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C’était l’une des convictions du Curé d’Ars : celle d’un prêtre qui changeait rarement de soutane et réduisait drastiquement sa nourriture, sacrifiant ainsi les deniers économisés pour embellir son église et renouveler les ornements et objets liturgiques. Les responsables du diocèse de Paris se sont-ils inspirés de cette conviction en vue de la célébration de la réouverture de Notre-Dame le 8 décembre prochain ? Gageons que la cérémonie sera des plus grandioses, en rassemblant 170 évêques, 700 prêtres et 700 diacres… Si l’on y ajoute les personnalités officielles, autour du Président de la République, propriétaire du bâtiment, les places seront d’autant réduites pour les laïques désireux d’y participer. L’occasion est donnée ainsi à l’Église de redorer son blason alors que les ordinations presbytérales sont en décroissance depuis nombre d’années.

Le faste et la pompe ne manqueront pas d’être au rendez-vous pour accompagner la cérémonie. Pourtant, l’archevêque de Paris se félicite d’avoir commandé aux divers artisans pour les objets liturgiques « la sobriété et la discrétion ». Le couturier J.Ch. de Castelbajac auquel il a été fait appel pour les ornements assure également qu’il a recherché la simplicité dans la création des chasubles, dalmatiques et chapes (2 000 exemplaires quand même !) qui seront de sortie pour l’événement. Celui qui avait déjà manifesté sa créativité pour le JMJ de 1997 se voit ainsi gratifié d’être devenu « le grand chasublier » de notre Pays, au détriment des monastères qui comptent sur cette activité pour vivre.

On peut s’interroger sur le sort que connaîtront ces ornements, même s’il est annoncé qu’ils serviront pour les fêtes à l’avenir. Je crains, pour ma part, qu’ils ne rejoignent ceux qui, nombreux, « dorment » dans les placards des sacristies, poussiéreux souvent et démodés ! On peut alors s’interroger sur la nécessité de la fabrication de tels objets qui ne serviront finalement qu’à relever le décorum de la célébration. D’ailleurs, faut-il parler de nouveauté à propos de ceux que propose le grand couturier ? Si j’en crois les croquis aperçus dans la presse, les chasubles semblent relever d’un style que je qualifierais de « retro », celle que l’on appelait « les boîtes à violons », celles qui ont gardé la faveur des célébrants intégristes ou qui sont sorties pour les messes selon la forme extraordinaire voulue par Benoit XVI.

Ce déploiement vestimentaire m’a remis en mémoire une séquence du film FelliniRoma. L’auteur, plus anticlérical que non-croyant, humaniste et même spiritualiste tel qu’il se révélait dans La Strada, s’est amusé à montrer un défilé de mode au Vatican. Des nonnes, des prêtres et des évêques exhibent (le mot n’est pas exagéré) des tenues extrêmement recherchées avec des ornements chargés de pierreries, de mitres lumineuses, rivalisant de clinquant et d’originalité. Le défilé s’achève en apothéose par la présentation d’une tenue papale, le personnage remplaçant la traditionnelle mariée des défilés de mode, revêtu d’une chape blanche éblouissante et chamarrée d’or !

Certains me reprocheront de me lancer dans une « querelle de chiffons » et je sais bien que cette critique d’un déploiement de faste et de « fla-fla » (le mot est synonyme d’exhibitionnisme !) n’est pas partagée par tous les chrétiens, tout au moins les catholiques. Chez ces derniers, ils ne manquent pas celles et ceux qui se plaignent du manque de décorum des célébrations, regrettant, entre autres, les processions qui donnaient l’occasion de pavoiser. Face à cette tendance permanente et triomphaliste, l’archevêque et le couturier parlent, d’un commun accord, de la « sobriété liturgique » respectée dans la création de ces ornements. Celle-ci ne fait pas l’unanimité et elle entre dans les reproches adressés au Concile Vatican II d’où découlait cette tendance. J’en ai fait l’expérience le jour où un jeune homme est venu me reprocher de ne pas avoir revêtu la chasuble pour la Messe et m’accusait, pour cette raison, tout simplement de manquer de Foi ! Aujourd’hui, je lui opposerais l’exemple de ces résidents d’un EHPAD m’invitant à omettre cet ornement, un jour de canicule. La Messe ainsi célébrée n’a pas manqué de recueillement ni de Foi chez les participants !

« Pour chanter Veni Creator il faut avoir chasuble d’or » : ainsi débute le chant des canuts de Lyon, et il se poursuit ainsi : « Nous en tissons pour vous grands de l’Église, et nous, pauvres canuts, n’avons pas de chemise. » La chanson ne manque pas de virulence pour dénoncer l’exploitation d’un monde ouvrier que l’Église de l’époque avait laissé de côté. Le pape Pie XI le reconnaissait lui-même en déclarant, au siècle suivant, « l’Église a perdu la classe ouvrière ». Ce n’est évidemment pas par le déploiement du faste dans la liturgie que ce monde trouvera sa place dans les assemblées…

Si notre Église persiste à se dire « servante et pauvre », l’expression semblera sans doute relever plus du slogan que de la mission qu’elle se doit de remplir. Si elle recherche à se donner ou à montrer une image plus crédible, elle ne doit pas craindre de décevoir celles et ceux qui attendent d’elle l’éclat et le prestige. La sobriété, qui semble au cœur des préoccupations actuelles de tous les défenseurs de la vie et de l’avenir de notre planète, pourrait bien entrer également dans les objectifs de cette Église. Elle se montrerait alors fidèle à la consigne évangélique donnée aux Apôtres, lors de leur envoi en mission : « N’emportez ni sac, ni argent, ni tunique de rechange. » (Mc 6,8) Le Curé d’Ars n’aurait-il suivi qu’à demi la consigne ?

 

Robert Favrou – 23 juin 2024

(Robert Favrou, né en 1940, est prêtre du diocèse de Luçon. Après avoir enseigné la philo et le français au petit séminaire des Herbiers, après avoir été aumônier de l'Enseignement public, vicaire puis curé de paroisse, il vit sa retraite sur la côte vendéenne, où il continue d'aider à l'occasion la paroisse locale. Il tient une chronique qu'il envoie à ses amis et paroissiens, où il livre un regard libre, lucide et bienveillant sur les gens, le monde et l'Église.)

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