C’est toujours un désagrément, et parfois une catastrophe, de perdre ou égarer ses clefs. Mon tempérament distrait, et une certaine négligence me l’ont fait expérimenter à plusieurs reprises. J’ai même dû un jour recourir à l’effraction de mon logement en brisant la vitre d’une des portes. La chose ne fut pas des plus faciles et j’ai pu constater la résistance du double vitrage.
J’ai renouvelé l’expérience récemment lors des vacances. Au matin du premier jour, au moment de partir, impossible de mettre la main sur la clef de voiture ! Nous avons passé la matinée à sa recherche, remué fauteuils, chaises, divan, vérifié le lit, le sac de voyage et toutes les poches, passé et repassé dans les allées que j’avais empruntées ce qui représentait peu de mètres. L’expression « remuer ciel et terre » trouvait une application concrète, l’un des Religieux de la Communauté qui nous hébergeait m’ayant assuré l’efficacité du recours à Saint Antoine. Il a dû flairer du scepticisme de ma part, ce qui lui a fait dire « Oh ! Homme de peu de Foi ! » La clef, je l’ai retrouvée dans l’après-midi, cachée par la lunette relevée de la cuvette des toilettes !
Cette récupération m’a renvoyé à la joie de la ménagère de l’Evangile qui, elle aussi, mettait tout sens dessus dessous dans la maison pour retrouver une malheureuse pièce égarée et qui convoque ses voisines à venir partager son bonheur. « Dans sa joie ! » dit Jésus, ainsi qu’il l’affirme également pour le la brebis retrouvée ou le retour du fils perdu. C’est dire que toutes nos retrouvailles ont du prix et qu’elles ne peuvent que s’accompagner de bonheur avec la joie de le partager. Et il est vrai qu’à l’occasion de ces « retrouvailles », il nous arrive d’expérimenter, de goûter et partager ces petits bonheurs que nous offre la vie !
Ces souvenirs me revenaient en mémoire alors que je préparais une homélie du dimanche (21e ordinaire). J’y retrouvais là aussi « une histoire de clefs », non pas égarées, mais « les clefs du Royaume » confiées à l’apôtre Pierre (Mt 16), devenu ainsi, pourrait-on dire, « l’homme aux clefs » ! Les nombreuses statues ou peintures qui l’ont représenté au cours des âges le confirment, quitte à en faire « le concierge du paradis » ainsi que l’évoque l’expression qui parle de la mort comme « le moment de se présenter à Saint Pierre » !
Voilà bien une interprétation fantaisiste de la mission confiée à cet Apôtre qui le mettrait, d’une certaine façon, en concurrence avec Jésus ! De même, parler de pouvoir à propos de cette remise de clefs oriente vers ce qui s’appelle une passation, alors qu’il faudrait y voir d’abord une marque de confiance. Comme celle dont nous-mêmes faisons preuve lorsque nous confions nos clefs à un proche, ami ou voisin. Nous n’en faisons pas des propriétaires de notre domicile, mais en leur demandant de surveiller – ou plutôt de veiller sur – nous manifestons la confiance que nous leur portons, qu’ils reçoivent comme une responsabilité et un service à remplir.
Il est vrai que les deux clefs qui figurent sur les armoiries (un terme étonnant ou poussiéreux !) du Saint-Siège (terme bizarre et peu évangélique !) ont traditionnellement été vues comme signes du pouvoir : spirituel pour la clef dorée, moral ou temporel pour la clef argentée. La crispation sur ce double pouvoir a pu évincer la véritable mission qui est essentiellement celle du veilleur, celui qui a reçu comme mission de « prendre soin ». Et n’oublions pas que cette mission n’est pas réservée au pape ou aux évêques mais, si l’on se réfère à la parole de Jésus sur la correction fraternelle (Mt 18), le rôle de « lier et délier », qui accompagne la remise de clefs à Pierre, est attribué à tout membre de la Communauté.
Nous voilà tous, ainsi, avec deux clefs en mains, chargés de lier, d’établir des liens de solidarité et de fraternité, attentifs à les entretenir par le dialogue, l’amitié et le service, en veillant sur ceux qui sont les éternels oubliés et au service des plus démunis. Travailler également à affranchir ceux qui sont attachés par des liens mortifères, des addictions dont ils semblent ne pas pouvoir se démettre ou des situations où ils se sont empêtrés…
Et pour cela, il nous faudra une troisième clef, celle que l’on appelle « la clef des champs » ! Dans notre culture, elle n’est pas vue comme celle qui permet d’entrer dans un enclos mais, au contraire, celle qui permet d’en sortir pour rejoindre l’extérieur, le grand air. En clair, elle est le symbole de la liberté, ou, pour reprendre une image désormais familière, un programme à suivre : « rejoindre les périphéries ». Et, pour rester dans ce registre, nous pourrons toujours y ajouter « la clef des chants » ! Elle pourrait bien se révéler utile pour accomplir notre mission dans la joie !
Robert Favrou