chrétien. Mais nous, nous continuons allègrement à parler des « prêtres » et des « laïcs », comme si les écritures n’avaient aucune autorité. Sans d’ailleurs nous rendre compte qu’en français, le mot « prêtre » est parfaitement ambiguë et introduit la pire des confusions dans l’esprit des fidèles chrétiens : « Prêtre » traduit les « Anciens », les presbytres, qui selon les lettres pastorales à Tite et à Timothée doivent être placés à la tête des communautés – vous pouvez traduire simplement les curés ou nos « pasteurs » ; là le mot est juste. Or les fidèles, quand ils entendent le mot « prêtre », comprennent les « prêtres sacerdotaux, les sacrificateurs », ceux qui offrent les sacrifices ; bref, les prêtres au sens de la tradition juive du lévitique. Confusion mentale dont il est difficile de penser qu’elle n’est pas volontairement entretenue. Là encore, mépris des écritures évangéliques.
Le N.T. parle toujours du baptême comme d’un geste et un sacrement de conversion. Le rite sacramentel est celui d’une immersion dans l’eau, symbole de l’immersion dans la mort de Jésus, pour ressurgir ensuite à la vie, en Christ et avec lui. Mais nous, nous en avons fait un rite de lavage et d’ablution, un rite d’appartenance à la congrégation qu’est l’Église, comme en judaïsme la circoncision est un rite d’appartenance au peuple juif. Et c’est ainsi qu’en parle le cardinal Lustiger. À la place de la conversion, nous en faisons un rite d’appartenance. Tout est à l’avenant.
Nos évangélistes, Paul et quelques autres sont tous de grands théologiens. Ils ont choisi avec soin les mots dont ils usent pour témoigner du Christ et de son message de libération. Et voilà que dans notre prétention, tantôt nous usons d’autres mots qu’ils ont souvent volontairement écartés, tantôt nous employons les mots avec un sens qui n’a rien à voir avec le sens qu’ils ont pour les auteurs du N.T. Deux exemples : nous parlons sans cesse de « liturgie » mais, dans les textes du N.T., sous réserve peut-être d’une exception, ce mot n’a jamais le sens que nous lui donnons aujourd’hui. Nous parlons sans cesse de « mystères », de « mystère eucharistique », de « mystère pascal », ce qui renvoie au sens de mystérieux et aux « religions à mystère » du monde hellénistico-païen. Mais dans les lettres de l’apôtre Paul, le Mystère, c’est tout le contraire : c’est le dévoilement du plan de salut de Dieu sur le monde. On devrait presque traduire « mystère » par « révélation ». Quel mépris est le nôtre de la sagesse et de la puissance théologiques de nos évangélistes, de l’apôtre Paul, sans oublier les autres ! C’est assez : mettons-nous une fois pour toutes à l’école de ces « maîtres ».
Ce qui court derrière cela, c’est le mépris de la Parole de Dieu, entendons des saintes écritures que sont nos quatre évangiles, les lettres de l’apôtre Paul, et les autres écrits apostoliques. La tendance qui ressort sans cesse dans notre Église, c’est de vouloir être « auto-référencée ». C’est elle qui se donne sa propre norme. Le refus d’être normée par les évangiles et par le « Canon des écritures ». Ce dernier est là pour nous dire la verticalité de la transcendance de Dieu à laquelle l’Église doit de soumettre. L’Église est surplombée par le Canon des écritures. Chacun de nous doit se tenir sans cesse « sous les écritures » et nos évêques devraient être les premiers à s’y soumettre.
Schluss !
En vue du dimanche 14 avril 2024.
Xavier CHARPE
[1] Je les avais aidés à organiser un voyage à Lyon sur le thème du Lyon religieux depuis le Moyen-Âge. Nous avons terminé par la cathédrale St Jean, malheureusement en travaux. Je leur avais montré qu’à l’époque l’essentiel de la vie religieuse se passait en marge de la cathédrale, très mal vue des chrétiens les plus fervents de Lyon.
[2] Cela saute aux yeux quand on étudie systématiquement les paraboles. Luc et Matthieu reprennent des paraboles qui leur viennent de Marc et que l’on retrouve donc chez les trois. Ensuite, il y a des paraboles communes à Luc et à Matthieu, qui ne sont pas chez Marc. Elles leur viennent d’une source de « logia » (paroles) de Jésus, ce qu’on appelle la source « Q » (« die Quelle » en Allemand). Et puis il y a des paraboles qui ne se trouvent que chez Matthieu – oh les belles paraboles propres à Matthieu ! – ; elles lui viennent d’une source qui lui est propre. Enfin, il y a des paraboles qui ne sont que chez Luc, elles aussi parmi les plus belles, notamment celle du Bon Samaritain et celle du Fils prodigue. Luc dispose donc d’une source qui lui est propre et qu’il transmet dans ce récit des pèlerins d’Emmaüs.
[3] Il y a comme un parallèle dans les discours d’adieu dans l’évangile de Jean : Jésus leur annonce qu’il va « partir », parce qu’il va vers son Père. Mais il ne les laissera pas orphelins ; il leur enverra un autre « Paraklètos » qui se tiendra à leurs côtés et qui leur rendra Christ présent. Mais c’est une autre forme de présence qui n’est plus limitée au Jésus terrestre qui pouvait être rencontré au hasard des chemins de Galilée et de Judée : une présence désormais ouverte à tous et pour toujours, à condition de se tenir à son enseignement et de pratiquer son commandement : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » C’est le sacrement du lavement des pieds au chapitre 13, juste avant le chapitre 14.
[4] Par bonheur, nous disposons de trois toiles de Philippe de Champaigne, l’une au Louvre, l’autre au musée de Lyon, la troisième à Bruxelles, plus un magnifique lavis au musée du Louvre. Sous l’influence de l’Abbé de Saint-Cyran et de la rigueur de Port-Royal, la Cène est bien représentée autour d’une table, le Christ tient un pain qu’il va partager et il y a une coupe.
[5] Le sacrifice de la vie donnée de Jésus, oui, cela me concerne au plus haut point. Mais pardonnez-moi, le sacrifice du célébrant, cela m’importe peu. Au demeurant, la question de savoir qui va présider la célébration eucharistique n’est jamais posée explicitement dans aucun des textes du Nouveau Testament. Peut-être pour la simple et unique raison que, pour les premiers chrétiens, leur évidence, c’est qu’ils se réunissent autour du Seigneur et qu’en réalité au-delà des apparences, c’est Christ lui-même qui présidait le « Repas du Seigneur ».
[6] Il n’est pas certain que cette contrefaçon ne traîne pas dans certains esprits et surtout derrière certaines pratiques, quand par exemple : « Nous offrons le sacrifice de la messe pour le repos de l’âme des défunts. »
[7] Il y a quelques mois, un éminent hiérarque nous a adressé un long texte sur la « liturgie ». Je passe sur le fait que dans le N.T., le mot « liturgie » a un tout autre sens que le sens actuel et que, par contre, le N.T. use d’un mot juste : « le Culte », que nous ne voulons pas utiliser parce c’est le mot dont usent à juste titre les Protestants ; voilà qui traduit l’attachement que nous portons à la cause de l’unité des chrétiens ! Dans cette longue monition, ledit hiérarque nous reprochait d’avoir perdu le sens des symboles ; du coup, nous ne comprendrions plus « la puissante beauté de la Liturgie ». Il ne faut pas manquer d’air de la part de nos hiérarques pour nous faire ce reproche ! Ils ont changé les signes-symboles que nous avons reçus du Christ et ils nous imposent des symboles trafiqués et trompeurs. Ils sont allés les chercher dans le paganisme et dans « les religions à mystères », ou bien, par un retour en arrière insensé, ils veulent nous imposer les rites juifs dont Christ nous a libérés. L’usage de l’encens, dont certains semblent raffoler, c’est un usage païen et un usage juif. Jamais, ni le Christ ni ses disciples, n’en usent. Le seul emploi se trouve, à titre symbolique, dans le livre de l’Apocalypse pour évoquer la prière des saints qui monterait vers Dieu ; cela ne me dit rien, car Dieu n’est pas « en-haut », pas plus qu’il n’est « en-bas ». Dieu est au cœur de la vie et il en est la source ; il n’est pas localisé dans un lieu. La conférence de Rudolph Bultmann sur la démythologisation date de 1941. Au demeurant, je suis un ancien tuberculeux et l’encens me fait tousser et cela ne sent pas bon ! Pire l’aspersion, soi-disant pour nous rappeler notre baptême que la plupart d’entre nous n’ont jamais demandé à recevoir. Mais le baptême n’est ni une aspersion, ni une douche, ni un lavage, ni un bain : c’est une immersion dans l’eau, en sorte d’être près d’en mourir, pour symboliser une plongée dans la mort du Christ, en sorte que passant par cette Pâque, nous passions à la vie en Christ. Le baptême, c’est une immersion dans le Christ. Rien à voir avec l’aspersion de gouttelettes d’eau dont il faudrait me protéger par un parapluie. Et puis toute cette gesticulation artificielle, comme si le sérieux et le respect que nous devons à la célébration de la Cène n’exigeaient pas la sobriété et la simplicité. Bref, si tant de gens désertent les célébrations dominicales, c’est qu’ils n’y comprennent plus rien. Nos évêques auraient-ils, éventuellement, une part de responsabilité dans ce désastre ?
[8] D’abord parce qu’elles sont écrites dans une langue qui n’est pas la nôtre, le grec ou l’hébreu ; parce que le sens des mots a changé ; et aussi, parfois, parce qu’il y a des obscurités dans le texte.
[9] C’est un peu triste quand certains évêques sont de peu de théologie, quand ils ne s’astreignent pas au nécessaire labeur du travail exégétique et de la réflexion théologique. Comment peuvent-ils être de bons pilotes des communautés au service desquelles ils ont été missionnés s’ils ne font pas ce travail d’intelligence et d’approfondissement de la foi ? J’ai envie de dire à l’un ou à l’autre : « Éminence, combien d’heures par jour et par semaine avez-vous le texte grec sous les yeux, la concordance grecque dans une main, le dictionnaire Bailly de l’autre, vous appuyant sur les meilleurs commentaires existants et, bien entendu, en vous interrogeant sur la lumière que la Parole de Dieu apporte au monde et comment vous pourrez en témoigner ? Normalement, quand ce travail est fait, quand vous êtes imbibés des évangiles et des lettres de Paul et des autres et que, dans le même temps, vous portez les soucis du monde, alors normalement cela devrait s’entendre. Si ce travail n’est pas fait, nos paroles n’ont aucun poids. » Cela vaut de nos évêques comme pour chacun d’entre nous.