Oui, nous irons tous au paradis car « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés[1] » (1Tim 2,). Il faut, toutefois, considérer que si tel est le dessein de Dieu, il s’agit d’une offre, non pas d’un automatisme subi. Nous devons répondre et nous sommes libres de dire oui… ou non.
Mais, irons nous seuls au paradis ? Je ne parle pas de nos frères et sœurs humains mais des animaux qui, parfois, partagent nos vies ? Sans l’ombre d’un doute, un poète répond : oui !
« J'irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis... »
Puis, s’adressant à Dieu, il prie :
« Que je Vous apparaisse au milieu de ces bêtes
Que j'aime tant…. »[2]
Comment le Seigneur pourrait-il refuser au poète d’entrer au paradis, avec les ânes, ses amis ?
Pour les vaches, pas de poète mais un théologien, un frère dominicain[3]. Peut-on espérer mieux ? Bien qu’il reste prudent, je le laisse plaider, argumenter, prier seul, car sans moi il fait mieux.
Et pour moi, restent les autres animaux, et tous les végétaux, les minéraux, l’infiniment grand, l’infiniment petit. Plutôt qu’énumérer, ce qui serait harassant, je préfère aborder, en prenant du recul, la question dans sa globalité : la création tout entière n'est-elle pas concernée par le salut de Dieu ? Après tout, le genre humain, partie de la création, élément d’un tout, ne peut-il pas être l’expression du tout (au moins, l’une des expressions du tout) ?
Les découvertes du long passé de la création, de l’univers et, sur la terre les ères successives et l’évolution du vivant, tout comme la proximité biologique avec d’autres organismes vivants[4] permettent une compréhension extensive du dessein de Dieu.
Du deuxième récit, poétique, de la Genèse, nous pouvons retenir l’unité matérielle de la création : « Le SeigneurDieu modela l'homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l'haleine de vie, et l'homme devint un être vivant. » (Gn 2,7) Ainsi, en hébreu, l'homme (âdâm) est tiré du sol (adâmâ). Après qu’il a goûté de l’arbre défendu, en le réprouvant le Seigneur confirme : « tu es poussière et à la poussière tu retourneras. » (Gn 3, 19b)
Relisons maintenant avec un esprit nouveau l’alliance déclarée à Noé. Après avoir fait pleuvoir sur la terre quarante jours et quarante nuits, le Seigneur se repentit et déclara : « Je vais établir mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous et tous les êtres vivants : oiseaux, bestiaux, toutes les bêtes sauvages qui sont avec vous, bref tout ce qui est sorti de l'arche avec vous, même les bêtes sauvages. » (Gn 9, 9-10). Faut-il que nous soyons aveuglés par la conviction de la suprématie humaine pour ne pas lire ces versets d’abord (mais pas seulement) au sens littéral[5] ? Le Seigneur poursuit : « ...J'ai mis mon arc dans la nuée pour qu'il devienne un signe d'alliance entre moi et la terre… »[6] (Gn9, 9-17) Certes, il y a encore des déluges et d’autres cataclysmes meurtriers mais on n’imagine plus qu’ils soient le fait de l’irritation de Dieu et ils ne mettent jamais en danger tout ce qui vit et la création dans son ensemble[7].
Un certain temps après son allusion au déluge, Marc, l'évangéliste, transmet l’ordre de mission du Christ ressuscité à ses disciples : « allez par le monde entier, proclamez l'évangile à toutes la création( ktisis)[8] » (16, 15)
L'apôtre Paul écrivit aux Romains de façon plus détaillée : « la création (ktisis) attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. [... ] elle garde l'espérance, car elle aussi sera libérée de l'esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet : la création (ktisis) tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l'enfantement. » (Rm 8, 19-22) Cette parole n’a sans doute jamais été comprise comme il est possible, maintenant. Nous pouvons effectivement voir dans les mouvements tectoniques, dans l’apparition et la disparition de certaines espèces et d’astres, les douleurs de la création qui enfante ![9]
Plus récemment, le pape François, dans son encyclique Laudate si’ va aussi en ce sens. D’une citation du livre de la Sagesse[10], François déduit : « chaque créature est l’objet de la tendresse du Père, qui lui donne une place dans le monde. » (Sg 77) Et il estime que les autres créatures « avancent toutes, avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu » (Sg 83) car « c’est le propre de tout être vivant de tendre à son tour vers autre chose, de telle manière qu’au sein de l’univers nous pouvons trouver d’innombrables relations constantes qui s’entrelacent secrètement (Sg 299). Et surtout, il rappelle que « le destin de toute la création passe par le mystère du Christ, qui est présent depuis l’origine de toutes choses : ’Tout est créé par lui et pour lui’. » (Col 1, 16), (Sg 99)
Tout ceci permet de penser et d’espérer que le salut, l’accomplissement, le Royaume de Dieu concerne la création dans tout son ensemble. N’est-ce pas ce que le prophète Jean nous rapporte de sa vision : « Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre ont disparu et la mer n'est plus. » (Ap 21,1) Aussi, dans l’espérance, « heureux sommes-nous qui lisons, et qui écoutons les paroles de la prophétie et gardons ce qui s'y trouve écrit, car le temps est proche. » (Ap 1,3).
Et, pour conclure, nous pouvons, avec le père Teillard de Chardin, offrir à Dieu de consacrer « sur l’autel de la Terre entière, le travail et la peine du Monde… cette Hostie totale que la Création, mue par [son] attrait, [lui] présente à l’aube nouvelle.10 »
Bernard Paillot, en la fête de tous les saints
[1] Les citations des Écritures sont, sauf exception signalée, extraites de la TOB
[2] Jammes, Francis, Prière pour aller au Paradis avec les ânes (Merci à Michèle Beauxis qui m’a fait connaître ce poème)
[3] Franck Dubois, Pourquoi les vaches ressuscitent (probablement), Le Cerf, 2019
[4] On pense bien sûr aux primates supérieurs et aux mammifères Mais au delà de l’anatomie, des comportement et de la génétique, des développements thérapeutiques existent. Par exemple, on greffe couramment sur l’homme des valves cardiaques d’origine porcine. Mais on peut aller plus loin : Plus de 60 % de notre ADN sont issus de virus qui ont, jadis, infecté nos lointains ancêtres ; l’équipe de F. Zal produit une « super hémoglobine », dérivée d’un ver marin, Arenicola marina, qui est actuellement au stade des expérimentations humaines etc.
[5] Parmi « tous les êtres vivants » on pourrait, a priori, se demander si les végétaux sont inclus. Sont-ils des êtres ? Mais il faut bien que les animaux herbivores, en sortant de l’arche, se nourrissent..
[6] La terre, opposée au ciel qui est la demeure de Dieu, peut signifier tout le monde habité et toute la création.
[7] Par contre, cela pourrait être le fait de l’humanité et de ses moyens de destruction
[8] ktisis que l’on peut traduire par créature ( comme fait la TOB) mais aussi par création, comme font, par exemple la BJ et la nouvelle Bible Segond
[9] Cette extension ou actualisation du signifié est, en soi, une question importante : où est l’inspiration ? chez l’auteur et/ou ses lecteurs ?...
[10] « Tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de dégoût pour rien de ce que tu as fait ; car si tu avais haï quelque chose, tu ne l’aurais pas formée. » (Sg 11, 24) Teilhard de Chardin sj. Hymne de l’univers.