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Une visite très contrastée : d’une part, largement, l’enthousiasme, la joie des foules à Koekelberg, lors de la soirée jeunes, au stade Roi Baudouin ; d’autre part, la visite à la KULeuven) et à l’UCLouvain (Louvain-la-Neuve), la visite à la tombe du Roi Baudoin, son interview dans l’avion du retour. Contraste entre l’approche pastorale du pape et son approche doctrinale. 

Il y a l’enthousiasme des foules et de nombreux jeunes, touchés par le style de communication, la foi, la présence de François. Il faut espérer que ce ne soit pas un feu de paille, que cela suscite un approfondissement de l’adhésion personnelle de foi et de participation active aux communautés d’Église.

Il y a aussi eu les gestes forts : la visite non programmée chez les Petites sœurs de pauvres en pleine Marolles, le café pris avec des SDF à Saint-Gilles. Et puis très symbolique, ses déplacement dans sa petite Fiat 500 blanche au milieu des grosses Mercedes et autres BMW noires. 

Il y a aussi eu ses paroles très claires et fortes concernant les abus sexuels commis par des prêtes ou religieux (des crimes), et la rencontre personnelle de quinze victimes qui, dans l’ensemble, ont été touchées par la qualité de son écoute, de son accueil, et son invitation à poursuivre le dialogue à Rome.

Il y a encore son appel pour la prise au sérieux des défis de l’environnement et du climat ; son appel pour l’ouverture à l’accueil des exilés.

Tout cela est très positif.

Mais il y a de grosses ombres au tableau. Ses paroles concernant les femmes et l’avortement. Sa visite aux deux universités ne s’est pas bien passée, surtout à Louvain-la-Neuve. Interpellé sur la question des femmes, il s’en est référé à la nature, disant que « la femme est plus grande que l’homme », que l’Église est une femme, et que « la femme est accueil fécond, soin, dévouement vital ». Il a de plus esquivé la question concernant les LGBTQIA+[1]. Ayant communiqué au préalable le texte de son intervention aux autorités académiques, celles de Louvain-la-Neuve ont diffusé à la sortie de l’événement un communiqué de presse disant « son incompréhension et sa désapprobation quant à la position exprimée par le pape François concernant la place des femmes dans l’Église et dans la société. Une position déterministe et réductrice face à laquelle l’UCLouvain ne peut qu’opposer son désaccord ».

Par ailleurs, non prévu au programme, François est allé se recueillir dans la crypte de l’église de Laeken, sur la tombe du roi Baudouin. Il a loué le courage du roi dans son refus en conscience de signer la première loi sur l’avortement[2], et a déclaré qu’il s’est opposé à une « loi meurtrière ». Interrogé sur la question dans l’avion du retour il a redit, ce qu’il a déjà exprimé à plusieurs reprises, que les médecins pratiquant l’avortement sont des « tueurs à gage »[3]. Il a dit à Laeken qu’il voulait béatifier Baudouin, il l’a répété dans l’avion, ajoutant qu’il demanderait aux évêques de mettre en œuvre la procédure. Ce qui, pour beaucoup, serait inacceptable.

François intervient ainsi brutalement dans le contexte de la société belge qui soutient massivement la libéralisation de l’avortement (une petite minorité catholique s’y oppose dans une ligne radicale pro-vie) ; une société où il y a une laïcité organisée très active, de tradition anticatholique et tatillonne en ce qui concerne la laïcité de l’État ; une société où on a un épiscopat de tradition assez libérale et discrète, qui évite sainement les confrontations.

Ce voyage est politiquement malheureux, il met vraiment l’épiscopat en difficulté, il complique les relations entre l’Église et l’État. Il divise aussi la communauté catholique entre le groupe enthousiaste assez important, mais peu sensible aux analyses politiques, et un groupe significatif très frustré et assez en colère. Quelles en seront les conséquences à plus long terme pour l’Église en Belgique ? Il est difficile de le prévoir.

Ignace Berten – 1er octobre 2024


 

[1] Selon un témoin de sa rencontre avec des victimes des abus sexuels par des prêtres ou religieux, interpellé par une personne apparemment transgenre à propos des LGBTQIA+, François a fait montre d’un total respect. « Il a parlé de l’égale dignité des enfants de Dieu et il a répondu à cette personne avec la même empathie qu’envers les autres. » (Publié dans Cathobel.)

[2] Petit rappel : en 1990 le Parlement a voté à très forte majorité une loi ouvrant la possibilité légale de la pratique de l’avortement à certaines conditions. Le roi Baudouin a refusé de la signer, condition constitutionnelle pour la valider. On a trouvé une astuce ; il s’est mis en état d’incapacité de gouverner pendant 36 heures, cas prévu par la constitution : alors c’est le Parlement qui prend le relais.

[3] Le docteur Maxime Fastrez, président du Collège royal des gynécologues-obstétriciens de langue française, s’est exprimé clairement à ce sujet le 30 septembre : « Dire que les médecins qui pratiquent l’avortement sont des tueurs à gage, que l’avortement est un meurtre et que les lois qui l’ont dépénalisé sont criminelles, vraiment, les bras m’en tombent ! Je ne sais pas quel mot utiliser tout en restant poli. Je suis outré, dépité, non seulement par ces propos du pape – à qui je ne comprends d’ailleurs pas qu’on ait donné une telle tribune alors qu’on connaît son positionnement ‒ mais aussi par le momentum, qui n’est certainement pas un hasard. » (Il y a débat actuellement pour prolonger de douze à dix-huit semaines le délai pour effectuer un avortement.)

Crédit photo
Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons - CC BY-SA 3.0

Ignace Berten est un dominicain et théologien belge, né à Bruxelles en 1940. Il est entré chez les Dominicains en 1958 et a consacré sa vie à des missions apostoliques et théologiques variées. Il a été professeur à l’Institut international Lumen Vitae à Bruxelles et a travaillé comme formateur en milieux populaires en Belgique. Ignace Berten est également connu pour ses nombreuses publications sur des questions de foi et d’éthique. Son ouvrage le plus récent, “Quand la vie déplace la pensée croyante”, revisite ses plus de cinquante ans d’engagements et montre comment ses expériences ont influencé sa compréhension de la foi chrétienne.

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