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Repenser la mort à l’aune de l’évolution des mythes

Si l’on prend au sérieux l’évolution biologique, la mort y joue un rôle essentiel et résolument positif : elle ne résulte pas d’une erreur de la Nature, mais elle est au contraire indispensable au mécanisme de celle-ci. Il faut que les générations se succèdent et disparaissent pour que le génome mute et que la vie puis l’humanité progressent. Il a fallu que les ancêtres lointains de l’homme, à commencer par les Australopithèques voici quatre millions d’années, meurent afin de faire place aux hommes. Eux-mêmes avaient bénéficié de la disparition de Toumaï vieux de sept millions. Il faut aujourd’hui aussi que les vivants finissent par mourir afin que l’humanité continue d’évoluer vers un destin, qui est du reste imprédictible.

Dans cette conception, la mort n’est en rien une sanction, mais une promesse de postérité améliorée. Elle se concrétise pour ceux qui ont une descendance biologique, à laquelle ils vouent tous leurs soins pour en améliorer la destinée.

La mort est ainsi défaite, au sens d’une déconstruction des mythes antérieurs pour la reconstruction du mythe suivant, celui de l’évolution, vision provisoire du phénomène de la vie et du genre humain. Les théories scientifiques sont aussi des mythes, perfectionnés mais imparfaits. Nous n’aurons jamais accès à la réalité sinon à travers une séquence de mythes. Toutes nos avancées dans les sciences naturelles demeurent une construction de l’esprit humain : nous ne découvrons pas des lois de la Nature, nous les imaginons. En ce sens nous sommes des architectes de mythes.

L’évolution imaginée par Darwin n’expliquait pas tout et a été approfondie depuis.

De même la pastorale catholique a longtemps reposé sur un ensemble de mythes qui ont été élaborés à partir d’une interprétation particulière de la Genèse, le péché originel. Dans cette perception, nous mourons de notre faute ou plus exactement de celle d’un ancêtre. Pendant des siècles, le christianisme, religion du salut, fut ainsi perçu comme une religion du rachat ; il n’avait pas pour tâche d’élever mais de relever, de progresser mais d’expier, d’écrire mais d’effacer. Le mystère de l’Incarnation fut impliqué dans une théologie du péché originel. Jésus aurait moins pour mission d’annoncer une bonne nouvelle que de sauver l’humanité d’une damnation universelle.

Or, cette interprétation n’est qu’une des opportunités. Adam pourrait ou non avoir été créé immortel et, selon la première, aurait cessé de l’être par suite du péché originel. Deux citations du Siracide reflètent déjà cette contestation : « C’est par la femme que le péché a commencé et c’est à cause d’elle que tous nous mourons », et son contraire : « Toute chair s'use comme un vêtement, la loi éternelle c'est qu'il faut mourir. » (Siracide 25,24 et 14,17). La première thèse a dominé jusqu’à Paul : « par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort… » (Romains 5.12), et fut propagée par Augustin.

Cette interprétation rencontre aujourd’hui un doute croissant. Tout d’abord par suite de l’état du Droit. Dans la vision devenue universelle des Droits de l’Homme, la responsabilité est individuelle : il n’y a pas de culpabilité collective, ni de transmission générationnelle par vendetta. Ces conceptions archaïques et amplement réprouvées, demeurent génératrices de conflits dans l’actualité.

Ensuite par notre discernement de la biologie et particulièrement de l’évolution. Il n’y eut pas un couple originel dont descendraient tous les êtres humains, mais plusieurs espèces humaines et de multiples croisements. Notre ascendance la plus lointaine est animale.

Ces anciens mythes ne peuvent plus fournir de sens, si ces fables archaïques sont interprétées au pied de la lettre. Il faudrait y croire par devoir en faisant fi de notre savoir. Il est temps que la mythologie ancienne de la Genèse, devenue non crédible, fasse place aux mythes plus récents que sont le Big Bang, l’évolution darwinienne, les Droits de l’Homme, l’horizon politique indépassable de la démocratie. Dans le cadre du mythe de l’évolution, la mort possède un sens évident et cesse d’être un scandale.

L’abjuration générale des chrétiens de pays développés appuie cette exigence. Le problème actuel de l’Église catholique réside moins dans des détails de discipline, comme le célibat ecclésiastique, l’exclusion des femmes, la condamnation de l’homosexualité, que dans une présentation du dogme qui devient incompatible avec notre savoir. Il n’y a pas d’une part le savoir et d’autre part le croire, séparés par une cloison étanche, mais un seul savoir-croire à aménager dans le respect de notre perception actuelle de la réalité.

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Pashi de Pixabay
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