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Des départs qui questionnent

Robert FAVROU . 20 octobre 2025

Ils sont partis, parfois en claquant la porte, pour certains. Le départ, pour d’autres, s’est fait dans la discrétion, sans éclats. Ils ont quitté le ministère de prêtre pour une nouvelle vie. Avec une compagne pour la plupart d’entre eux, avec le projet de fonder une famille. D’autres éprouvaient une certaine lassitude, parfois un sentiment d’échec qu’ils ne pouvaient plus supporter, envisageant une nouvelle activité qu’ils espéraient plus épanouissante et qu’ils n’ont pas toujours trouvée avec facilité. Certains auraient bien continué leur ministère qui leur avait apporté un véritable épanouissement, mais ils ont dû s’incliner face à une décision automatique et intransigeante de leurs responsables.

Les commentaires sur ces départs, lors des années 70, avaient souvent recours, pour les expliquer, à la mentalité issue des événements de mai 68. La qualification de « soixante-huitards », à laquelle on ajoutait « attardés » pour faire bonne mesure, était assez couramment utilisée à leur endroit. L’institution ecclésiale qui aurait dû s’interroger sérieusement sur les véritables causes de ces départs s’est contentée, le plus souvent, de les expliquer par des problèmes personnels des partants, évitant ainsi une remise en cause dans son fonctionnement et dans une pensée vue comme intangible.

Parmi les raisons de ces départs, il semble bien que le célibat, rendu obligatoire pour les prêtres de l’Église latine depuis le 11e siècle, n’était pas pour rien dans la décision. Apparemment accepté lors de l’ordination, il n’avait pas été véritablement choisi et pouvait se révéler difficile, voire impossible à vivre dans la suite. Ceux qui partaient n’avaient pas répondu à la vocation de religieux. C’est bien le ministère de prêtre qui était essentiellement au cœur de leur choix et qui les avait motivés à donner leur vie dans cette mission.

La question qui a été éludée face à ces départs en nombre revient régulièrement dans notre Église. Elle est naturellement sortie des échanges dans les équipes mises en place en vue du Synode voulu par le pape François. L’obligation du célibat pour les prêtres, bien que maintenue par le droit canon, est sans aucun doute loin de faire l’unanimité au sein du peuple de Dieu où le changement de cette loi est souhaité de façon majoritaire semble-t-il. L’incompréhension n’a pas manqué de se manifester lorsque le pape, à la suite du synode de l’Amazonie, n’a pas pris en compte dans les conclusions de cette Assemblée la proposition d’ordonner des « viri probati », des hommes mariés.

Pourtant, les fidèles ne sont pas les seuls à remettre en cause cette loi de l’Église romaine. Lors du concile Vatican II, le primat de l’Église melchite – une Église catholique orientale qui compte des prêtres mariés – faisait cette déclaration : « En cas de besoin, ce n’est pas le sacerdoce qui doit être sacrifié au célibat, mais le célibat qui doit être sacrifié au sacerdoce. » Et un des décrets du même concile, portant sur la vie et le ministère des prêtres, reconnaît que « la nature du sacerdoce n’impose pas la continence perpétuelle et parfaite ». Le pape Paul VI s’est empressé de fermer cette ouverture dans une encyclique sur le sujet. Ce que Jean-Paul II a confirmé en déclarant même que cette position était définitive.

Le recours à l’ordination d’hommes mariés n’est pas à envisager seulement comme un remède au manque de prêtres. C’est aussi un chemin pour retrouver le vrai sens du ministère presbytéral. Celui-ci ne consiste pas dans le choix d’un état de vie, ce qui est propre aux religieuses et religieux, mais c’est l’acceptation d’un service – un ministère – à remplir au cœur du peuple de Dieu et non réservé aux hommes célibataires. Ce qui nécessite un changement dans le droit canon qui déclare « seul un homme baptisé reçoit validement l’ordination sacrée » (Can 1024). Y a-t-il, dans cette déclaration, fidélité aux origines de l’Église ? Dans l’Évangile, l’envoi en mission de 72 disciples (Luc 10, 1-20) n’est pas réservé aux hommes. Des apôtres étaient mariés et il est plus que probable qu’il y avait des femmes parmi les disciples dans l’entourage de Jésus, ce qui est noté à plusieurs reprises. Il suffirait de remplacer le mot « homme » par « fidèle » et l’on ferait tomber un mur qui sépare et divise le peuple de Dieu. Et un grand pas serait réalisé vers la réunification des frères chrétiens séparés.

On peut, à juste titre, regretter que les départs de prêtres, évoqués au début de cette chronique, n’aient guère suscité de questionnement de la part de l’Église institutionnelle. Il est à craindre que d’autres départs ne provoquent également aucune remise en cause. Je le constate chez certains chrétiens qui, le plus souvent, sont partis « sur la pointe des pieds ». Certains d’entre eux, que j’ai accompagnés dans une aumônerie, une communauté de base et même en paroisse, m’avouent avoir « déserté » parce qu’ils ne se retrouvent plus, entre autres dans certaines affirmations doctrinales, un style de gouvernance, des préceptes moraux…« Qu’ils s’en aillent s’ils ne sont pas à l’aise ! » sera toujours une réponse décevante et indéfendable.

Tout malaise, exprimé ou non, doit être pris en compte comme contenant une attente. Les conclusions du Synode y répondront-elles ? Malgré un certain pessimisme, osons espérer. 

 

Le 11 octobre 2025

Crédit photo
Photo de Chikondi Gunde sur Pexels
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