C’est certes un « Spécial Paroisse Saint-François du Vézelien », mais Vézelay dépasse Vézelay ! La problématique est semblable dans bien des communautés paroissiales ! La réflexion proposée ici est une invitation, nous disent ses auteurs, pour l’année synodale qui commence et pour le siècle qui s’ouvre.
L’existence de ce panneau est emblématique des habitudes de penser et de croire dans lesquelles nous continuons d’évoluer à l’aise et rassurés, mais nos contemporains passent leur chemin sans en tenir compte. Son message obsolète (années 70 ?) ne correspond plus ni à la réalité de leurs vies, ni d’ailleurs à celle de la paroisse[1]. Cette croix est la relique d’une culture paroissiale désertée, le témoin d’un tissu de chrétienté révolue qui se concentrait sur la pratique de l’obligation dominicale.
Et malgré cette désertion, alors que la parole de l’Église est disqualifiée, que l’Église elle-même est décrédibilisée par des abus sans fin, nous continuons comme si de rien était. Nous fonctionnons encore avec la grille ecclésiale d’autrefois (d’autre-foi ?). Ne touche pas à ma pratique, à mes habitudes, à ma messe ! Ne touche pas à ma foi ! Surtout ne pas réfléchir, ne pas faire de vagues.
Bien évidemment que si, il faut toucher à l’Église, et tout particulièrement d’ailleurs à l’expression de sa foi ! C’est le mobile de la foi (ce qui la provoque) qui sauvera la forme Église épuisée, effondrée, et non l’inverse. Ce n’est pas en essayant de réparer un tissu ecclésial qui s’effiloche comme peau de chagrin, ce n’est pas en rapiéçant les trous dans un dispositif ancestral qu’émergera l’Église du XXIe siècle. Ce n’est pas en continuant de faire tourner a minima la « pratique » paroissiale que les baptisés répondront présents à l’étape (à la crise) de croissance d’un vécu et d’une expression mature de la foi en Christ.
Dans la paroisse Saint-François du Vézelien nous en sommes réduits à bricoler l’organigramme ancien avec les moyens du bord. On espère remplacer un curé maintenant à mi-temps (50 clochers) par une Équipe pastorale paroissiale (EPP), les messes habituelles par des temps de prière. On s’applique à proposer des funérailles sans prêtre. On ratisse large pour proposer, à la carte, les messes dominicales des alentours. Nous vivons en fait sur un élan et ne jurons encore que par le tout messe d’une pastorale et d’une ecclésiologie qui ont montré leurs limites. Notre obsession et notre boulimie de messes deviennent caricaturales. « Centre, source et sommet » ne veut pas dire répétitif, invasif et exclusif, alors que par ailleurs il n’est plus possible d’exprimer la foi comme autrefois (pas que les mots mais également le contenu). Cette disproportion est dramatique, ce déséquilibre devrait, lui plutôt, nous préoccuper et mobiliser nos énergies. Changement d’époque !
La situation est grave et ce n’est pas en nous empressant de combler, en bons gestionnaires, les cases laissées vides que nous proposerons une réalité pastorale enthousiasmante. Ni ad intra ni ad extra.
La communauté paroissiale catholique du Vézelien, comme beaucoup d’autres, n’en est de toute évidence qu’à une étape. Elle ne survivra pas telle quelle. Il y aura encore d’autres diminutions d’effectifs, d’autres regroupements (combien d’entre nous ont moins de 65 ans ?). Nous n’avons donc pas à travailler à une forme de survie temporaire hors monde, à un bis repetita formel en attendant que tout redevienne comme avant. Ce n’est pas en réactivant un prêt-à-croire ou en voulant sauver la bougie qui s’éteint que l’on préparera la Lumière promise d’un Solstice christique.
En 2022 l’Église est, pastoralement parlant, au point mort. Si nous voulons être en mesure de proposer à l’avenir une foi et une pratique chrétienne goûteuses il nous faut apprendre à lire les signes des temps et à nous aventurer, par formations et réflexions, à découvrir le fond encore voilé des vérités christiques de l’existence. Non pas uniquement nous former pour l’animation des messes, des sacrements, des lecture bibliques, des accompagnements…
Nous sommes à un tournant radical de l’aventure de la foi chrétienne. Pour négocier ce tournant il y a nécessité de réfléchir et de se former. Malheureusement, dans le rapport de l’AG paroissiale de novembre 2021 les formations ne sont mentionnées qu’à la fin – Des formations sont proposées tant localement que par le diocèse (consulter le site). Ces formations sont essentielles pour nous construire –, mentionnées comme un parent pauvre (1½ ligne sur 70), sans être distinguées les unes des autres. Alors que des réflexions-formations pour une structuration « neuve » de la foi en Christ devraient être en initiale de tout projet de redéfinition pastorale. Particulièrement à Vézelay où nous avons la chance de disposer d’un exceptionnel vivier d’images adaptées aux défis d’une parole actuelle du salut : l’annonce de tout Homme/Christ, tout à la fois Fils de l’Homme et Fils de Dieu.
Si un pôle « Annonce de la foi » doit être activé dans la paroisse, ce sera pour cultiver et initier une telle parole, à la hauteur de ce haut lieu christologique qu’est Vézelay. Nous ne pouvons plus nous satisfaire d’annoncer la pratique des messes et promouvoir prières et sacrements. Ce serait aujourd’hui pastoralement inadéquat et inopérant ! C’est en amont qu’il faut nous investir.
Autant nous sommes addicts aux messes, consommateurs de liturgies, autant nous résistons et nous nous défendons (tétanie ou déni ?) face à une intelligence de ce qu’être Christ peut signifier aujourd’hui comme identité divino/humaine de l’homme et de la femme. Osmose en contre-point d’une identité humaine esseulée, éclatée, algorithmisée, hors-sol dans les réseaux sociaux. Identité christique à ne pas réduire et limiter à la fonction que devrait maintenant pouvoir assumer les laïcs dans la gouvernance ecclésiale et l’animation pastorale, en l’absence de prêtres. Cette identité est plus radicale encore, elle exprime de quel Christ tous les baptisés, sans exception, sont héritiers, à quelle succession christique tous sont conviés. Ne serait-il pas urgent d’ailleurs de dénoncer officiellement Quas Primas instituant le culte royal d’un Christ omnipotent, au pouvoir absolu (Pie XI, 1925) ? Non plus pour affirmer la christocratie d’un seul mais la christicité de tous, alter Christus.
Voilà, selon nous, exprimé l’essentiel d’une Parole actuelle d’évangélisation, de notre mission pastorale. Nous ne pouvons plus nous contenter, comme feuille de route, du caté de notre enfance, du contenu des sermons et des textes prêts à l’emploi de la liturgie. Nous ne pouvons plus annoncer la foi uniquement avec les termes codés de nos célébrations, de nos prières et d’une théologie figée. Qui est premier, l’Église ou la Parole ? Si l’un peut introduire l’autre il faut maintenant privilégier la Parole, une Parole neuve, vive. L’institution suivra. Arrêtons par ailleurs de nous mettre à genoux en implorant l’Esprit d’intervenir, alors que déjà il fait signe à nos intelligences, qu’il active notre parole et nous convie à faire travailler nos méninges. À propos, demandons-nous depuis combien de temps nous avons participé à une conférence ou à un travail sur ce que Résurrection du Christ signifie, sans nous cantonner aux images d’apparitions-miracles ?
Des réflexions-formations pour une intelligence inexplorée de la foi, en amont de toutes les autres formations fonctionnelles, n’ont donc pas à être mentionnées en annexe dans les projets de paroisse, passant d’un hier connu à un demain inédit. Comme si se former n’était qu’un simple complément édifiant, comme si cela ne permettait que d’ajouter de l’énergie au moteur. De telles réflexions-formations se devraient plutôt d’être le moteur lui-même d’une nouvelle dynamique christique de la foi, proposée sur les routes du Vézelien comme ailleurs. Non pas simplement pour nous construire ou pour notre édification. Mieux que cela ! Pour nous conduire sur le chemin créatif d’une annonce de l’événement pascal, comme nous y invite le pape François. Ainsi entrerons-nous dans la dynamique, dans la révélation ordinaire d’une Église, synodale par vocation.
Ce que nous avons à proposer à nos compagnons d’humanité sur le bord des routes, comme sur la D606 à Sermizelles, ce ne sont pas des invitations à un culte dominical ou à un entre-soi identitaire, cultuel et culturel, non pas tant même une nouvelle figure d’Église qu’une nouvelle figure du Christ.
Qu’est-ce qu’une Église synodale peut offrir aux passants sur les routes du monde ? Est-ce une croix annonçant les messes ou bien la mandorle du Christ, symbole fort de Résurrection, c’est-à-dire de Co-existence possible de l’humain et du divin ?
Aline et Alain Weidert – Lettre du narthex – janvier 2022
[1] Il n’y a pas de messe paroissiale à Vézelay à 8h, mais une chez les Franciscains à 8h30. Il n’y a pas de messe paroissiale à 11h mais une à la basilique avec les Jérusalems. Il y a belle lurette qu’il n’y en a plus à 11h15 à Givry.