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Que vaut l’organisation de ce vaste corps social qu’est l’Église catholique ? Sans toucher au dogme ou à la morale, comment réformer la structure ? C’est-à-dire un moyen qui doit rester au service d’une fin et qui l’entrave pour l’instant.

À l’ère de la mondialisation il existe de vastes corps sociaux, entreprises, organisations internationales, États qui regroupent des centaines de millions de personnes. En comparaison, le Vatican s’est développé de manière artisanale par des diplômés en théologie ou en droit canon. Un conseiller en organisation lui donnerait des consignes de nature professionnelle. Prétendre que cela n’a aucun intérêt signifie que la tâche s’accomplit miraculeusement, par l’action du Saint Esprit. On supposera qu’il a autre chose à faire que de suppléer à des déficiences humaines.

Les meilleures organisations contemporaines jouissent d’une certaine dose de démocratie. L’institution vaticane se caractérise par une absence totale de démocratie. Il serait tout de même étonnant que les hommes aient fini par comprendre les vertus pratiques de l’État de droit, de la représentation parlementaire et de l’égalité des citoyens, quand l’Église devrait, par définition, se complaire dans une forme de gouvernement archaïque.

Ce n’est pas que la démocratie soit par nature supérieure aux autres formes de gouvernement. Mais, expérience faite, elle est plus efficace. Non pas que le peuple prenne toujours les meilleures décisions par le biais des urnes, mais il est obligé de les assumer, il apprend à réfléchir avant de se prononcer, à agir solidairement pour implémenter la décision et à se résigner en cas d’échec. La démocratie est une forme adulte de gouvernement. Essayons de l’appliquer à l’Église catholique.

 

Une démocratie ecclésiale

Si le pape était d’origine suisse, il ne serait ni meilleur, ni pire qu’un autre, mais il se comporterait sur un point bien précis, le respect de la démocratie autrement qu’un Argentin, un Allemand ou un Polonais, qui ont passé leur jeunesse dans des dictatures. Il ne suffit pas de se proclamer démocrate, il ne suffit pas de respecter en paroles les droits de l’homme, il faut encore en avoir expérimenté toutes les difficultés et tous les bénéfices. Sinon, on se croit démocrate et on se comporte en autocrate. La pratique de la démocratie requiert des réflexes qui résultent d’un long apprentissage.

On apprend la démocratie en famille, à l’école, dans l’entreprise, par la vie associative. Cela ne se démontre pas, cela ne s’enseigne pas, cela se montre, cela se vit. Le père de famille qui se comporte comme un tyran domestique donne à ses fils le goût du pouvoir autoritaire. Le chef d’entreprise qui exploite ou qui humilie ses travailleurs leur donne envie d’être des despotes domestiques, puisque la famille est le seul lieu où ils peuvent se venger de leur patron en l’égalant. Le politicien qui se moque de ses électeurs donne une leçon de tyrannie à l’échelle d’une nation. Le prélat, qui décide tout seul, n’agit pas autrement.

La conquête de la démocratie est donc une longue patience, un travail à recommencer chaque matin, un idéal de toute façon impossible à atteindre. Cela ne signifie pas pour autant que tous les peuples, toutes les entreprises ou toutes les familles se vaillent à ce point de vue. Il y a de grandes différences. La démocratie ne se décrète pas par une assemblée constituante. Elle se mérite par un long usage.

 

Le christianisme est démocratique par nature

Sommes-nous en dehors du sujet ? Non. La politique est l’art du possible. Il n’y a pas de démocratie au sens exigeant décrit plus haut si le peuple ne pratique pas une foule de vertus clairement évangéliques : tolérance, patience, solidarité, générosité. Ces vertus sont devenues naturelles parce que leur pratique générale en démontre les bienfaits. Et force est de constater que l’immense majorité des peuples démocrates sont chrétiens.

Un pape suisse constitue donc une hypothèse de travail intéressante. Une façon crédible d’imaginer un pape qui aurait une culture profonde de la démocratie. Que ferait-il de surprenant ? Rien pour commencer. Un démocrate commence par se méfier de lui-même et par respecter l’ordre établi. Un démocrate se méfie des gesticulations de toute nature. Il ne tient surtout pas à attirer l’attention sur sa propre personne. Il exerce un service à la communauté, il ne se met pas en scène, il ne se prend pas au sérieux, il ne se croit pas omniscient.

 

Le respect du principe de subsidiarité

Puis la nature démocratique reprendrait le dessus. Un Suisse ne peut pas concevoir que les autorités locales ne soient pas élues par le peuple. En conformité avec cet usage, de la désignation des évêques par la Congrégation basée à Rome, travaillant sur dossiers, influencée par des rapports plus ou moins véridiques, on passerait à l’élection de l’évêque à l’échelon du diocèse, soit par le peuple chrétien, soit par le clergé, soit encore par un patriarcat des chrétiens de langue française pour les évêques francophones. Mais le pouvoir central se garderait comme la peste d’interférer avec ce processus local.

Le compte est vite fait : il y a plus d'un milliard de catholiques, plus d'un million de ministres consacrés, plusieurs milliers de diocèses. L'organe central, le Vatican, s'efforce de contrôler la plus gigantesque de toutes les organisations humaines en mobilisant sur place les services d'environ deux mille personnes, une par demi-million de catholiques. C'est à la fois trop et trop peu. On ne peut pas s'y référer comme à une bureaucratie envahissante, mais on ne peut pas parler davantage d'une véritable maîtrise des opérations locales par le centre. Beaucoup d'erreurs, qui ont été commises, n'ont rien qui puisse surprendre.

Il y a actuellement près de quatre mille diocèses à l’échelle du monde : prétendre désigner les responsables à partir de Rome revient à commettre fatalement des erreurs à vue humaine. On n’imagine pas une entreprise dirigée par un PDG, nommé à vie, qui ne serait même pas contrôlé par un conseil d’administration, et qui contrôlerait directement quatre mille chefs de service. Comme cela résulte du bon sens le plus élémentaire, il faut alors que la règle actuelle incarne l’illusion d’une illumination perpétuelle du Vatican par le Saint Esprit. Concrètement, cela veut dire que l’on se place dans des conditions qui mènent naturellement à l’échec et qu’on attend d’un miracle perpétuel qu’il ne se produise pas. Cela s’appelle tenter Dieu (Luc, 4,12).

Sans même y réfléchir, un pape démocrate abolirait la soutane blanche parce qu’un démocrate ne supporte pas de marquer la différence par le vêtement. Ce pape s’habillerait comme tout le monde. Il porterait des souliers bien cirés – il les cirerait lui-même – et surtout pas des baskets. Dans la foulée toutes les tenues ecclésiastiques plus ou moins colorées par du violet ou du pourpre passeraient à la trappe. Un pape démocrate bannirait toutes les formes exagérées de respect. Il ne se ferait appeler ni Sainteté, ni Éminence, ni Monseigneur, ni même Père. Il se conformerait de la sorte au conseil du Christ (Matthieu, 23, 8-12).

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