Retour au gallicanisme ?
Qui n’a pas ressenti le 7 décembre à partir de 19h, le sentiment spontané, irrésistible, exaltant, que le centre de la chrétienté se trouvait à Notre-Dame restaurée et que l’absence délibérée du pape en était étonnamment une sorte de confirmation ? Était-ce seulement une illusion ? Ce fut plutôt la résurgence d’une tendance séculaire.
Sous l’Ancien Régime le mouvement gallican manifesta la tentation perpétuelle de définir l’indépendance cultuelle de la France par rapport à Rome. Cette évolution débuta en 1438 avec la publication de la Pragmatique Sanction, par laquelle le roi Charles VII proclama la supériorité du concile sur le souverain pontife et se donna le droit de nommer les évêques. Le souverain pontife n'aurait qu'une autorité spirituelle ; les princes ne seraient pas soumis à l'autorité de l'Église dans les choses temporelles ; les principes et les coutumes de l'Église gallicane qui existent depuis toujours devraient demeurer en vigueur ; même en matière de dogme, le pape n'est infaillible qu'avec le consentement de l'Église universelle.
On croit rêver en découvrant dès le XVe siècle des débats actuels. La tension fut en partie résolue en 1905 par la loi de séparation de l’Église et de l’État. En partie seulement, car l’infaillibilité était devenue un dogme et les évêques sont toujours nommés par Rome. Est-ce opportun et réaliste ? On peut en douter. D’une part, le principe en matière de connaissance scientifique est bien la faillibilité de tous les énoncés : ils ne sont significatifs que si une expérience permet de les refuser. D’autre part on nomme les cadres dans des multinationales au niveau le plus opportun : bien que des propositions émanent du local, il est irréaliste de décider depuis le Vatican. On commet forcément des erreurs.
Le gallicanisme incarna un réflexe national dans un contexte d’imbrication étroite entre la religion et le pouvoir politique. Ce stade est dépassé, sinon en Russie ou aux États-Unis, du moins en France. Mais le centralisme romain continue de s’exercer sur les Églises locales qui font cependant face à des contextes culturels très divers. La place souhaitable des femmes dans l’Église catholique n’est pas la même en France ou au Rwanda. Le dernier Synode, tout en reconnaissant l’existence de ce problème, n'a fourni aucune solution, parce qu’aucune ne peut exaucer toutes les Églises nationales.
Ne serait-ce pas un progrès de renoncer à élire l’évêque de Rome comme Patriarche de tout l’Occident ? L’Église anglicane, qui admet des prêtres mariés et des femmes ordonnées, ne pourrait-elle pas fournir un prototype d’indépendance et d’adéquation culturelle ? Tout en gardant la primauté de l’évêque de Rome pour les questions spirituelles, serait-il déraisonnable pour la gestion locale de nommer un patriarche pour la langue française, un autre pour les locuteurs espagnols, un autre encore pour l’Afrique… ?
L’assemblée de chefs d’États le 7 décembre répondait visiblement à une aspiration des peuples vers la paix. Il n’est pas indifférent qu’elle se soit en partie tenue dans la cathédrale, car la paix ne peut revenir que par l’abandon des intérêts particuliers et le recours à une exigence transcendante. Paris constituait un lieu opportun, parce qu’il évoque à la fois la tradition chrétienne dans un bâtiment vieux de huit siècles et la Ville Lumière. Si les théologiens français du siècle dernier avaient été mieux écoutés, l’Église catholique ne serait-elle pas dans une meilleure situation ?