Dimanche 11 juin 2023 – Fête du Saint Sacrement – Jn 6, 51-58
« Moi, je suis le pain vivant descendu du ciel ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra pour l’éternité. Le pain que moi je donne, c’est ma chair pour la vie du monde » (v. 51) ; « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous-mêmes. » (v.53)
Lus au premier degré, au pied de la lettre, ces versets sont incompréhensibles, pour ne pas dire insupportables. Essayons de lire ce texte autrement, comme une métaphore que nous propose Jean.
Jésus vient de rassasier la foule nombreuse (environ 5000 hommes) venue à lui, sur la montagne (Jn 6, 10-13). Voyant ce qu’il venait d’accomplir, la foule le cherche pour le faire roi (Jn 6, 15). Jésus les enseigne alors. Cette nourriture se rapporte à la manne (man, ‘qu’est que cela ?’ en hébreu), une question dont il faut se nourrir ; la thésauriser en ferait une nourriture morte. Elle est donc à découvrir chaque jour, à penser, à interpréter avec d’autres dans un continuum.
Fils de l’homme… au plus près du grec, fils de l’humain. En hébreu, l’expression ‘fils de …’ indique l’appartenance à une famille, un groupe : ainsi, dans la Torah, le peuple hébreu est appelé ‘les fils d’Israël’ (cf. par exemple Ex 2, 25). Le fils de l’humain désigne donc en premier lieu un membre du groupe des humains, et métaphoriquement, ce que les humains ont en commun et ce qui les constitue en tant qu’êtres humains.
La chair et le sang, métaphores de la totalité de l’être humain, corps, cœur et intelligence. Métaphore de l’enseignement de Jésus et qu’il n’a pas renié pour échapper au supplice ni à la mort physique. Manger, mâcher (v. 56) la chair et boire le sang du fils de l’humain serait alors métaphoriquement intégrer son enseignement au plus intime de mon être, en faire ma substance comme lorsque je mâche une nourriture et avale une boisson. Jean fait un lien étroit avec la Vie en l’humain (v. 53), Vie (zoé en grec). Il nous dit, dès le début de son évangile, qu’elle est en Dieu, et qu’elle est lumière des hommes (Jn 1, 1-4). Ainsi, Jean nous dit que travailler les Écritures et l’enseignement de Jésus, en nourrir notre vie, spirituelle et sociale (relations avec les autres, actions concrètes au gré des rencontres…), est LE chemin vers la Vie en pérennité, accomplissement de notre humanité habitée par le souffle de Vie qu’Adonaï-Élohim souffla dans les narines de l’humain (Gn 2, 7).
Des Judéens murmurent contre lui (Jn 6, 40), discutent entre eux (v.52). N’ont-ils pas en commun l’interdiction de l’ingestion du sang qui figure la vie ? La métaphore mise dans la bouche de Jésus par Jean n’est-elle pas trop indéchiffrable ? Des disciples ne comprennent pas, « trébuchent »[1], sont scandalisés. Certains trouvent ces paroles dures, « ils vont en arrière et ne marchent plus avec lui » (Jn 6, 66). En aval, Jésus va livrer une clé d’interprétation : le lavement mutuel des pieds (Jn 13, 1-16), ultime métaphore. Mode relationnel où chacun dépasse ses propres défenses, et accueille au plus intime de lui-même, avec respect et bienveillance, cet autre comme celui qui le dépasse et l’oblige. Choix qui fait pour moi écho à l’alternative que YHWH Élohim pose devant chacun de nous : « La vie et la mort je les donne en face de vous, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta semence.[2] » (Dt 30, 19).
[1] Traduction Chouraki
[2] Traduction Chourahi